mardi 16 avril 2024

2155 - L'horloge

Je connais le secret des horloges.
 
Ce sont les gardiennes de nos jours mortels, de nos pensées arrêtées, de nos rêves figés : pendant que cheminent leurs aiguilles fatidiques, nous les fixons en regrettant nos vies monotones, en ressassant nos rendez-vous ratés, en méditant sur la pluie qui tombe ou sur les dimanches d'ennui qui s'étirent, interminables.
 
Nous avons tous sous nos toits des cadrans qui nous observent de leur face impassible, et que nous croyons sans âme. Quelle erreur !
 
En réalité, ces confuses présences respirent à chaque instant, à notre insu, sous leur carcasse de métal et leur visage de mystère.
 
Je viens de percevoir cette insoupçonnable étincelle à travers leurs palpitations mécaniques.
 
Leurs savants engrenages en disent long sur ce qu'elles nous cachent.
 
Je sais désormais que la pendule accrochée au mur de ma chambre est vivante, que son coeur bat du matin au soir, et que la nuit elle veille encore, tandis que je dors.
 
Sa trotteuse infatigable marche à pas saccadés comme un insecte de fer.
 
Petit à petit, elle compte les minutes de mon destin sans jamais se lasser. Et dans sa course raisonnée, n'en perd pas une seule. Réglée avec minutie selon l'autorité cosmique, soixante fois de suite à chaque plombe qui passe, humblement mais sûrement elle recommence sa route. Tout en en retranchant à mon existence, proportionnellement à sa progression.
 
Bref, le temps tourne en rond dans sa tête.
 
Et dévore tout.
 
Elle engrange inexorablement les heures, restitue en permanence le vide d'un passé qui s'évanouit au rythme de ses tic-tac et creuse un gouffre de néant tout en se dirigeant vers un horizon débordant d'avenir

Futur qui sera, lui aussi, condamné à mort. D'un coup sec. D'une seule saccade, seconde après seconde. Sans retour en arrière possible. Telle est la loi de ses rotations.

Perdue dans ses immuables calculs chronologiques, elle patiente au-dessus de mon lit, l'air de rien. En vérité, elle regarde s'écouler l'éternité. 

Et me tue à petit feu.

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