lundi 23 août 2021

1712 - De flamme et de sang

Les gens du pays me désignent d'un doigt tantôt tremblant, tantôt admiratif.
 
Je porte des bottes de brute et arbore des fleurs de valeur. Mon chapeau est noir, mon visage est une flamme.
 
J’ai la main rugueuse et le sang brûlant : malheur aux peaux fragiles et aux âmes pâles !
 
Je suis la hantise des prudes et le rêve secret des épouses en folie, l'ami des loups et la terreur des frileux, le dernier des hères et l'empereur des ogres !
 
Aux marquises évanescentes dûment pommadées et élégamment poudrées que j’invite le dimanche sous les dorures de mon salon, aussi belles que fortunées, vêtues de dentelles et baignant dans le luxe, je destine mes galanteries les plus caressantes.

Aux demoiselles de bonne famille de seize ans à la taille fine et aux yeux doux, curieuses et affables, je réserve la primeur de mes plus purs jaillissements séminaux.
 
Quant à mes bonniches, je les fouette jusqu’au sang.
 
A trois heures du matin il m’arrive d’aller pisser sur les fleurs de ma voisine en murmurant discrètement des vers de Homère, juste sous la fenêtre ouverte de sa chambre. Mais uniquement lorsque je l’entends ronfler comme une coche. C’est une jeune fille laide, peureuse, vierge, bigote, haïssable.
 
Je n’aime véritablement que les libellules au venin de vipère. Moi-même j’apparais à la gent femelle tel un esthète à gueule de rat. C’est ainsi que je séduis mes conquêtes. Elles me le rendent avec mille grâces et deux ou trois baisers mal placés.
 
Je déplais surtout aux pauvres, aux lâches, aux pouilleux.
 
Les chiens affamés viennent à moi et les enfants hilares m’adorent. Mais je les exècre. Aux premiers j’offre les épluchures toxiques de ma cuisine, aux seconds des rêves noirs.
 
Les insolents ne sont pas les bienvenus chez moi. Ces mauvaises bêtes de boudoirs me sont particulièrement insupportables ! Je ne souffre pas plus la présence sous mon toit des insatisfaits, des communs et des tièdes. Moi je ne veux que des âmes brillantes et des coeurs allègres ! Des têtes pleines de pensées hautes et des faces éclatantes de beauté !
 
Je suis tout ce que vous n’êtes pas et vous êtes ce que je ne serai jamais.
 
J’adresse à qui le veut mes souhaits de bonheur et de longue vie ! A condition d’aimer l’humanité vraie, non la veule vermine.

Je vous aime et vous déteste.

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