Lecteurs attentifs, je vous invite à un voyage extraordinaire, à la fois tout proche de vos pieds et à une distance incommensurable de votre pensée humaine. Tout près de vos jours ordinaires mais en même temps plus loin que les étoiles du fin fond de l’Univers. Je vais vous transporter dans un ailleurs impensable, inconcevable, effrayant, étrange et fascinant au coeur d’une créature hermétique, impénétrable, insondable. Dans la tête d’une araignée précisément. Les abysses de la vie les plus éloignées de notre réalité de bipèdes. Une aventure fantastique et monstrueuse, aussi terrifiante que merveilleuse. Je vais, le temps de cette fabuleuse expérience, donner la lumière et la parole à la bête. Ecoutez ce qu’elle va vous raconter, mettez-vous dans sa peau, imaginez-vous à sa place dans le rang de la Création, elle va vous emmener dans les profondeurs de son être et les mystères de son monde. Il s’agira ici d’une tarentule.
Ma vie d’araignée commence chaque matin dans les brumes de ma conscience imparfaite. Dès que le jour paraît, je m’éveille et vis pour vivre, sans autre raison, sans question.
Je vis impérieusement et je ne sais pas que je suis, cependant. Et pourtant je vibre et je mange. Et surtout, un point de clarté que vous appelleriez “bonheur” m’attire et me touche, que ce soit ponctuellement lors de mes repas ou plus durablement pendant mes périodes d’immobilité prolongée.
C’est pour cette chaleur que je marche hors de ma tanière et que j’y reviens, tout en ignorant que je fais ces choses au nom de cette insaisissable cause : le “bien-être”...
Je perçois mon environnement avec une acuité qui est à la mesure de ma nature. Bien que ma vue soit basse en dépit de mes huit yeux, aucune présence n’échappe à mon attention de prédatrice. Je vois et comprends avec une densité atténuée mais avec une intensité aussi aiguë qu’éphémère. Je suis craintive et subtile. Oui, subtile, alors même que vue depuis vos hauteurs d’hommes, ma constitution vous semble ténue, sommaire.
Mon intelligence est élémentaire. Mon instinct est prédominant. Mais mon enveloppe est sensible : je “pense” à travers mes sensations, mes pattes faisant office de cerveau annexe.
Le temps qui passe, pour moi, c’est une succession d’impressions et d’oublis, de dissolutions intérieures et de réveils sans cesse recommencés. Le passé, je l'éprouve comme une multitude d’autres moi-même évanouis. Et qui renaissent dans un intemporel présent.
J’existe quand la proie me nourrit, entre mille absences et quelques sommets lumineux.
Je suis douée de finesse, je saisis les événements vécus avec des capacités d’apprentissage performantes. Je suis réactive, vive et apte à tirer profit de l’expérience. Tout n’est pas inné en moi : j’ai une personnalité qui fait de moi un individu unique, aussi minimes que soient ces différences me distinguant de mes congénères.
Tandis que mon corps demeure figé entre de brèves activités primitives, l'essence de ce que je suis, mon "esprit" diriez-vous, s'envole pour accéder à un autre horizon plein de douceur. Tout est sauvage et brutal autour de moi, c'est là mon confort et ma référence, mon sort et mon délice. Mais quand mes appétits sont satisfaits, que tout est consommé, achevé, j'entre furtivement dans un espace vertigineux de rêves où tout s'éclaire, comme si j'étais dans un réel plus éclatant, plus léger, plus lointain. Je ne sais pas où je suis, dans ces moments.
Puis je ressens le besoin de me retrouver dans mon anatomie. Pour chasser. Pour être là où est ma volupté animale. Viscéralement attachée à mon incarnation, je redeviens un feu dévorant, une force organique en quête d'énergie, une flamme de vitalité.
Ma "joie" consiste en ces certitudes soudaines de ce qui advient.
Et je me tiens ainsi à ma place entre mes plénitudes les plus archaïques et mes rares et précieux éclairs de limpidité psychique, recluse dans mon coin intime tout en étant perdue dans une immensité qui pour moi ne compte pas.
Au-delà de ces confusions, de ces abîmes et de ces fumées, plus haut que toutes ces obscurités inhérentes à ma condition d'arachnide, hors de mes limites de compréhension, je me fonds dans un principe universel supérieur n'échappant à nulle entité créée, en communion sacrée avec le Cosmos : définitivement, naturellement et en pleine connaissance, je me sais immergée dans le Beau.
Et là, ma destinée de tarentule prend tout son sens.
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