Je suis le refuge des esseulées, le souffle des vies en deuil, le feu des âmes refroidies, l'asile des délaissées, l'espoir des affligées.
J'apporte la flamme qui d'habitude n'échoit jamais aux humbles. J'élis les non-élues, j'aime les mal-aimées. Je suis le chantre des éternelles éconduites, des recluses, des cloîtrées, des timides, des égarées, des invisibles, enfin de ces misérables enfants de la solitude, de ces créatures inéligibles au trône de Vénus.
Je suis l'étoile fidèle, l'épée loyale, la prière inextinguible. Je règne dans le coeur des désespérées de l'amour.
Je suis l'Amant des laides, agenouillé à leur chevet de douleur.
Mes mots pour elles sont tendres, mes pensées cinglantes : afin de ne point les effaroucher, je leur parle d'abord de miel, tout en leur promettant des ronces prochaines !
C'est à prendre ou à laisser. Et elles prennent.
Ce n'est pas avec d'insipides fleurettes que je veux ébranler ces montagnes de grisaille, faire frémir ces puits d'amertume, rendre aimables ces pots de résidus... Mais avec mes crocs de loup. Tel est l'ordre naturel du monde.
Pour séduire ces épines, la froideur sied mieux que la douceur. Ce qui donne un prix soudain aux chardons, c'est la peine qu'on s'est donné pour aller les cueillir. Se piquer les doigts pour si peu de chose, c'est comme donner un peu de son sang pour du vent, se sacrifier pour des causes inutiles : une forme d'héroïsme voué à la beauté du geste.
Bref, plus ces oubliées de Cupidon seront disgracieuses, moins elles mériteront mes caresses.
En consolation de leur triste hymen, j'exige la perfection. En compensation de l'outrage qu'elles incarnent, je désire leurs trésors les plus âpres. En échange de leurs traits injurieux, je leur offre les gifles les plus esthétiques de ma plume, ainsi que les morsures vengeresses de ma badine. Ce sont là les uniques hauteurs dignes de leur laideur.
Par la seule voie des larmes elles accéderont à la gloire, jouissant du droit de se réclamer de mon nom et de briller sous ma lumière.
Il faut être plus tranchant que la pierre pour s'en faire une alliée. Pour la tailler à sa mâle mesure, il est nécessaire de l'écraser, de la dominer, de la sculpter, d'y laisser son empreinte, de se montrer plus austère qu'elle ne l'est elle-même.
Aux yeux de ces ternes cailloux, je représente un marbre viril, pur, glacé et intransigeant. Le dernier contre lequel se blottir.
Je suis leur seul rêve accessible : dur mais plein d'éclat.
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