samedi 28 janvier 2023

1939 - Le ciel de Clinchamp

Mon éden indépassable à moi, mon île exotique, mon azur plein d'idéal est un repaire de rats des champs nommé Clinchamp !
 
Un trou puant de fumier, peuplé de bouseux oubliés du siècle et déjà enterrés. Une cambrousse crottée que j'aime follement, étrangement, maladivement.
 
Ce lieu béni à mes yeux, cher à mon coeur, indispensable à mon confort mental est la malédiction du citadin sensible, éduqué, frileux.
 
Là-bas, rien n'est attirant. Tout y est déprimant. Même l'herbe a la couleur de l'ombre. La seule beauté de l'endroit consiste en son néant. Et c'est exactement cela qui m'enchante. Dans cette contrée reculée, la légèreté céleste se mêle au désespoir des sillons. Pour mieux troubler les pensées, brouiller les repères, charger les âmes.
 
C'est un univers fait pour les oiseaux lourds et les tombes à l'abandon, les pluies de douleur et les soleils d'hiver.
 
Dans cette campagne loin du monde, l'espace est pur et le sol colle aux bottes. L'éther et le plomb s'y marient à merveille. Et l'égaré n'y croise que la solitude.
 
Ce pays de crépuscule n'est qu'un immense contraste entre le haut et le bas : un ciel clair au-dessus d'un enfer de grisaille et d'immobilisme, des nuages lumineux arrosant une glèbe noire, des ailes blanches qui se déploient sur des mares fangeuses.
 
Mais aussi une accumulation de naufrages : une brise de spleen sur des arbres aux apparences de spectres, une plaine trempée de léthargie, des chemins semés d'ennui.
 
Tout parisien en col amidonné qui échouerait dans ce gouffre de verdure s'y fracasserait comme une porcelaine tombée des nues. A moins que, moins chanceux, il ne s'enlise dans l'humus pour y mourir du lent supplice du désoeuvrement...
 
Bref, c'est une terre perdue sans autre issue que la mort. Ou l'envol.
 
Un royaume de simplicité anguleuse où les rêves subtils se brisent contre le roc de la trivialité.
 
Le refuge sublime de mon être dégoûté des finesses, artifices et extravagances de la ville.
 
Ce patelin de bovins et de purin est ma névrose dorée, mon cauchemar adoré, ma caverne décorée, ma retraite d'anachorète incorrect.
 
Là est ma grotte stellaire, mon rivage de glaise séchée, mon lit de songes sur une éternité de pierres.
 
Avec ma plume de fer pour épée et mon talon boueux pour vérité, je pars retrouver mes sommets.
 
Je chemine vers ce but étroit sans autre cause que mes aspirations d'ange et mes flammes de loup.

Clinchamp est un océan de torpeur à affronter, une tempête d’inertie à apprivoiser, une bête soporifique à terrasser.

Et un firmament de péquenauds à contempler.

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