samedi 29 juin 2024

2181 - Les gens importants

Ils s'affichent avec de grands airs, portent des lunettes noires, promènent de hauts chapeaux sur leur tête et prennent l'avion plutôt que le train parce qu'ils n'ont pas le temps, les gens importants.
 
Avec leurs mines affectées, leurs allures hautaines, leurs carnets de rendez-vous remplis, ils sont toujours pressés, jamais à l'heure pour nous recevoir, nous les petits : nous ne valons pas assez à leurs yeux car selon leurs critères, nous avons le malheur d'être des sujets sans importance.
 
Nous les dérangeons, nous les simples anonymes.
 
Ils réservent leur ponctualité pour leurs égaux, ces hommes qui comptent, ces cravatés qui leurs ressemblent, ces êtres indispensables placés à la même hauteur que leurs regards supérieurs.
 
Ces intouchables sortent parfois de leur trou pour se manifester aux citoyens ordinaires que nous sommes dans leur splendeur, telles des apparitions furtives, inaccessibles, impressionnantes... Qu'ils soient directeurs, académiciens, papes, politiques, énarques, peu importe, ils nous en mettent plein la vue !
 
Sommités de toutes sortes, couronnés de tous pays, érudits de tous poils, détenteurs d'autorités morales, religieuses, intellectuelles, sociales, ils nous montrent leurs côtés brillants. Et nous nous sentons tellement insignifiants à côté d'eux...
 
Il est bien vrai que nous avons indubitablement affaire ici à des messieurs, à des dignitaires, à des pointures.
 
Et pour le dire comme il faut, à des illustres personnalités blindées de doctes certitudes, bardées d'authentiques diplômes, affairées derrière leurs bureaux dorés, négligemment installées au volant de leurs berlines aux vitres teintées... Des personnes considérables à ne surtout pas déranger pour des futilités ! Ces élites lustrées ont bien d'autres chats à fouetter que de nous consacrer leurs minutes précieuses !
 
Nul se pourrait remettre en question la raideur inébranlable de ces marbres vivants. Ces statues-là ne sauraient se tromper ! Quand on prend conscience de leur stature de monuments bipèdes, on comprend mieux la raison impérieuse de leurs moues dédaigneuses...
 
Etant donné que ces élus ne se prennent pas pour de la merde, il faut savoir qu'ils ne chient pas.
 
Eternellement constipés en vertu de la gravité de leurs fonctions, ils demeurent d'emblée loin de cette trivialité bonne pour les modestes quidams que nous incarnons.
 
Qui imaginerait de toute façon ces pontes en train de déféquer ?
 
C'est proprement inimaginable. Ce beau monde perché dans les sphères élevées de la société est composé de personnages décidément trop éminents pour que l’on ose en rire. On ne plaisante pas avec des individus aussi respectables.
 
Alors parlons de choses plus sérieuses, voulez-vous ?

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vendredi 28 juin 2024

2180 - Le Beau

Le Beau me soustrait à toutes les pesanteurs, il me fait décoller, m'entraîne loin, haut, vite.
 
Il m'allège, m'éveille, m'oxygène.
 
Il met de l'azur dans mes semelles, de la plume dans mon âme, de la lumière dans mes poches.
 
Il ajoute des ailes aux enclumes, des rêves aux cailloux, de la musique aux ténèbres.
 
Les éclats de la Création me font voyager : quand je me sens emporté dans les bras de la beauté, je vogue vers l'infini.
 
Un chant, un paysage, une scène charmante au détour du quotidien, un instant de grâce issu de l'ordinaire, la vision furtive d'un sommet au cours d'un jour simple peuvent suffire à me faire perdre la tête !
 
L'étreinte du Cosmos a sur moi de puissants effets. Lorsque je suis touché par le doigt de l'ange, brûlé par la flamme sacrée, illuminé par le souffle supérieur, enivré par le feu esthétique, je n'ai plus de poids.
 
Je deviens oiseau, papillon, étincelle, et je monte jusqu'aux nues, dépaysé, les pensées déjà dans un autre monde. Avec la divine impression d'avoir un astre à la place du coeur et la sensation palpable que de la clarté céleste entre par toutes mes portes.

Alors, perché sur mon nuage, le temps d'une fulgurance, la moindre brise de vent est pour moi l'équivalent d'une cause galactique.

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samedi 22 juin 2024

2179 - Michel Onfray

D'après un tableau du peintre Aldéhy

Il déverse la philosophie à grands flots lumineux à travers ses petites lunettes anguleuses.
 
Et éclaire nos écrans de ses réflexions pointues, allège nos bibliothèques de sa plume acérée.
 
Michel Onfray jette un regard salutaire et pourtant controversé sur notre société perdue. Lui l'oiseau de gauche aux ailes bien à droite, il dépasse les petitesses de nos vies étriquées pour se positionner supérieurement dans le ciel audacieux des penseurs d'envergure.
 
Il plane, sûr de son vol, dans les sphères azurées de la contradiction se jouant aux sommets.
 
Cet astre de notre siècle brille de mots en mots, magistral, mesuré, toujours paisible. Et vogue de monts en monts, imperturbable dans les hauteurs de ses pensées de marbre.
 
Il nous dévoile des vérités oubliées, nous rappelle nos racines enfouies, nous bouscule et nous réveille au creux de nos rêves de veaux avachis, nous qui parfois nous béatement égarons dans nos flasques crédulités et  autres illusions dorées...

Ce qui donne de la valeur à ses prises de paroles, c'est que précisément il se fie aux faits, au réel, au tangible, non aux fumées et délires de ces idéalistes du progressisme sans queue ni tête.

Lui, derrière ses verres carrés bien ajustés à sa face policée, il fait mieux que bêtement analyser : il médite.

C'est là qu'il exprime sa véritable intelligence.

vendredi 14 juin 2024

2178 - J'irai cracher sur leurs charentaises !

Moi je ne fréquente que les aristos et les clodos, les intellos et les illettrés, les fortunés et les fauchés, les parfumés et les puants, les huppés et les gueux.
 
Mais certainement pas les tiédasses, les insipides, les modérés, les édulcorés, je veux parler de ces demi-portions issues des classes moyennes !
 
Je méprise ces ambitieux de la médiocrité, ces conquérants de l'indolence, ces rois de l'ordinaire épris de toutes les fadeurs ! Leur pâle félicité est celle des limaces. Ils ont érigé leur flasque nivèlement en idéal indépassable.
 
Ils donneraient leur sang de larves, s'il en avaient le courage, pour préserver leur bonheur d'incolores mollusques, leur confort de ternes baveux, leur sécurité d'anodins citoyens moyens.
 
Ils ne sont dignes que du petit lait de l'existence.
 
Alors que mes amis eux, font partie de la crème de l'humanité et du gratin de la société. Ou sont carrément au niveau des rats du caniveau. Ils s'abreuvent de champagne ou bien n'avalent que du gros pinard. Mais au moins, eux sont vivants ! Ils sont soit au sommet, soit dans le purin. Mais jamais entre les deux.
 
Le milieu, c'est bon pour les caniches, les mornes, les insignifiants, les délavés, les déjà morts.
 
Ces humains demeurant entre le chaud et le froid sont neutres. Ils sont impersonnels, ils sont transparents, ils sont invisibles. Ils se ressemblent les uns les autres comme autant de gouttes de flotte d'une vaste pluie morose.
 
Peureux, ils préfèrent l'ennui à la flamme. Frileux, ils choisissent l'apathie plutôt que la glace. Prudents, ils rentrent chez eux au premier grondement de l'orage au lieu de s’émerveiller de ses éclairs. Timorés, ils sont pleinement satisfaits d'avoir contracté une assurance-vie.
 
Ils ont certes un coeur mais il ne bat que pour les navets de la vie. Ils ont une âme il est vrai, mais elle est grise. Leurs espoirs ne sont point les cimes mais les platitudes.
 
Seules les ampoules électriques les éclairent.

Ce sont de tristes moineaux qui sur leurs branches communes chantent à n'en plus finir la gloire des dimanches riches en heures creuses...

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mercredi 12 juin 2024

2177 - Clodo

Les artifices de la civilisation me pèsent, mes gros sabots de pauvre clodo m'allègent.
 
Je n'ai que faire des beaux vêtements des gens de la ville.
 
Moi ce qui m'agrée, ce ne sont pas les dentelles et autres bagatelles que portent les natures raffinées de la cité, mais l'authenticité de mon pantalon de péquenaud et la vérité de mon chapeau de paille troué.
 
Je me sens à mon aise avec mes allures d'épouvantail.
 
Mes hardes me vont comme un gant. Je suis fait pour me vêtir de lin grossier et de peaux de bêtes, non pour suivre vos modes qui se démodent tout le temps !
 
Je fais ma toilette dans les ruisseaux et me parfume du vent frais du matin. Cela me suffit pour vous présenter décemment ma face d'ogre.
 
Je n'ai nul besoin de vos manières savonnées et de vos tapis de salon !
 
Si j'arbore une apparence hirsute et bourrue, ce n'est certainement pas pour jouer les jolis coeurs devant vos miroirs dorés !
 
Moi, il faut me prendre comme je suis : sans pincettes et même avec de sacrées pognes !
 
Plus proche des vaches que des hommes, des sangliers que des bourgeoises, des corbeaux des champs que de la fine société parisienne, j'ai la couenne aussi sensible que l'écorce d'un chêne, le coeur tendre comme le granit des chemins, et pour le cidre bien râpeux qui coule sur mes jours d'antique hibou, j'ai une foutue soif de loup !
 
Je suis un pèlerin de la belle misère, un gueux heureux, un oiseau des ombres qui ne participe pas à vos jeux d'argent, pas plus à vos théâtres de pantins.

Moi j'ai choisi d'être le roi des oubliés en mon royaume de liberté.

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dimanche 9 juin 2024

2176 - Corbeaux et corneilles

Corbeaux et corneilles, je vous aime follement !
 
Oiseaux des espaces sombres et profonds, vous noircissez le ciel de vos funèbres beautés.
 
Vous arborez, vous les princes du crépuscule, des becs de plomb et des ailes de glace. Avec vos capes de deuil, vous avez dans l'azur des grâces de statues, et au fond des champs, toute la légèreté de la poésie.
 
Vous êtes des enclumes volantes, des plumes oniriques, des créatures tombales.
 
Vous magnifiez la brume et la grisaille de votre présence mortuaire. Et transformez les banals levers de Soleil en des théâtres solennels.
 
Avec vos cris d'acier dans les airs, vous me charmez. Vous m'enchantez avec vos allures austères, vos activités mystérieuses et vos existences monacales.
 
Mieux que les rats subtils et les chats secrets, vous incarnez les rêves lugubres et les ténèbres impériales, mais tout en hauteurs et majesté.
 
Il n'y a rien de mesquin dans vos attitudes.
 
Vos froideurs sont empreintes de noblesse, vos manières aristocratiques, vos têtes pleines de pensées impénétrables.
 
Et votre vol vous confère une envergure olympienne.
 
De la seule encre de vos plumages occultes, vous embellissez les couleurs du monde. Sans vous, les aubes seraient plus fades et les journées plus plates. Vous symbolisez le noir nécessaire à l'éclat de la Création.
 
Vous ajoutez à l'horizon, aux nuages, à la campagne et à la ville toute la gravité de la vie qui donne aux choses ordinaires le poids de l'or.

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samedi 8 juin 2024

2175 - Un dimanche plat atomique

Il faisait chaud en ce dimanche mortel.
 
L'été plein de léthargie rendait l'ambiance triste, le village somnolait au coeur de ce siècle de plomb. Les heures s'éternisaient, lourdes, poisseuses, sans espoir.
 
La vie dans cette campagne sclérosée se résumait à une morne stagnation des choses et des êtres, à une lente marche des jours vers des sommets de monotonie, à un interminable endormissement des vivants vers un monde peuplé de fantômes.
 
Rien ne se passait dans cette capitale rurale du néant.
 
Les jeunes rivés sur leurs écrans portables ressemblaient à des vieux déjà séniles et les vieux à des morts. Les femmes préféraient la vacuité de leurs travaux ménagers à la virilité flasque de leurs maris et les hommes leur pinard dominical aux charmes adipeux de leurs épouses...
 
Il aurait fallu une bombe retentissante ou bien une tempête de glace pétrifiante, ou même une divine explosion d'amour en plein ciel pour réveiller ce cimetière d'âmes noyées dans un océan d'ennui !
 
Mais j'avais mieux que cela, moi qui depuis mes hauteurs supérieures observais ces cadavres s'enlisant dans la chaleur et l'inertie de cette journée infiniment vide...
 
Pour faire se redresser les têtes, enflammer les chairs, illuminer les obscurités intérieures, l'on pouvait compter sur le feu de ma plume, l'éclat de mes mots, l'or de mon verbe.
 
Je décidai donc de leur jouer ma musique. De portes en portes j'allai déverser ma bonne parole au plus près de leurs oreilles, en leur criant :

— Sortez tous de votre torpeur car je suis l'ange des dormeurs venu vous faire peur, qui fait sonner les dernières cloches de la Terre !

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lundi 3 juin 2024

2174 - Promenade en barque

En ce dimanche de juin, je ne savais que faire de cette heure d'ennui où mollement je m'enlisais.
 
J'errais sans but sur les bords de Sarthe. La berge était douce et l'occasion propice : une barque se balançait entre les herbes.
 
L'aventure m'attendait là, et briserait net la vacuité de ce jour, me disais-je. Je n'avais qu'à poser le pied sur ces planches et partir, loin de la léthargie de ce sol statique, figé, inerte, fait pour les pierres et non pour les hommes d'action !
 
En montant dans l'embarcation, visiblement abandonnée, je m'improvisai capitaine de la vase et des flots plats, affrontant héroïquement  les clapotis, acclamé par le chant des grenouilles, en partance pour un voyage de rêve.
 
Bientôt parvenu au milieu de la rivière, un sentiment de grandeur m'envahit : je venais de parcourir seulement quelques mètres sur l'onde que, déjà, je me sentis l'âme d'un explorateur de chemins secrets, d'un découvreur d'horizons inconnus, d'un défricheur de terres nouvelles.
 
Sur mon rafiot qui voguait entre les deux rives opposées, je croisai une libellule, une branche d'arbre, une truite furtive.
 
Et moi, je voyais des merveilles dans ce flux si calme, ce lit si peu profond, ce fluide familier où pourtant se reflétait magnifiquement mon chapeau d'aventurier ! En traversant ce mince cours d’eau, dans ma tête j’avais atteint l’autre bout du monde. Mon foyer se trouvait à présent à des milliers de lieues du théâtre de mes exploits et je ne pensais plus ni à mes pantoufles ni à mon oreiller.
 
Absorbé par les manoeuvres de mon voilier aux prises avec les tempêtes océaniques, luttant âprement contre les attaques de pirates sans foi ni loi, emporté par des vagues géantes en direction d'une île au trésor, filant par les mers à la découverte d'une vie meilleure, j'en oubliai le moment fatidique de mon thé vespéral.
 
Mais, heureusement, à cet instant j'entendis les six coups de la cloche du village voisin. Sortant de ma rêverie, je regagnai la boue du rivage.
 
Dans la soirée, assis devant ma cheminée, je revécus les sommets de ma journée, encore tout frissonnant d'émotion, finalement très heureux d'être toujours solidement enraciné dans mes immuables habitudes.

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