dimanche 24 janvier 2021

1631 - Progrès

(D'après un tableau du peintre Aldéhy)

Le temps de la Grande Harmonie est venu : l’homme s’éveille.

Ses gouffres se ferment et ses portes s’ouvrent, ses crocs s’émoussent et ses ailes se déploient.

Son regard prend de la hauteur, il a pitié de la bête, l’esprit triomphe en lui et l’invisible devient aussi clair qu’un astre dans la nuit.

Allégé de ses noirceurs, il aspire à des chemins plus verticaux : il n’a plus soif de fange car il suit la voie des anges.

Désormais il ne cherche plus la bombe mais la beauté, ne prend plus les armes mais s’éprend des âmes. Il préfère les fruits de la terre aux bruits de la guerre et l’air du ciel à l’art du fiel.

Dans la forêt le chant de l’oiseau côtoie la voix de la fée et les mystères de la sylve ont remplacé les misères de la vie : partout règne l’accord, tout est paix, plus rien n’est épée. Chaque herbe est une grâce et chaque arbre est un temple. Même la pierre est prière.

C’est là, au coeur de la nature, au fond des bois, qu’entre la faune et le bipède s’opère l'auguste alchimie des êtres atteignant le but des siècles.

C’est là que se produit le miracle.

C’est là que commence l’âge d’or.

C’est là que le monde s’en retourne au paradis car pour la première fois depuis la Genèse, entre l’animal et l’Humanité, la lumière s’est rallumée.

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lundi 18 janvier 2021

1630 - Né pour voler

Dans l'existence, je ne vois que du bleu.
 
Autrement dit la couleur du ciel.
 
Il y a beau avoir des morts autour de moi, des pleurs, de la grisaille, des tracas administratifs, des problèmes d'argent, des êtres méchants, des gens sales et malodorants, à mes yeux tout est beau, tout est bon à prendre, tout brille dans les hauteurs, la légèreté et l'excellente humeur.
 
Ce n'est nullement de l'égoïsme de ma part mais une propension innée au bonheur, une aptitude naturelle à la joie de vivre ! S'il y a des âmes en peine à côté de moi, tant pis pour elles : cela n'entame en rien ma capacité à recevoir de la lumière dans le cœur.
 
Face aux verseurs de larmes je demeure imperturbable : les malheureux ne seront de toute façon pas moins malheureux si je pleure avec eux. Par conséquent, autant rire.
 
Leur dépression est stérile, tandis que ma flamme est féconde. Eux ne sèment que de l'ennui dans le monde, alors que je fais fleurir chaque jour qui passe.
 
J'ai raté des examens ? Une catastrophe naturelle me tombe sur la tête ? J'ai été victime d'une injustice sociale ? Tant mieux ! Rien de tels que des orages, des tempêtes et des surprises pour repartir gonflé à bloc sur le merveilleux chemin de la vie !
 
Rien ne m'accable, tout m'enchante.
 
Aux esprits lourds, austères et tourmentés ne sachant pas vivre avec simplicité, j'oppose la limpidité de mon regard d'éternel enfant qui ne songe qu'à jouer avec tout et n'importe quoi et qui se réjouit de la moindre brise...
 
Ils prennent cela pour de la frivolité de ma part. En réalité c'est eux qui intérieurement sont devenus des vieillards remplis d'ingratitude envers le sort, le monde, la clarté du soleil et même l'Univers entier !
 
Ils ont oublié que leur présence sur Terre est un miracle et que tout est cadeau. Ceux qui gémissent et se lamentent d'être nés ont simplement manqué à leur devoir : celui d'être joyeux.
 
En prenant leur deuil trop au sérieux, les affligés (qui ont toujours de bons mobiles pour l'être) passent à côté de l'essentiel.

Et c'est bien pour cette raison que je m'approprie l'azur au-dessus d'eux et prends pour moi seul toute cette allégresse qu'ils se refusent.

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samedi 9 janvier 2021

1629 - Naître pour fleurir

Sous mes pieds, un gouffre plein d’ombre et de cailloux. Face à moi, un horizon de brumes et de difficultés. Au dessus de ma tête, un océan de larmes tombées du ciel.
 
Je vis dans une vallée de tempêtes et de misères, de grêle et de chagrin, de regrets et de crachins.
 
De la naissance à la mort, je vais de pluie en orage, de foudre en fracas, de bourrasques en tracas.
 
Avec, tout autour de mon château de boue et d'épines, d’autres passagers de ce royaume sombre et douloureux, accompagnant mes jours d’épreuves.
 
Ensemble nous voguons sur cette Terre au milieu des peurs et des drames, des pleurs et des armes.
 
Chaque matin qui se lève est une nuit qui commence et chaque soir qui arrive est une tombe qui s’ouvre.
 
J’ai pour mission de faire une moisson de malheurs. Pour un monde meilleur...
 
Ce que vous n’avez pas compris, vous les accablés, vous les tristes, vous les piteux, c’est que comme moi, vous êtes des fleurs dans l’Univers.
 
Vous êtes nés pour la joie, mais vous ne le savez pas.
 
Ce que vous prenez pour des calamités, des deuils, des blessures sont en réalité des vins enivrants, des soleils régénérants, des engrais spirituels pour vos âmes.
 
C’est pourquoi je ne vois en fait que de l’eau claire dans les nuages les plus noirs, que des étoiles radieuses dans les ténèbres de l’hiver, que de l’azur se reflétant au fond des puits.
 
Chacun discerne le contour comme le coeur des phénomènes selon la limpidité de son esprit.
 
Le matérialiste au regard opaque ne percevra même pas la simple lumière du jour, tandis que l’éveillé verra immédiatement des diamants dans le charbon.
 
Le premier avec sa vue bornée ne trouvera nul trésor dans la poussière des choses mortes. Le second saura y lire des mots lumineux, des images magnifiques dans l’air : au moindre de son souffle il soulèvera l’inerte, la grisaille, le pesant, l’immobile pour révéler d’autres possibles, plus subtils, plus étincelants.
 
En vérité je suis heureux de vivre dans cette incarnation, plein de gratitude envers tout ce qui passe devant moi ou s’abat sur mes épaules : vent ou neige, froid ou caresse, erreurs ou réussite, chance ou infortune, chutes ou envolées, mauvaises et bonnes surprises... Je m’abreuve de toutes les ondes, glacées, tièdes ou brûlantes, pour grandir, briller et m‘embellir.

Tout est bon à prendre dans cette vie car, à mes yeux, tout ce qui touche notre sol, tout ce qui nous tombe dessus, bref tout ce qui nous arrose, vient fatalement du ciel !

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vendredi 1 janvier 2021

1628 - Réception de pingre

Se faire inviter chez un pingre à l’occasion du réveillon du jour de l’an est une aventure aussi insolite que contradictoire : l’avaricieux, par nature, ne reçoit habituellement personne avec qui partager sa maigre pitance.
 
Une fois n’étant pas coutume, cette année j’ai été exceptionnellement l’hôte d’un champion de l’économie. Et pour une bonne raison d’ailleurs : ce solitaire voulait s’acheter un ami à bon compte.
 
Je fus donc la cible de ses flèches calculées. Mais surtout, scrupuleusement comptées...
 
La réception a été d’emblée très riche, nourrissante, copieuse, je dois le reconnaître.
 
En paroles d’accueil, moultes courbettes et autres gesticulations destinées à brasser du vent.
 
Ce dernier ne coûtant rien, c’est important de le rappeler.
 
Une table imposante avec nappe blanche et couverts rutilants m’attendaient. Mon bienfaiteur avait dressé pour moi un authentique autel dédié à la gastronomie.
 
Garni de promesses.
 
Evidemment non tenues... Toutefois les mets essentiels étaient inattendus.
 
Au menu : eau du ciel à satiété, ivresse de l’abstinence et air pur en abondance.
 
Un repas sain en tout cas. Agrémenté d’un vin rare au prix imbattable puisqu’il consistait, on l’aura compris, en plusieurs litres de récolte de pluie... Qui a l’aubaine de s’abreuver de nuages, de nos jours ? J’ai eu ce privilège.
 
Plus concrètement et accessoirement, en entrée j’ai pu savourer une soupe aux arides légumes. Claire avec peu de saveurs certes, mais rendue ample, épaisse et bourrative grâce à l’ajout judicieux de pains recyclés... Rien de mieux que le bouillon fumeux pour ramollir les vieux croûtons !
 
Pour le plat de résistance j’ai eu droit à une patate.
 
Une seule. Néanmoins énorme. Sans rien avec. De quoi réduire avantageusement l’appétit pour le reste des agapes. Pas d’excés, rien de plus excellent pour la santé !
 
Justement la suite fut plus légère pour ma digestion : “salade de pissenlit dans sa rosée”.
 
Une recette fort ingénieuse inventée par mon compagnon de fête dont le principe est de réduire ladite recette au strict minimum.
 
Remplacer le mince filet d’huile ordinairement versé sur le végétal (qu’on peut se procurer gratuitement et en grande quantité au bord des chemins), qui précisément parce qu’il est ténu en deviendra parfaitement superflu, par de la simple humidité. Au final, pour l’invité le résultat sera le même : l’herbe aura un goût de verdure. Par conséquent, pourquoi gaspiller une once de matière grasse que les papilles ne percevront de toute façon pas, quand on peut mettre quelques gouttes de fraîcheur à la place ? 
 
Au dessert mon estomac salubrement éprouvé n’en pouvait déjà plus. Cependant j’ai quand même fait honneur aux pommes. Menues et fort aigres. Servies avec une somptueuse et princière attitude de générosité, même si l’attitude de générosité ne se mange pas. Fruits âpres il est vrai, mais abondants, vraisemblablement issus de l’arbre rachitique aperçu en arrivant chez mon noceur...
 
Bref, j’ai passé une belle soirée éclairée à la lueur naturelle, c’est à dire par le reflet de la Lune, dans le louable souci du maître de la demeure d’épargner la vie de sa chandelle.

Il n’a pas gagné mon coeur pour autant. Cela dit, j’ai apprécié son sens aigu de la sobriété.

C’est pourquoi, à mon tour, je n’inviterai désormais que des buveurs de mots et mangeurs de mou chez moi.

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