vendredi 10 juin 2022

1834 - Bonheur de rat

Je m'affiche comme un modeste comptable à tête de cornichon et à la silhouette insignifiante. Sur mon dos s'abattent des orages d'ennui et sur mes épaules pèse la brume des jours.
 
Cependant dans le secret de mon être je brille d'un bonheur sans égal, alors même que je devrais me lamenter de mon sort et maudire ce qui m'entoure.
 
Ma vie professionnelle est faite de grisaille et de solitude du matin au soir, de petitesses et de mesquines satisfactions d'employé modèle. Pourtant, dans mon coeur brûle un grand soleil.
 
Sur ma face de cafard se reflète toute la pesanteur du monde. Rien qu'en me voyant, on croirait lire un évangile de tristesse...  Chaque détail de ma personne sent la poussière et suinte la déprime. En réalité, mon âme inondée de joie est un astre aux rayons de feu.
 
Selon les apparences, je trimbale ma pitoyable carcasse comme un rat traîne sa crasse au fond de son égout. Sauf que je suis sur un nuage et déborde de lumière.

Même si cela ne se voit pas, même si nul ne le croit, même si rien en moi ne le trahit, je baigne dans un océan d'étoiles.
 
Bref, je suis un handicapé du malheur.
 
Quoi qu'il m'arrive et au-delà des illusions de ce siècle, à l'encontre des certitudes sociales les plus éprouvées et des avis les plus éclairés, je ne puis me résoudre aux larmes. Je ne suis qu'éclat, ciel et allégresse.
 
Pour la seule raison que je suis éveillé, il m'est impossible d'envier les repus qui me plaignent. Bien à ma place là où je suis, je ne veux pas être ailleurs.
 
Grâce à cette faculté à recevoir ces flots d'azur par toutes mes portes et fenêtres, je suis devenu imperméable à l'ombre.
 
Ma félicité est d'une totale insolence pour cette humanité incrédule. Elle est une insulte aux vivants qui ont peur de mourir, un crachat au visage des fortunés insatisfaits. Un véritable défi aux blasés de tous bords qui cherchent toujours plus de plaisirs, de confort, de nouveautés. Et même, un blasphème envers les défunts partis en s'agrippant désespérément aux dernières racines de la Terre...
 
Mais la cause de ma plénitude est encore plus insupportable à leurs yeux.
 
Si je suis si enclin à bénir ma condition c'est parce que, par-delà la rudesse de mon écorce et la misère de mon destin d'obscur fonctionnaire, j'ai compris que le vrai trésor de l'existence est dans le fait d'éprouver de la gratitude envers les petits riens du quotidien, ces humbles bienfaits qui font les grandes clartés intérieures.
 
C'est-à-dire, dans la simplicité.

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