Assise depuis le matin près de la fenêtre, la vieille fixe le vide.
Le regard placide, le front terne, la bouche bée, l’air bête.
Son vieux retraité de mari se tient pareillement au fond de la pièce,
sagement attablé devant le saladier trônant au centre de la ronde surface bien
cirée, les bras sur les genoux, à attendre tout comme elle. Parfois ses mains
viennent se poser sur la table, avant de revenir sur ses genoux. Sa tête de temps à autre se tourne tantôt vers la fenêtre, tantôt vers la pendule, puis
revient vers le saladier. L’extrême lenteur caractérise ses gestes ponctuant les
heures qui coulent, car c’est bien en termes d’heures qu’il faut considérer ces
non-évènements...
Ils attendent quoi ?
Que le temps passe, sans doute.
L’horloge est au coeur de la scène, remplissant la demeure de son
omniprésence morbide.
- Tic, Tac ! Tic, Tac !
C’est le néant qui leur parle.
Parfois la femme s’exclame, les yeux levés vers le ciel qui se couvre
: “Ha ben tiens regarde donc ça l’René, y’a le ciel qui s’couvre !”
Sa voix morne fait l’effet d’une couche de poussière déposée sur
une toile d’araignée.
Et l’autre de répondre, comme pour se rassurer de pouvoir meubler lui
aussi l’espace inerte : “Ah ! ben, c’est vrai ça dis, la Germaine ! L’
ciel y s’couvre dis-donc !”
La pendule acquiesce.
De ses balancements de mort, elle accompagne chaque parole creuse,
chaque pensée insignifiante, chaque mouvement stérile de ce couple sans
vie.
- Tic, Tac ! Tic, Tac ! “Y a l’chien du voisin qui aboie dis
l’René, t’as t-y entendu ça ?”- Tic, Tac ! Tic, Tac ! “La Germaine, c’est d’main dimanche !
Ca passe-t-y bien vite la semaine ! ” - Tic, Tac ! Tic, Tac !
Le soir
venu, après un tour de cadran interminable passé à ne rien faire et des dizaines
de milliers de “Tic-tac, tic-tac” dans les oreilles, c’est
l’heure de la soupe. Le grand moment de la journée.
Il leur
faut plus d’une heure pour la faire réchauffer, avaler leur assiette cuillerée
après cuillerée, attendre encore un peu, puis faire la vaisselle. Ce sont les
centaines de minutes du jour achevé qu’ils re-dégustent ainsi le soir,
mollement, consciencieusement, mortellement. Ressassées à travers chaque once du
bouillon.
Une
double peine. Ou double jouissance, eux-mêmes ne savent pas trop s’ils se
complaisent ou se morfondent dans leur confort de prudence et de silence mêlé de
paresse intellectuelle...
Une
chose est sûre : l’horloge, toujours, a le dernier mot sur leurs échanges de
navets.
Jamais
ils n’oublieront de la remonter avant d’aller se coucher comme pour mieux
préparer, à travers ce rituel de sclérosés, d’enterrés, de névrosés, les
arguments imparables de ses tic-tac qui le lendemain donneront tort et raison à
leurs propos de légumes roulant à petit feu vers un potager de marbre où tout
finira dans un silence... définitif.
VOIR LA VIDEO :
https://youtu.be/3RaoBDaPRAE
VOIR LA VIDEO :
https://youtu.be/3RaoBDaPRAE
3 commentaires:
"Sa voix morne fait l’effet d’une couche de poussière déposée sur une toile d’araignée."
Certains textes n'existent que pour une seule phrase.
Pour vous Raphael de Izarra : Le chat, de Georges Simenon.
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