samedi 31 décembre 2022

1930 - Burcu Güneş, un air léger

Burcu Güneş, vous la femme turque au charme de métèque, vous l'astre exotique à la flamme qui pique, vous êtes l'image typique des anges au sexe incertain... Telles des vagues de lumière dans la mer, entre ondes et fluides, flots et flou, écume et nuée, vous voguez entre l'horizon du rêve et le sol de la réalité.
 
Votre face de Lune lointaine aux airs d'éther me met dans tous mes états.
 
Je succombe aux éclats de vos traits presque abstraits, vous qui incarnez l'angélique poison d'une beauté entre ciel et terre.
 
Certes avec l'âge vous devenez un peu bouffie, moins linéale, plus lourde, ainsi qu'une poule idéale qui s'épaissit, se distend.
 
D'Istanbul à Vénus, la voie est royale.
 
Mais de Vénus à Istanbul, il y a le poids de notre monde, les pesanteurs de la vie, les banalités du quotidien... Oui, vous prenez de la chair et de l'ampleur, comme une bulle d'air qui deviendrait bulldozer.
 
N'importe ! En dépit de votre léger empâtement vous demeurez une boule de neige aux yeux de charbon, un nuage de glace au regard de feu, un rivage de brume au visage de braise.
 
Votre corps a pris quelques kilos mais vos allures d'ailée sont demeurées intactes.
 
Vous avez, il est vrai, quelque peu grossi. Mais vous avez quand même gardé vos légèretés d'azur et votre chant d'oiseau.
 
L'essentiel n'est pas la balance sous vos pieds mais la faïence au-dessus de votre tête.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 30 décembre 2022

1929 - Je déteste les pauvres !

Moi, je ne fréquente pas les nécessiteux.
 
Je ne les aime pas.
 
Je les déteste, les méprise, leur crache dans le dos.
 
Les affamés, les loqueteux, les clients de la déprime, les abonnés aux jours mauvais, les comptes en banque vides, les colporteurs de mauvaises nouvelles et autres professionnels de la misère, spécialistes du désespoir ordinaire, bref les pauvres qui se lamentent à tout bout de champ, maudissent les honnêtes nantis et suintent la tristesse du petit-déjeuner au souper (qu'ils sautent quasi systématiquement) m'indisposent singulièrement.
 
A mes yeux il y a deux races opposées de sans-le-sou : celle qui chiale et celle qui la ferme.
 
Ma préférence va évidemment vers les crasseux discrets. Les autres, les bruyants, les gueulards, les mécontents, qu'ils crèvent !
 
Moi j'aime les gens débordants de bonheur, les esprits positifs, les âmes constructives, les astres qui brillent. D'où qu'ils viennent, quels qu'ils soient, quoi qu'ils fassent.
 
En réalité je puis normalement apprécier un infortuné, va-nu-pieds ou chômeur, assisté social ou SDF, qu'il soit mendiant ou simple travailleur sous-payé.
 
A condition qu'il respire la joie.
 
Mais s'il se paie le luxe indécent d'orner son indigence avec la grimace du deuil, ajoutant de la lourdeur à sa laideur, des larmes à sa pluie, de la noirceur à sa grisaille, des ténèbres à son obscurité, alors je suis sans pitié : je l'achève tout net !
 
Je lui enfonce encore plus la tête dans sa fange.
 
Quand on est au fond du trou, la plus mauvaise chose à faire en ce cas est de faire vibrer -non sans coupable complaisance- les cordes sinistres de la malédiction auprès des riches, des heureux, des bien portants...
 
Moi je ne veux pas entendre le chant de ces cafards.
 
N'ayant plus rien à perdre, plus rien  gagner, pourquoi choisir le pire quand on peut opter pour le meilleur ? Ca ne mange tout de même pas de pain de faire preuve de panache, non ?
 
C'est dans l'adversité que la vraie nature des hommes se révèle.
 
Quand on est sale et moche, puant et perdant, pitoyable et peu intéressant, et que l'on souhaite plaire à plus propre et mieux loti que soi, la plus généreuse option, la plus belle action, le plus aimable réflexe qui reste au gredin en guenilles que l'on est, c'est le SOURIRE !
 
Ce qui est la moindre des choses.
 
Le sourire est gratuit, apaisant, communicatif. A la portée de tout mortel, qu'il soit vêtu de soie ou de haillons. Sur ce point au moins ne sommes-nous pas tous égaux ?
 
C'est même là le vrai trésor du déshérité. Son unique richesse. Sa seule porte de sortie.
 
Et le ladre qui rechigne à me faire risette sous prétexte qu'il a le ventre creux et que je suis parfumé, fortuné, poudré et porte perruque, alors que ça ne lui coûte rien de m'offrir ce plaisir, celui-là n'est qu'un rat déjà mort digne de mon fiel !
 
Qu'il reste dans son purin et sa méchanceté !
 
Moi je dis : "malheur aux malheureux" !

Et tant pis pour eux.

VOIR LA VIDEO :

mardi 27 décembre 2022

1928 - Quand mon coeur s'allume

Lorsque mon coeur de macho phallocrate bat pour une cause dépassant la hauteur de ma chair de taureau, autrement dit quand la flamme est si belle et si pure qu'elle transcende ma virilité et fait taire mes feux impies, j'oublie les fadaises romantiques apprises dans les livres sans consistance et renie les finesses mensongères que l'on m'a bêtement inculquées en tel cas.
 
Alors, loin des singeries de salon, je pulvérise les porcelaines sentimentalistes d'un effroyable coup de massue !
 
Et remplace les mièvreries écrites dans la soie des chimères en vogue par des lettres rouges gravées dans l'acier de ma poitrine faite pour la guerre !
 
Je jette les gants blancs de mon éducation, abandonne les dentelles de mon langage et chausse mes grosses bottes de conquérant !
 
Je deviens un ogre. Un soudard. Un épouvantail.
 
Les romans des caniches sont écrits sur la craie fade et friable de leur vie prudente. Mes histoires sont racontées à coups de burin dans l'azur.
 
Les pâles rêveries des amants de ce siècle insipide sont des grimaces flasques issues d'un imaginaire étriqué, sec et pauvre...
 
L'amour véritable en ce qui me concerne, c'est une eau glacée jetée sur ma face de rat givré, une neige qui cingle mon front calleux de crapaud pétrifié, une averse de silex tranchants qui tombe sur ma tête de cafard réfrigéré !
 
Pour que l'affaire puisse m'enivrer, moi la statue de plomb aux semelles d'éther, je dois me sentir emporté comme une plume.
 
Et non pris pour un pigeon.
 
Je ne veux pas devenir une nouille cuite à l'eau de rose, une coquillette molle bercée dans des puérilités au sucre raffiné, non...
 
La banquise virginale descendue du ciel est bien plus brûlante que ces tièdes platitudes nées de brises printanières !
 
Il faut que l'éclair soit à la mesure de mes crêtes, aussi doux qu'une vallée de caillasse, vif comme une piqûre de guêpe.
 
Sinon c'est de la soupe aux navets.
 
Mes ailes nivéennes et mes sommets de marbre portent les idéaux les plus âpres.
 
Cupidon ne s'affuble point d'éclats factices. Pas de fards pour le messager de la divine clarté !
 
Cet oiseau supérieur doit voler plus haut que les nuages.
 
Loin de tout artifice.

Bref, je destine mes orages de lumière et mes tempêtes de blancheur aux femmes dignes de mes appétits de loup.

VOIR LA VIDEO :

lundi 26 décembre 2022

1927 - Intègre, entier, râpeux

Cette société dévirilisante aimerait me féminiser, m'épiler, m'édulcorer, me faire entrer dans le moule des mollassons.
 
Me transformer, comme les autres mâles, en toutou qui fait le beau sous les bottes des suffragettes.
 
Tous les moyens sont bons pour tenter de me séduire : appel à mes bons sentiments, exaltation de ma sensibilité, lustrage de mon ego avec la peau de chamois des idées policées et lissage de mon épiderme avec des crèmes de beauté...
 
Et lorsque ces méthodes douces ne suffisent pas, on me réserve des traitements plus radicaux.  Dans l'espoir de briser mes os de fer. Mais même les coups de massue du féminisme bête et brutal sur ma tête de pioche ne fonctionnent pas sur moi.
 
Je reste insensible : je bois du vitriol, crache de la testostérone et souffle du feu !
 
Je demeure un loup, un carnassier, une gueule enflammée. Et mes crocs de dominant affamé de vérités cinglantes sont faits pour déchiqueter les fleurettes insipides des propagateurs de caresses, des colporteurs de mensonges, des distributeurs de susucres. Je ne suis pas un caniche, pas un avaleur de guimauve, pas un pleurnicheur tendre et émotif mais un tueur pur et dur !
 
Les femelles, je les dévore toutes crues. Sans détour, sans pincettes ni gants de soie. Les demi-mesures sont faites pour les demi-âmes.
 
Mon coeur est fracassant et ma verge est lumineuse, mon poing est impérial est mes pensées sont de marbre, ma nature est solaire et mes vues sont claires.

Je suis libre, bourru, burné, heureux.

VOIR LA VIDEO :

samedi 24 décembre 2022

1926 - Le cheval

C'est une statue de muscles et de cuir.
  
Une figure illustre, une légende de chair et d'airain, une image issue de l'Olympe.

Chaussée de sabots pareils à des souliers fins.
 
Cette sculpture animée marche avec l'élégance des héros vêtus de toges et court comme si elle avait des ailes dans le dos.
 
Le cheval est une flamme sur Terre, une fable incarnée, l'allié des dieux et le trône des rêveurs en action.
 
Il est l'azur du simple mortel et la comète de l'homme au destin glorieux.
 
Le compagnon du quidam et l'astre du seigneur.
 
Le porteur de fardeaux et de nouvelles fraîches, l'annonciateur de tonnerre et de jours radieux.
 
Il entre dans nos histoires humaines tantôt à pas de velours, tantôt avec le fracas du tambour.
 
Son échine est le fauteuil des rois, le promontoire des voyageurs, le repos des songeurs.
 
Et l'assise des âmes vaillantes.
 
Cet animal est l'ange des petites et grandes destinées, et lorsqu'il meurt, s'envole loin des malheurs du monde, part en paix vers les étoiles.

Et devient un Pégase.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 23 décembre 2022

1925 - Homme mauvais

Ce démon que tous redoutent et haïssent est un homme.
 
Un simple bipède comme vous et moi. Mais avec une charogne qui bat dans sa poitrine, des désirs fétides, des pensées mortes, des regards qui tuent.
 
Et des mains faites pour le crime.
 
C'est un humain qui commet des actes immondes.
 
Un mortel venu sur Terre pour semer l'épine et le malheur, non pour enrichir nos âmes de douceur et enchanter nos chemins de fleurs.
 
C'est un méchant, un mauvais, une ronce. Un porteur de vice et collectionneur de larmes.
 
Le mal l'anime, le bien le mine.
 
Ce loup parmi l'Humanité doit mourir.
 
A force d'amasser l'ordure, il a attiré la foudre. Ses noirceurs accumulées ont déclenché les éclairs du ciel. Le monde de la lumière veut se débarrasser de cet enfer incarné.
 
La flèche de la justice a été décochée.
 
Elle file vers cette cible qui n'aime personne. Droit vers l'organe vital de ce malfaisant. Directement vers le siège de ses sentiments de bête.
 
Sous ce buste de butor, c'est un rat crevé qui palpite.
 
La sagaie du châtiment et de la vertu vole en direction de son but et ne dévie point. Sans émotion, sans hésitation, sans haine ni amour, parfaitement insensible. 

Elle est uniquement juste.
 
Rien de moins, rien de plus.

Et transperce ce coeur dans un bruit flasque de viande pourrie.

VOIR LA VIDEO :

mercredi 21 décembre 2022

1924 - Un trou sous le ciel

En mars là-bas la glèbe est noire.
 
Comme dans n'importe quel bourbier de sous-préfecture en cette saison de hallebardes, certes. Mais bien davantage dans cette campagne d'enterrés qu'ailleurs, car il y a, en plus, le poids de la boue.

Et la légèreté du ciel en moins.
 
Les spécialités du coin, ce sont ses misères : l'ombre de l'horizon, l'insignifiance des bois, la banalité des jours sans éclat, la torpeur des chemins qui mènent à des destins de deuil.

Et à des espoirs de néant.
 
Avec, dans les brumes, ainsi qu'une vallée de pleurs, des foyers comme des tombeaux.
 
Mornes maisons habitées par des morts-vivants malheureux de vivre, heureux de mourir.
 
Notons l'odeur de cave se dégageant des demi-animaux bipèdes qui peuplent ce trou d'inertie... Et les stigmates de l'ennui sur leurs faces de défunts. Ils naissent sans fracas ni artifice, aiment leur cabot ou leur âne, puis trépassent en sourdine dans une mare d'immobilisme ancestral où s'enfoncent allègrement leurs semelles crottées.
 
Et pataugent gaiement les canards.
 
Relevons encore l'épaisseur des trognes qui s'accorde si parfaitement avec l'enclume des soupirs.
 
Clinchamp est un paradis de sublimes platitudes où se retirer, loin des tapages du monde, afin d'y gémir en paix de l'aube au crépuscule, le regard dirigé vers des nuages aussi pesants que des nappes de plomb.
 
Et fermer les yeux la nuit pour mieux fuir les naufrages de la journée.
 
L'esthète vient y pleurer de bonheur morbide. C'est le décor idéal pour y déverser ses flots choisis de regrets. Et se noyer dans une mélancolie au goût de miel. Comme dans une mer d'huile et de silence, sans faire de vagues. En compagnie d'oiseaux déplumés et de rats glorieux.
 
En ces lieux sans histoire le présent est une pure absence de vie, le passé un ossuaire d'heures perdues, le futur un rêve déjà inhumé.
 
C'est au fond de ce jardin d'oubli, entouré de ces espaces innommés, dans le ventre de cet ogre malingre, au sein de ce brouillard momifiant que je souhaite m'éterniser.

Pour me faire dévorer par la gueule céleste.

VOIR LA VIDEO :

1923 - Hauteur de la Lune

Elle est l'ombre et le feu, la flamme et la mort, la lumière et la nuit, le songe et la pierre.
 
Elle vole dans nos rêves, vogue dans l'océan du vide, vaguement humaine avec sa tête simiesque, lointaine avec ses airs astraux, proche à travers ses allures terrestres, aussi tellurique qu'éthéréenne...
 
La Lune est un globe ambigu au visage familier, à la face lumineuse et aux réflexions ténébreuses.
 
Elle est un corps céleste obscur, une gueule ouverte dans le noir et un clin d'oeil dans le ciel en plein jour.
 
Elle s'illumine le soir pour s'éclipser à l'aube, tantôt pleine de pâleur, tantôt à moitié brillante, toujours éclatante de beauté morbide.
 
Dans ses orbites les hommes n'y voient que du flou : son regard d'aérostat pétrifie les fous, réveille les dormeurs, brûle les insomniaques.
 
Et fait braire les ânes que sont les poètes.
 
Tout son esprit est là, précisément : elle tourne, inconditionnelle, indifférente, hautaine et magistrale dans son royaume de solitude et de sommets, beaucoup plus haut que nos vues basses de sombres mortels.

Cette bulle aux yeux globuleux errant maladivement dans les fumées de notre imagination n'en finit pas d'aller et venir entre nos coeurs limités et l'infini de l'espace.

VOIR LA VIDEO :

mardi 20 décembre 2022

1922 - Nulle part, là-bas, ailleurs

Je chemine sur une route bordée de néant, entre des fossés ruisselants d'insignifiances.
 
Au-dessus de ma tête, le ciel cadavérique déverse un crachin de novembre plein de promesses glacées.
 
Devant moi, une vallée d'immobilité. Ou plus clairement, une plaine pareille à une crypte. Agrémentée, tout de même, de quelques soupirs dans l'air. Ainsi entouré de ces invisibles agonisants, je me sens moins seul... Dans mon sillage, des bois coincés entre un horizon de léthargie et la certitude de s'enraciner dans l'oubli, des ombres traversant les champs et autres fantômes sans surprise, des empreintes d'habitudes figées dans la boue et des statues de monotonie qui se confondent avec le paysage.
 
Un silence de souche règne dans cette campagne désespérée où l'oxygène y est saturé d'ennui. Il n'y a pas une brindille de vent, pas un cheveu de mouvement, aucun cil de vie, rien que des flots d'inertie et des rafales de grisaille. Et pourtant je vole dans ce vaste crépuscule, le coeur en fête, tel un papillon d'automne emporté dans un tourbillon de feuilles mortes.
 
Je rêve, l'âme affolée, le pas brûlant, m'enivrant de l'humidité comme d'un nectar de souvenirs marécageux.
 
Ce cimetière champêtre débordant de l'humus du sol et de l'huile rance du vieux temps m'enchante. Je trouve ici mon véritable élément : le froid, le peu, l'essentiel.
 
Au milieu de cette tempête de morosité, je suis une flamme ! Au centre de cette terre semée de torpeur, je palpite et m'embrase ! Dans cette impasse naturelle où convergent pluies et tristesse, je deviens un océan de lumière ! L'austérité du réel me fait pousser des ailes. Le poids des ténèbres me force à m'alléger. La misère du dehors fait ressortir mes feux intérieurs. Les cailloux sous mes semelles me remplissent d'azur. Les étendues noires qui m'entourent m'éclairent. Ce jour de plomb me fait monter comme une plume.
 
Ici tout est vague et lointain mais j'y vois très clair. Ma peau est dure, mes sentiments sont vrais. J'avale la mélancolie des lieux et recrache de la joie.

Cette cambrousse obscure dans laquelle je m'envase, ce stade zéro du présent où le monde s'enlise, cette place remarquable d'un passé mortel, ce point de départ d'un avenir inexistant où personne d'autre que moi ne désirerait s'égarer, ce nulle part depuis lequel je puis percevoir l'infini, ce sommet ignoré de notre siècle enfin sur lequel je puis contempler l'Univers entier, se nomme tout humblement Clinchamp.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 16 décembre 2022

1921 - Belle Lune

Lorsqu'elle est pleine, ronde, telle une boule d'éther dans l'encre de la nuit, avec son regard de glace, son front mélancolique et son air impénétrable, elle séduit ses élus.
 
C'est-à-dire nous les loups, les sangliers et les hiboux... Nous les égarés de ce siècle, nous qui sommes sortis des chemins balisés, nous qui préférons le vrai à l'artifice.
 
Sa présence est ambiguë, aussi pesante qu'aérienne. Comme une flamme trop douce pour être un feu, trop claire pour se réduire à un rêve.
 
Son globe de cendre et de miel pourrait s'apparenter à une ombre lumineuse ou à un spectre de pierre, à un oeil mort dans le ciel ou à une bulle de silence montant au firmament tout en dégageant un charme inquiétant sur notre Terre.
 
Cette chandelle n'éclaire véritablement que les toits de chaume et les âmes de plomb.
 
La Lune se reflète sur la paille, les tombes et les mares. Et pénètre le fond des êtres inspirés.
 
Elle est faite pour alléger les sabots et tenir compagnie aux solitudes, escorter les vagabonds et réchauffer les moribonds, lustrer les misères et illuminer les veillées funèbres.
 
Les coureurs des bois aux vies chargées de sens, les chantres de la simplicité et les coeurs alourdis de peines apprécient cette intruse mortuaire, ce visage nocturne, cette amie des heures profondes.
 
Pour nous les rats aux gueules de lumière, elle est bien plus qu'une bille qui luit bêtement dans les ténèbres, autre chose qu'une figure pétrifiée de nos insomnies, et quand vient le jour, encore mieux qu'une balle perdue dans l'azur.

A nos yeux, elle est essentiellement, tout bonnement et tout sobrement... belle.

VOIR LA VIDEO :

mardi 13 décembre 2022

1920 - Salades lunaires

Elle me manque, je l'attends comme j'attendrais une femme que j'aime et qui m'ignore.
 
Je brûle de folle poésie pour sa lumière de glace et sa face mortuaire, m'enfièvre d'amour pour ses apparitions nocturnes, m'enflamme de désir désincarné pour ses déserts de pierres et ses monts indolents.
 
La Lune que j'adore, qui est tantôt d'or, tantôt d'air, parfois dure, souvent froide mais toujours pleine d'art, qu'elle soit sombre, claire, âpre ou légère, la Lune disais-je, ne passe jamais au-dessus de ma tête sans que j'en sois touché chair et âme.
 
Indifférente à mes émois, elle s'allume le soir, brille la nuit, s'estompe avec le jour et me laisse veuf, désarmé, moi qui l'admire depuis toujours, les pieds dans mon potager, les pensées dans les nuages.
 
Entouré de mes carottes, choux-fleurs et haricots, je m'enracine alors dans mes rêves de conquête lunaire et imagine que je m'envole jusque dans l'éther où séjourne ma bien-aimée.
 
Et, les semelles bien posées sur la terre de mon jardinet, perdu dans mes rêveries de bonheur immatériel, le corps immobile, je la rejoins dans les hauteurs sidérales de mon esprit détaché des lourdeurs de ce monde où je végète en compagnie de mes plantations horticoles.

Et c'est ainsi que l'on me retrouve de temps à autre étendu entre mes sillons jusque midi, le visage dans les légumes, hagard et mélancolique, le regard fixant d'invisibles étoiles.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 8 décembre 2022

1919 - Lettre à Reynouard

Monsieur,
 
J'ai été soulagé d'apprendre à travers votre lettre publiée sur FACEBOOK que vous viviez avec sérénité votre épreuve carcérale.
 
Vous ne reniez rien de vos convictions, de vos rêves, de vos thèses, seul face à l'iniquité d'un monde oppresseur, intolérant, dictatorial et injuste, ce qui est honorable de votre part.
 
Personnellement je ne crois pas un seul mot de ce pourquoi vous vous battez (avec vaillance, d'ailleurs), mais je défends et respecte votre droit inaliénable à l'éloquence.
 
C'est-à-dire, avoir l'assurance de pouvoir plaider pour des choses discutables, voire de se tromper. La permission de croire en des fables et de les divulguer. La possibilité de nier des évidences pour telles ou telles raisons, qu'elles soient valables ou non.
 
Et même l'autorisation, sans limite, de faire preuve de totale mauvaise foi.
 
Je souhaite protéger votre liberté de vous exprimer, ce bien fondamental dont on vous prive. Un acquit inviolable de la Révolution, prétendument chéri par la République et ses adeptes les plus acharnés. Mais qui en réalité est depuis trop longtemps bafoué par ceux-là mêmes précisément dont on serait en mesure d'attendre la plus grande bienveillance...
 
Le monde est imparfait, nous le savons bien, et les lois humaines ne seront jamais à la hauteur des idéaux des individus les plus remarquables de l'Humanité, dont vous faites partie. Vous incarnez la saine contradiction, l'ouverture de la parole, l'élargissement de la réflexion, et contribuez d'une certaine manière au progrès de la pensée.
 
Bien que je n'adhère nullement à vos points de vue audacieux, il est de toute façon toujours très intéressant de vous écouter. J'admire votre rhétorique aussi courageuse que lumineuse. Rien que pour cette raison votre propos, aussi contesté soit-il, a sa place légitime dans le concert mondial des idées, des avis, des théories, des sagesses et des folies, des réalités et des mirages, des humeurs et des raisons, des rires et des larmes...
 
Bref, votre place ne devrait pas être en prison mais sur une tribune.
 
Nul ne devrait impunément exercer ce pouvoir abusif, arbitraire, honteux de priver l'Humanité de votre intelligence au nom du triomphe des "vérités officielles", lesquelles sont souvent des doctrines douteuses, comme on le sait.
 
Sachez que vous n'êtes pas seul, si les opinions générales de la plupart des gens ont été forgées par les médias de gauche manipulateurs et totalitaires, il existe néanmoins un noyau dur d'âmes intègres, lucides et éclairées qui savent discerner le bon grain de l'ivraie.
 
Beaucoup de français vous soutiennent. Non spécifiquement pour le contenu de votre discours (on peut être d'accord ou non avec vos écrits, là n'est évidemment pas la question), mais pour cette flamme, cette hardiesse, cette exemplarité avec lesquelles vous osez défier "l'évangile des vainqueurs". Je souligne au passage cet esprit chevaleresque qui vous caractérise et que n'ont pas vos adversaires, parfois féroces et haineux.
 
Je n'ai pas peur d'afficher publiquement mon soutien à votre cause, pour les raisons citées plus haut (et je vais même publier cette présente lettre sur mon blog IZARRALUNE, ainsi que sur mon compte FACEBOOk). Je n'ai pas honte de vous compter parmi mes amis, si vous consentez à me faire cet honneur. J'en serais très fier. J'ai de l'estime pour les hommes de votre trempe qui assument jusqu'au bout leurs choix et portent leur croix sans chanceler.
 
Nous pensons à vous, nous les défenseurs du véritable humanisme. En tant que citoyens libres, nous estimons que nous devrions avoir le loisir d'examiner d'autres versions de l'Histoire, de souscrire à des dogmes différents que ceux imposés par les manuels scolaires, et nous serons à chaque fois aux premières loges pour dénoncer ces graves atteintes dont vous êtes victime de la part de la France, pays supposé garantir cet avantage, cette priorité, ce bénéfice d'exposer sans retenue vos vues historiques personnelles, quelles soient vraies ou fausses...

Je souhaite de tout cœur que votre cas soit révisé, votre libération prompte et votre nom réhabilité.

VOIR LA VIDEO :

lundi 5 décembre 2022

1918 - MARGUERITE OU L'HISTOIRE D'UNE VIEILLE FILLE

Aux lecteurs alléchés nous aurions pu présenter Marguerite, le sujet central de cette histoire, comme une superbe quinquagénaire.

Une femme mûre avec de beaux restes de rêve, faite pour réveiller les appétits de l’homme blasé. L’incarnation éclatante, dorée au soleil de l’expérience, d’un l’idéal féminin qui n’en finit pas de produire des fruits savoureux au fil des ans... C’est-à-dire, dotée des charmes de la jeunesse miraculeusement prolongés au-delà de ce qui est ordinairement permis. Bref, nous aurions assuré que cette Marguerite-là se déployait tel un papillon de salon destiné à éblouir durablement les mâles. Avec tous les espoirs qu’un tableau si parfait pourrait susciter chez les adeptes du romantisme éternel.

De quoi bien commencer le récit de cette étincelante aventure logiquement vouée à se terminer en un feu d’artifices qui ne devrait raisonnablement pas s’éteindre de sitôt dans vos coeurs, vous qui lisez ces mots...

Sauf que nous serons plus près de la vérité en annonçant les vraies couleurs de la “créature” : proche du monstre, loin de vos illusions.

1 - CHOC HORMONAL

C’est la légende du pire et non du meilleur que vous allez lire ici. La folle comédie d’un hymen né pour la misère, la sinistre figure d’une guenuche conçue pour un inaccessible bonheur. Et qui devra se contenter des miettes à portée de sa bêtise. En effet, ce plaisant laideron au destin aussi prodigieux qu’acerbe, héroïne de ces écrits acides et noires merveilles, n’avait pas la totale conscience de ses limites. Le mince pouvoir de séduction de ce chardon en chignon paraissait flagrant. Un simple "détail" selon son propre décret. Un sujet secondaire, une moindre chose pas assez sérieuse pour que ses potentielles conquêtes daignassent s’y attarder...

Se croyant appétissante sous d’autres allures, la fleur flétrie nommée Marguerite comptait bien faire payer à ses futurs amants un prix immodéré pour l'accès à ses flasques trésors.

Ne fût-ce que par son seul statut de femme, cette herbe sèche pensait représenter un objet de convoitise auprès de la gent virile, qu’on le voulût ou non, et pouvoir sans effort se hisser sur un trône imaginaire aux côtés de Vénus. Quoi qu’elle fît, sous prétexte que son flanc était demeuré sans tache et son intimité en attente de saillies, elle restait persuadée de faire partie des élues prioritaires de l’alcôve.

Resplendissante de ridicule, bien à sa place dans son rôle phare de naufragée du monde moderne... Pitoyable et drolatique singerie de l’amour !

Evidemment, l’hypocrite gargouille avait de tout temps mis son insuccès sur le compte de la préservation de sa vertu. Ses froideurs à l’égard des hommes ayant toujours été farouchement érigées en flèches glorieuses destinées à l’écarter de l’enfer de l’impiété et de l’ordure du plaisir illégitime. 

Mais après des décennies d’abstinence, tenaillée par la rage du désir, le naturel avait fini par rattraper ses chimères. Et la vierge pieuse, forcée par les lois majeures de ses hormones en ébullition et de ses pensées chauffées à blanc (ces dernières commençant à se dérégler), avait décidé de devenir la plus honorable des putains.

Ni ses missels ni ses « pratiques honnêtes » n'avaient su contenir le volcan qui grondait en ses flancs depuis ses premières règles. Il avait bien fallu qu'elle se rendît à l'évidence, à plus de cinquante ans : le diable de la lubricité hurlait en elle. Les nerfs éprouvés, les humeurs fermentées, ses fantaisies tournant aux plus délicieux des cauchemars libidineux, succomber au péché était devenu une question de santé. La raison lui sembla on ne peut plus légitime.

Couverte par cette excuse, elle pouvait désormais se vautrer dans les turpitudes charnelles qui la hantaient en secret. Le siècle l'absolvait.

Elle se devait de prouver à tous son « humanité ».

A travers son imperfection, sa « chère imperfection » aimait-elle à répéter non sans orgueil, l'immodeste oie blanche voulait montrer à quelle hauteur d'humilité elle était parvenue en empruntant le chemin des concessions, marche après marche… Elle tirait gloire de ses infirmités morales, comme un gage de pauvreté devant Dieu et un aveu d'authenticité devant ses semblables.

Elle avait trouvé là une forme subtile, tordue et toute personnelle de perfection qui arrangeait bien ses affaires... Ce qui lui permettait de donner libre cours à ses pires penchants, le cœur bien pourri mais l'âme légère. 

S'accepter aussi misérable que possible la remplissait de satisfaction malsaine. Elle se sentait grandie en assumant de se rouler dans la fange, que ce fût par faiblesse ou par opportunisme. Ou pour de bien pires raisons...

De la même façon qu'un martyr accepte l'enfer de son sort terrestre par amour du paradis convoité. A la différence que la misérable voulait jouir ouvertement de sa condition de pécheresse...

Bref, se croyant dédouanée par le Ciel du fait de sa position « privilégiée », elle se résolut sans aucun remords à sauter à pieds joints dans le gouffre insondable de sa sottise.

2 - NOUVELLE TOILETTE

La porte de sa liberté sexuelle étant grande ouverte, elle se précipita avec ardeur et en toute indécence dans un bazar de vêtements de mode bon marché, l'énorme crucifix encore bien en vue entre ses mamelles absentes. Consciente de la nécessité de réformer son existence au nom de la sauvegarde de son intégrité mentale, elle n'en chérissait pas moins ses dévots ornements. Il ne s'agissait nullement de renier sa flamme religieuse, loin de là. C'était plus pervers encore : elle pratiquait la religion de l'ostentation en toutes choses, que ses intentions fussent claires ou obscure, franches ou troubles, saintes ou dépravées. L'essentiel pour elle était de faire son théâtre. 

Rien ne pouvait plus entraver son fol élan vers la déchéance. Avec sa fortune patiemment accumulée de rentière avaricieuse, elle avait de quoi se parer des pires atours afin de plaire aux hommes de son choix, c'est-à-dire à personne.

Voulant s'embellir, elle s'enlaidit tout à fait.

Et pour fort cher, finalement ! Ses goûts vulgaires, ses braises obscènes, son manque de discernement l'avaient transformée, au sortir du magasin, en véritable maquerelle. Tous les codes du genre y avaient été involontairement adoptés. Ne se rendant nullement compte de son image grotesque, l'immonde poupée de strass alla parfaire sa décrépitude chez le coiffeur. Elle en ressortit avec une tête hideuse faite d'un mélange de traits ingrats et de mèches d'or puériles, risibles, qui la déparèrent totalement. A sa disgrâce naturelle, elle avait ajouté de la laideur artificielle. Le tout donnant à sa face, à sa silhouette un aspect criard, inauthentique, esthétiquement choquant, outrageux. Précisions que, désireuse de mettre en avant la disponibilité soudaine de son hymen aux yeux des galants, la croix pectorale avait disparu sous la dentelle de son chemisier au goût douteux. Fin prête pour le grand saut dans l'abîme des plus sombres embrasements, elle espérait le vertige. C'est ainsi accoutrée qu'elle s'empressa de rejoindre son foyer de vieille fille. Et là, sans pudeur, tout à son aise, elle se farda outrageusement. Puis s'admira longuement face à son miroir, heureuse de sa transformation. Comme une vache osseuse qui se serait changée en rutilante morue.

3 - TENTATIVE DE SÉDUCTION

Sa première nuit de « femme désirable » (mais non encore désirée) fut peuplée de songes immodestes, enflammés, scandaleux. Elle s'y voyait déjà ! Entourée d'éphèbes imaginaires aux regards enfiévrés, elle rêva de chevauchées lubriques improbables, fantastiques, répugnantes... Ses fantasmes lui avaient fait perdre tout sens de la mesure et surtout, surtout, tout sens de la réalité : elle s'était enfoncée davantage dans l'illusion d'être séduisante. Elle se croyait irrésistible. Et elle l'était en effet : dans la clownerie involontaire. Définitivement pitoyable sous sa vieille peau de dépravée en mal de coïts de cirque, avec son maquillage de gugusse... La cosmétique hurlante débordait, dégoulinait, vomissait de ses orbites de déjà morte, de ses lèvres pincées, de ses pommettes anguleuses. Comme un crâne que l'on aurait peinturluré afin de le rendre encore plus affreux et macabre.

Au réveil, parfaitement conscience que des lustres de vertueuse abstinence allaient être sacrifiés, en toute justification, sur l'autel de son hygiène mentale, elle se leva triomphante, comme si elle n'attendait que ce jour depuis sa lointaine puberté... A la vérité, l'infâme bigote était plus préoccupée par le stupre lui-même que par l'équilibre de ses humeurs, la propreté de ses idées.

Elle choisit de se rendre dans la ville voisine où nul ne la connaissait, afin d'y exercer ses charmes cadavériques. Pour ce baptême du feu (et de l'ordure), elle porta le même déguisement indécent que la veille. Allié au grimage outrancier qui allait si bien avec...

Puis, parada dans la rue principale de la cité, affublée de ses odieux atours, bien décidée à remporter sa première « palme du bonheur » lors de cette pêche à l'amant... D'allées en venues, elle s'exhiba toute l'après-midi devant les commerces, les demeures bourgeoises, les passants, dans une espèce de chorégraphie nuptiale incongrue, maladroite, déplacée. Et fit sensation. Comme un sapin de Noël au milieu d'un champ de betteraves. On ne vit plus que l'horreur de sa toilette, la lourdeur de ses effets, la misère de ses faux éclats. Bientôt il ne fut plus question que de la vision de cette verrue lustrée déambulant dans l'artère principale de cette sous-préfecture où, ordinairement, le moindre événement prend des proportions démesurées. Avec cette apparition, ce fut un séisme. On se retournait sur son passage, choqué, moqueur, consterné. Et les commentaires allaient bon train. Evidemment, aucun cavalier n'alla tomber dans la toile de l'araignée. Et à l'issue de cette première journée de tentative de conquête amoureuse, toute étonnée de n'avoir point été abordée par quelque fringuant moustachu, elle s'en retourna chez elle, fatiguée, dubitative, quoique fort heureuse de cette sortie en grande pompe signant son entrée fracassante dans le monde des « repus de la chair ». Bien qu'elle restât affamée de sexe, l'hymen toujours aussi creux qu'au matin.

4 - REVUE DE VIE

Contrairement à l'homme qui est un chêne, la femme qui n'est qu'une fleur vieillit toujours mal. Sauf que Marguerite, plus proche de la ronce putride que du pimpant pétale, avait toujours été égale dans la disgrâce. Le temps sur ses traits repoussants demeurait sans effet. Piètre avantage dont elle n'avait d'ailleurs nullement conscience. Elle pensait au contraire pouvoir profiter de sa « verdeur capitalisée », comme si l'usage des rires, des plaisirs naturels et de la joie gâtait les jeunes natures... Et que leur rétention prolongeait les fraîcheurs de l'âge vernal... Elle revoyait ses années de solitude passées dans la dévotion. Et se glorifiait de n'avoir jamais succombé à la souillure, satisfaite de cette existence de renoncement qui lui conférait, au moins à ses yeux, une très haute valeur en tant que « vierge de choix ». Néanmoins elle n'oubliait pas que durant cette période d'intense piété, son horizon céleste ne s'était pas totalement maintenu au bleu fixe. En effet, partagée entre la joie amère de son célibat et la jalousie à l'égard de ces femmes qui jouissent sans entrave des plaisirs de la vie, elle s'était souvent demandé si elle ne perdait pas ses plus beaux jours à chanter le Ciel dans l'ombre des églises... Cela dit, dans l'absolu le résultat revenait au même puisque, pieuse ou non, jamais elle n'aurait pu porter les joyaux pétillants de l'érotisme. Même si elle l'ignorait, sa laideur la condamnait.

Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle avait connu des nues radieuses dans son olympe de rombière, certes sclérosée au fond de sa province mais loin des vacuités du monde, si près de ses idéaux de bonheur désincarné... Et c'est en toute sincérité qu'elle avait goûté à cette joie âpre, sans arrière-pensée ni aucune malice. Elle se remémorait ces années bénies où, emportée par le vent de l'ivresse divine, elle sentait que des ailes l'allégeaient, que des sentiments sacrés l'illuminaient, que l'humble extase de la messe dominicale suffisait à combler son être d'authentiques délices... Notamment lorsqu'elle écoutait les chants rituels qu'accompagnait l'harmonium. Elle avait même la nostalgie de ces moments de pureté récompensés par tant de bénédictions... Oui elle avait été heureuse, à sa manière, seule et exclue, réfugiée dans sa virginité comme sur une île déserte. Entourée de l'immensité de l'océan, avec la vue sur l'infini. Isolée, abandonnée mais inondée par les clartés du ciel et de la mer. Son horizon sans borne à elle, c'était son feu de cheminée, ses promenades au cimetière, son jardin qui ponctuait les saisons, enfin c'était également la splendeur mystérieuse du firmament au-dessus de son toit.

L'âme humaine n'est jamais faite tout d'un seul bloc. En réalité des nuances très subtiles, parfois contradictoires, constituent ces natures inattendues que nous sommes tous à divers degrés. Marguerite illustrait parfaitement cette vérité. D'autant mieux que les apparences les plus crues avaient facilement trompé les rares observateurs qui s'étaient penchés sur son cas. Ceux qui prétendaient connaître Marguerite la connaissaient fort mal. Ils faisaient vite une caricature de ce sujet d'une complexité insoupçonnée.

Elle songeait ainsi à son passé d'esseulée, de naufragée volontaire de l'amour, mais fut vite sortie de ses rêveries : la fièvre de sa féminité lui rappela l'urgence de sa situation. Elle voulut rebondir sur l'échec de sa première expédition amoureuse. L'incendie rongeait ses nerfs. Elle avait soif d'assauts virils et de flots de foutre ! Pour le lendemain, elle devrait preuve d'une incroyable audace si elle voulait devenir le réceptacle à mâles digne de son éternelle attente.

5 - SAILLIE PAR UN NÈGRE 

Plus que jamais motivée dans ses desseins concupiscents, le matin suivant, alors qu'elle s'était rendue cette fois dans le parc de l'autre ville, là-bas un inconnu l'aborda de façon brutale, en un braillement irrespectueux à peine articulé, comme si un quadrupède beuglait sur une chamelle. Le cri d'un bourricot à l'adresse d'une bête de somme. Cet âne en gros sabots qui l'interpellait de la sorte était un Noir, ivre, débraillé, désinvolte, inquiétant... Mais néanmoins bien bâti, masculin, de moeurs faciles, susceptible de désaltérer la carne desséchée de l'affreuse esseulée. Entre ces deux bipèdes-là, tout commençait de toute évidence comme une idylle animalière. Pour la première fois dans sa longue vie de chasteté, elle recevait un signe d'intérêt de la part d'un représentant du sexe opposé. Certes ce soupirant était hagard, imbibé d'alcool et peu regardant sur la qualité de ses convoitises, mais peu importe, c'était un cerf, un producteur de semence, un arroseur de roses enfin. Marguerite se prenait toujours pour une oeuvre de choix, surtout avec ses artifices vestimentaires décadents et son maquillage chargé. L'Africain considérait toute femme blanche comme un trophée, qu'elle fût banale ou séduisante. Voire franchement repoussante. D'ailleurs quelle différence à ses yeux ? Une Blanche était une Blanche, c'est-à-dire un objet de valeur à conquérir, le symbole de la réussite sociale, la richesse ultime à acquérir lorsqu'on émigre vers l'Europe. Abruti par les brumes de la boisson, le prétendant envisageait d'accéder à une autre ivresse, plus intime, émoustillé à la vue de cette vieille pintade attifée comme une autruche de carnaval. Marguerite s'approcha du gaillard, se présenta en termes choisis comme une célibataire en quête de découverte amoureuse. Sur quoi l'ivrogne lui fit comprendre en quelques grognements significatifs qu'il était l'homme de la situation et, ouvrant sans façon sa braguette, en sortit une énorme, longue, massive verge turgescente ! Surprise, paniquée, émerveillée, suffoquant d'indignation tout en soupirant d'admiration, ne sachant que faire, elle demeura pétrifiée. Tout était arrivé si vite, sa vie de névrotique abstinente allait se dénouer si précipitamment, si grossièrement, si prosaïquement ! Mais après tout, n'était-elle pas venue se jeter dans la gueule de l'ogre pour cela, précisément ? Ce qui se passa dans le jardin public ce matin-là, au fond d'un fourré, fut à la hauteur d'un inimaginable roman, le pire de tous et le plus extraordinaire à la fois : celui de la vraie vie. Des ébats immondes et sublimes, salaces et poétiques, bestiaux et romantiques eurent lieu dans le secret des buissons. 

Elle ramena cet amant improviste dans son foyer. Le tout premier luron à atterrir dans sa cellule de nonne. Elle lui fit faire ce voyage extraordinaire de la Terre du XXIème siècle jusqu'à sa bulle de recluse. Le congoïde, hilare et ravi de l'opportunité, réclama bientôt à manger. Trop heureuse de nourrir un affamé de sexe à la mesure de ses femelles appétits, elle lui proposa ce qu'elle avait de mieux : patates, pommes et pain. Le festin fut festif. A l'issue de ces triviales ripailles, les deux tourtereaux convinrent très solennellement à une durable et sérieuse union. Ce qui fut vite et bien fait, quoique rien ne prit un caractère officiel dans cette grave affaire car désormais il n'y avait plus de temps à perdre mais l'essentiel à rattraper. L'heure n'était plus aux artifices des sempiternelles séductions et mièvres promesses de fadaises, mais à la charnelle action. Les deux oiseaux s'étaient trouvés : l'un et l'autre avaient une égale avidité pour les graines de la luxure.

Leur envol vers les pics de l'impudeur et du mauvais goût s'annonçait fulgurant.

La débauchée fut présentée dès le lendemain à l'entourage du Nègre telle une prise de guerre conquise en terre blanche. Le triomphe de l'immigré fut total. Tous trouvèrent aimable, distinguée, solaire la laide et stupide femme. Pour la seule raison qu'elle était de race caucasienne. La renommée de l'exogène était faite : en séduisant cette Blanche-Neige il avait atteint le graal de tout exilé ciragé qui se respecte. En gagnant l'hymen de cette « beauté » laiteuse, l'enfant de Cham venait d'obtenir son diplôme de passage pour le paradis blanc.

C'est ainsi que, placée sur un piédestal inespéré, elle brillait autant qu'un caillou sur un tas de charbon. A travers le regard vainqueur du grand méchant loup qui l'avait étreinte, elle se sentait reine. Et trônait désormais non plus sur les toiles d'araignée sans mystère de sa maison mais sur un royaume de marécages flatteurs et d'égouts prometteurs. Un nouveau monde à explorer.

Elle entreprit donc de partir à l'aventure des sens sans plus tarder, la chair déjà bien avivée par les premiers orages de la veille...

Les jours suivants elle expérimenta donc les sommets les plus élevés de la sensualité. Mais aussi les gouffres puants du vice. Rien de ce qui en ce monde était censé incarner les « folies amoureuses » ne devait lui être étranger. Elle voulut goûter absolument à tout ce qui était connu dans le « palais de l'amour humain », à chaque étage. Des rats dégoûtants de la cave jusqu'à l'écume aérienne crachée par la cheminée. Du purin aux nuages. Elle passa ainsi sans nuance des plus poisseuses pesanteurs du corps aux plus sirupeuses légèretés intérieures, allant et venant dans la même journée entre les crudités de sa crapulerie et les puérilités de sa sensibilité. Elle s'adonna sans honte à toutes ses passions utérines autant qu'à ses fumées sentimentalistes. Ce fut une orgie de pratiques sexuelles fangeuses mêlées d'écoeurantes mièvreries romantiques. Le mélange improbable, outrancier et grotesque de la merde et de la guimauve. La niaiserie et l'infamie versées dans une même bassine de vulgarité.

6 - SAUVER LES APPARENCES

Après avoir sondé les tréfonds miasmatiques de la licence et du déshonneur, rassasiée de vins infernaux, la quêteuse de ténèbres voulut remonter dans les neiges de la respectabilité citadine. Et ce, afin de continuer à y afficher les blancheurs mensongères de son image publique. Complaire à son épicier équivalait pour elle à une sorte de rédemption. Le plus important était d'être dûment intronisée dans la boutique emblématique du boulevard où pouvait se reconnaître toute ménagère convenable. Cela suffisait, à ses yeux, pour garder la tête haute. Elle pouvait conserver ainsi des dehors honnêtes. Et même arborer des airs supérieurs.

Accompagnée de son chevalier à l'épiderme exotique qui lui tenait le bras comme le crève-la-faim s'agrippe furieusement à son gros pain acheté à la boulangerie du coin, elle se promena en ville en espérant secrètement éveiller l'envie auprès des mères de famille. Elle n'inspira que pitié et moqueries.

Elle devait avant tout, elle le croyait religieusement, attester devant chaque vitrine, chaque échoppe, chaque carrefour, qu'elle était restée intègre. Autrement dit, vieille pucelle.

Il fallait qu'elle arpente les trottoirs avec dignité en portant un masque persuasif. Un profil factice qui devait faire office de visage permanent. Bref, cyniquement au courant des rouages de la société, elle estimait que la reconnaissance dépendait directement de l'épaisseur de son vernis. Il lui suffisait d'insister sur ce seul point, rien ne pouvait être plus utile que l'exhibition de ses surfaces clinquantes. Ses profondeurs, elle les réservait à des causes exclusivement célestes. Une toute autre affaire... A revisiter en des circonstances plus congrues.

Mais revenons sur terre. Convaincre les éventuels incrédules avec des mirages éloquents revenait à gagner en toute légitimité une belle médaille à ce jeu universel de l'hypocrisie. Pourvu qu'elle goûtât aux effets bénéfiques de ce mensonge bien intentionné, la danse de ce bal tournait dans le bon sens.

L'entreprise manquait certes de noblesse, néanmoins le raisonnement sonnait juste.

(Á SUIVRE)