mardi 28 février 2023

1965 - Sandrine, notre voisine

Tu étais venue t'installer près de chez nous, sans faire de bruit, pour y vivre à l'ombre des murs du Vieux-Mans, comme une fleur fragile. Nous commencions à nous connaître petit à petit, toi si frêle, nous si froids... Et puis à force de nous dire bonjour timidement, nous nous sommes raconté nos vies. Et tu es devenue Sandrine, notre chère voisine.
 
Quelques saisons se sont écoulées, nos liens se sont resserrés, peu de temps avait suffit pour cimenter cette amitié de bon aloi.
 
Et puis l'intruse est entrée dans ta vie. Cette maladie dont je n'ose plus prononcer le nom, ce mot terrible qui commence par un C et qui finit par un R, le fameux c...r.
 
Tu paraissais déjà si vulnérable avec tes allures de brindille... Mais tu as  su faire face. Invariablement, je t'ai vue digne et positive. Souriante, sans jamais te plaindre.
 
Je me souviens particulièrement lorsque, de retour de ville, cachant tes cheveux perdus à l'aide d'un foulard enroulé, tu déposais ton vélo fatigué au coin de la rue en le fixant à la grosse gouttière verticale. Là même où, moi aussi, j'avais toujours attaché le mien. En ce point stratégique nous nous croisions souvent, toi rentrant dans ton foyer, moi partant en vadrouille sur ma bicyclette de feu...
 
Alors parfois brièvement j'évoquais ton état de santé. Ou bien je me taisais, et tu comprenais mon silence, je crois. Je pensais que tu gagnerais ton combat. Mais tu l'as perdu.
 
En toute discrétion. A ton image.
 
Nous ne te voyions plus depuis des semaines, en effet. Et nous pensions que tu reviendrais après ton épreuve.
 
Mais tu n'étais déjà plus de ce monde. Nous ne le savions pas.
 
Nous avons appris la vérité quatre mois après ton départ.
 
Et nous n'avons pas eu le courage d'aller visiter ta sépulture au cimetière.
 
En souvenir de toi, par pudeur probablement ou pour une autre raison confuse en moi, je ne sais pas trop, depuis que tu es partie, je n'ai plus jamais apposé mon bicycle le long du conduit d'eau, là où tu avais l'habitude, toi aussi, de cadenasser le tien avant de monter chez toi.

Une manière, peut-être, de ne pas t'oublier.

Adieu, Sandrine notre voisine.

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