Parmi les hommes il y a, tout en haut, les oiseaux d’envergure que tous
voient. Esprits de haut vol (dont, en toute vanité mais aussi en toute
vérité, je me réclame).
Plus bas, les pachydermes qui laissent les traces de leurs pas.
Pragmatiques de poids.
Et, entre sol et soleil, la masse des gens ni grands ni petits, ni blancs
ni noirs, ni bons ni mauvais mais qui au moins comblent les creux, occupent de
la place, agitent l’air ou tracent le sillon, battent leurs ailes ou
remuent leurs pattes autour du globe. Peuple d’humains qu’on qualifierait de
“sans histoire” qui a des histoires quand même.
Bref le monde est fait des grandes figures du ciel et des façonneurs de
siècles entraînant dans leur sillage les passagers communs de la Terre.
Et puis il y a les autres. Les minuscules, les oubliés, les invisibles, les
sans-gloire, les sans existence.
Je veux parler des fades, des silencieux, des incolores qui ressemblent à
des ombres.
Des sans esprit pour le dire en un mot.
On les voit sans les voir.
Ils sont toujours seuls, muets, pâles. Totalement insipides, parfaitement
inconsistants, exceptionnellement transparents. Ni tièdes ni médiocres, ils sont
là sans être là, inexistants.
Caricatures d’eux-mêmes, ils se confondent avec les journées qui passent,
le temps qu’il fait, les heures qui se figent.
Ces anonymes (des hommes, invariablement) n’ont pas de
compagne mais souvent un chien, voire trois ou quatre, ou alors ils ont une
femme mais pas de vie. Ils errent entre aubes et soirs, chemins et cités, métros
et administrations, bistrots et caniveaux sans laisser d’empreinte. Pétrifiés
dans leurs habitudes d’abrutis.
Je les appelle les “minables”. C’est de ma part fort peu charitable mais
c’est ainsi que je les désigne parce que c’est ainsi qu’ils m’apparaissent.
Ils dorment depuis si longtemps, sont si timides, si insignifiants qu’ils
n’auront pas même de tombe.
D'ailleurs ils sont déjà morts.
Leur visage est celui des jours vides, ils marchent vers le rien en
regardant le néant. On les reconnait à leur casquette, leurs airs d’ivrogne,
leur mégot collé à la lèvre inférieure, leurs cartes de syndiqués, leur permis
de pêche.
Parfois à leur seule tête de bovin : résultat de plusieurs décennies
de placidité.
Ces fourmis toutes pareilles, effacées, creuses, somnolentes sont-elles
heureuses ? On ne prête pas de tels états d’âmes aux moucherons, aux fétus de
paille ou aux cailloux... Les balourds dans le moule remplissent simplement
leur fonction de clones passifs plantés sur notre planète. Sans réfléchir, sans
ressentir, sans espérer autre chose que l’acquisition de bons de réductions pour
l’achat de biens domestiques au supermarché du coin ou la conservation des
points de leur permis de conduire...
Et pourtant je leur souhaite l’éveil, le tonnerre, les hauteurs.
En attendant, ces égarés léthargiques à la destinée plate sont la poussière
de nos villes et la fumée de nos campagnes.
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1 commentaire:
Il est indéniable que tu as du talent, ta franchise t'honore, poète aux heures plutôt sombres qui ne veut croupir dans la médiocrité, je te salue !
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