vendredi 27 décembre 2024

2233 - Deux faces

Texte d'après un tableau du peintre Aldéhy
 
Deux amies, l'une blonde, l'autre brune, semblablement éligibles au trône de Vénus, s'amusent de leurs différences, se comparent en riant et se jaugent à l'aune des regards posés sur elles, fières de leur gloire et usant chacune de leurs éclats comme de leurs aspérités.
 
LA BLONDE — Je suis le printemps, tu es l'été. Je suis le blé, tu es la braise. Mes yeux sont un ciel bleu, ton sourire est une flamme rouge. Je charme en douceur, tu séduis avec ardeur. Toi et moi sommes deux fleurs, l'une de velours, l'autre hérissée d'épines.
 
LA BRUNE — Tu es la fraîcheur de l'onde, je suis la brûlure du Soleil. Tu fais rêver les solitaires, je fais pleurer les téméraires. Tu leur promets le baiser de l'amour, je leur destine la morsure de la chair. Tu es l'ange, je suis la louve.
 
LA BLONDE — Je suis auréolée des étoiles de l'innocence, de la poésie, de la pureté. Et je brille telle une blanche aurore. Toi, tu es parée des artifices sulfureux qui éveillent les mâles ivresses. Et tu illumines leurs nuits de fantasmes féroces. Je suis le nectar des galants qui les rend romantiques et sirupeux, tu es le poison qui les fait déraisonner ! Je les berce, tu les incendies. En mon image paisible ils voient la légèreté de la brise vernale, dans tes charbons embrasés ils tremblent de désir et ne pensent plus qu'à l'enfer qui les tourmente délicieusement.

LA BRUNE — Sous tes traits de biche qui les caressent, ils s'endorment avec des papillons dans le coeur. Sous les feux de mon visage qui les défie, ils deviennent des bêtes affolées ! Tu les apprivoises de tes cheveux blonds et moi je les dompte de mes crocs carnassiers. Tu vois, avec nos armes et nos égards, nos piqûres et nos étreintes, nos coups et nos faveurs, nous parvenons à mettre le monde à nos pieds. Je suis cinglante, tu es cajoleuse. Je suis noire, tu es d’azur. Je suis dense, tu es aérienne. Bien que nous soyons contrastées, moi la foncée, toi la dorée, nous faisons tourner autour de nos têtes la Terre et les hommes qui la peuplent car la vérité, c'est que la beauté (qu'elle soit claire ou obscure, solaire ou ténébreuse, franche ou bien voilée) aura fatalement le dernier mot.
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mercredi 25 décembre 2024

2232 - Le soleil de la jeunesse

Texte d'après un tableau du peintre Aldéhy
 
Sa face est une flamme, ses yeux sont une braise, ses lèvres un foyer.
 
Cette femme, avec ses airs d'ingénue, ressemble à un ciel embrasé de fruits défendus, tel un crépuscule de sang vénéneux ou un orage illuminé de rêves interdits.
 
Elle sourit pour mieux envenimer les coeurs, enfiévrer les chairs, faire vaciller Mars.
 
Connaissant son pouvoir de séduction, elle sait jouer des clartés comme des obscurités de son visage. Avec nuances elle pique toute cible et fait mouche.
 
Alors, de ses ailes de papillon, de ses allures de libellule, de ses légèretés florales, et ce afin de faire triompher sa cause, elle devient vite vilaine araignée, méchante fée, dangereuse guêpe. Et finalement adorable amante pour ses proies !
 
Peu résistent à ses attraits acérés. Beaucoup succombent à son infernal azur. Nul ne demeure indifférent à sa mine incisive faite pour l'amour ou pour le jeu.
 
Elle a les charmes perfides du serpent, l'éclat acide du citron et le regard plein de folles arabesques...
 
Sa noire beauté prend sa source dans la lumière du Soleil qui brûle et éblouit. Sans l'ombre d'un doute.
 
Cette pousse hérissée de délicieuses épines est effrayante parce qu'elle est douce, jeune, tendre... C'est un piment aux apparences de miel, une torche derrière un voile de virginité.

Cette fille est une petite louve parmi les agneaux imprudents que nous sommes, nous les pauvres garçons esthètes.

2231 - Dans les bois

Le soir à l'automne, à l'heure où les ombres des nuées se mêlent aux brumes de la terre pour former un crépuscule pétrifiant, vous entrez dans les bois comme dans un tombeau.
 
Vous vous retrouvez seul en compagnie de milliers d'inconnus couverts d'écorce et aux visages invisibles.
 
Les moindres branches dirigées vers le ciel ou vers le sol deviennent alors pour vous des bras inquiétants, des silhouettes funèbres au-dessus de votre tête, des promesses d'étreintes spectrales le long de votre trajet.
 
Et vous avancez sous ces ramures de marbre, le coeur oppressé. Votre cauchemar s'étend jusque dans les profondeurs de la sylve que vous sentez de plus en plus dense. Vous n'en voyez pas le bout. Vous cheminez toujours au milieu de vos peurs, le souffle court, les yeux dans le noir.
 
Vous filez droit sans oser regarder franchement ce qui se passe autour de vous, l'attention focalisée sur vos pas. Dans les ténèbres vous distinguez à peine le sentier recouvert d'humus que foulent vos semelles. Vous ne cherchez évidemment pas à quitter la voie rectiligne bordée d'arbres qui doit vous mener jusqu'à la sortie de ce mauvais rêve.
 
Vous entendez des bruits, des sons mystérieux, des souffles indéfinis, des chuchotements étranges, des paroles incompréhensibles... Vous vous croyez suivi par des entités indistinctes, escorté par des fantômes, épié par des esprits... Et soudain vous apercevez des formes subtiles derrière un tronc, vous tressautez !
 
Vous vous figez face à un bouquet de feuilles s'agitant près de votre épaule, avant de reprendre votre progression, soulagé de n'avoir eu à affronter qu'un inoffensif rameau, quelques brindilles ordinaires, deux ou trois tiges anodines.
 
Après tant de frayeurs et d'épreuves, allez-vous enfin vous réveiller dans votre lit, rassuré de n'avoir jamais vécu ce calvaire nocturne ? Non, vous êtes bien dans la réalité, vous n'en doutez pas, et vous devrez traverser cet espace sans fin, sans repos, sans lumière.
 
Et peut-être même sans issue...
 
A cette idée, vous devenez une bête traquée. Glacé d'effroi, vous perdez toute logique, vos pensées s'emmêlent, vous approchez de la folie.
 
Fatigué, résigné, au bord du gouffre, vous avez froid et vous apprêtez à vous étendre près d'une souche à attendre que le jour se lève, n'ayant plus le courage ni de rebrousser chemin ni de le poursuivre. Vous vous pensez perdu dans un univers sombre qui vient de vous engloutir. Il ne vous reste plus qu'à endurer un siècle de patience pour arriver jusqu'au rivage libérateur du petit matin.

Et c'est à ce moment précis qu'apparaît au loin, entre les derniers branchages de cet océan végétal que vous venez de franchir sans vous en rendre compte, la lueur de votre foyer.

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lundi 23 décembre 2024

2230 - Nuit de vents

Le soir tombe comme une promesse de malheur sur ma demeure isolée.
 
J'entends la tourmente qui se lève : je sais qu'elle formera bientôt un océan de fracas et de pleurs sur le monde. Je m'enferme bien vite dans ma maison car la tempête frappe déjà à ma porte.
 
De la céleste obscurité s'abattent des flots d'effroi, des averses de misère et des tonneaux de mauvais rêves. Ces lourdes vagues roulent sur les tuiles, faisant gronder le toit et déborder les gouttières. Et loin sur les terres se répandent des hurlements éoliens.
 
A l'abri entre les murs épais de mon vieux logis, je frémis en me recroquevillant devant l'âtre. Dehors, c'est un déluge de peur, de froid et de chaos !
 
J'ai l'impression de n'être plus qu'un naufragé statique dans un phare aux prises avec l'intempérie, une lanterne vacillante au sommet d'une falaise balayée par la bourrasque, une chandelle dans un sémaphore giflé par les ailes noires de je ne sais quels dragons nautiques...
 
Autour de moi la forêt gémit, des troncs sont fracassés, des branches pulvérisées, des spectres brisés. Des ombres vastes et profondes s'affrontent dans les nues. Et du haut de ces sombres altitudes dégringolent les os de la nuit mêlés aux eaux en furie.
 
Les squelettes du ciel se disloquent sur le sol.
 
Et moi pendant ce temps, toujours réfugié auprès de ma flamme, gagné par le sommeil, je somnole, bercé par le doux tapage des éléments. Je demeure ainsi une heure à voyager entre fantasmes et réalité dans ma semi-léthargie, au pied de mon foyer crépitant et peuplé de fantômes.
 
Puis, averti de l'heure tardive par les dernières étincelles de ma cheminée, je pars me coucher, tandis qu'à l'extérieur des clameurs inquiétantes hantent les ténèbres.
 
Au petit matin en ouvrant mes volets je découvre un paysage ravagé mais redevenu paisible, éclairé par un soleil printanier.

L'aube divine rayonne sur le terrain jonché des cadavres de l'orage.

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jeudi 19 décembre 2024

2229 - Mon fauteuil de lune

Mon fauteuil en osier est vieux, humble, vaste.
 
Usé, démodé, grinçant, il ne vaut rien et pourtant c'est mon bien le plus précieux en ce monde.
 
Il me sert de poste d'observation du firmament mais aussi de point d'envol vers mes voyages nocturnes.
 
Le soir je m'y installe comme un chat, enroulé dans une couverture, afin de contempler religieusement la Lune.
 
Etendu sur ce siège suprême en forme de berceau, je regarde la nuit avec ses rêves et ses flammes, ses ombres et ses chimères, ses spectres et ses légendes.
 
Je découvre un autre univers, couché sur mon trône de mendiant, heureux de m'envoler vers l'astre aux cratères pareils à des orbites.
 
A travers la lucarne de ma chambre ouverte sur l'inconnu, les étoiles et les chauves-souris entrent chez moi, et c'est la fête sous mon toit ! Les ailes des sombres noctules sont les mêmes que celles des lumineuses galaxies : toutes m'emmènent ailleurs, loin, haut...
 
Porté par le souffle de ces flots célestes, je monte ainsi jusqu'au satellite, toujours assis sur mon ample chaise aux pieds gémissants.
 
Et l'aventure recommence à chaque lunaison : je pars en expédition onirique, chevauchant ma statique monture poétique. J'aborde des rivages infinis, confortablement campé sur mon pégase fait de bois léger. Je vogue verticalement, à la rencontre des hôtes du ciel. Je navigue sur l'océan stellaire en quête de trésors à la mesure de mon âme.
 
Croyez-le ou non, pensez si vous le voulez que je suis fou et que je vous raconte des sornettes, mais moi je vous le dis sans malice : je parcours réellement les étendues cosmiques et me pose régulièrement sur le sol lunaire, rien qu'en m'allongeant sur mon modeste sofa.

Faisant face à la vitre de mon refuge ressemblant à une cellule monacale, bien accroché à ma selle couleur de paille, la tête pleine de vertigineuses fantaisies et de profondes légèretés, je décolle purement et simplement.

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mardi 10 décembre 2024

2228 - Le sourire d'une marguerite

Texte d'après un tableau du peintre Aldéhy
 
Avec ses allures de marguerite, la blonde ingénue sourit au Soleil qui l'éclaire, au sort qui l'a comblée, aux garçons qui la regardent.
 
C'est une fleur heureuse d'être née, fière de sa beauté, pleine de gratitude envers la vie.
 
Elle a le visage radieux des créatures qui se savent élues sur Terre, telles les nouvelles reines de leur siècle, ces premières lueurs qui illumineront les années futures, ces dernières générations florales qui monteront dans le coeur des esthètes comme des béotiens...
 
Nul n'échappera ni au feu de ces yeux ni au venin de ces lèvres qui aujourd'hui ne font de mal à personne.
 
Dans ce bourgeon encore virginal l'on discerne déjà la flamme qui demain brûlera tout sur son passage, aussi vénéneuse qu'effrayante.
 
Délicieusement dangereuse.
 
Cette étincelle d'innocence allumera, on s'en doute, des brasiers dans les chairs et les âmes. Entre vertiges et douleurs, azur et orages, l'amour que cette face lumineuse inspirera sera tantôt un calvaire, tantôt une euphorie.
 
Des larmes pour les uns, un rêve pour les autres.

Mais pour l'heure, elle demeure inoffensive dans sa robe de printemps, le corsage impudique mais le regard toujours imprégné des ultimes flamboiements de l'enfance.
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dimanche 8 décembre 2024

2227 - Je ne suis pas antiraciste

Je ne suis pas l'adversaire de la radicalité des idées, de la brutalité des sentiments, de la singularité des esprits, de la férocité des moeurs de mes semblables.
 
Chacun a la liberté d'aimer ou de détester ce qu'il veut, de maudire ou de bénir ceux qu'il désigne comme bons ou mauvais.
 
Je respecte les positions du raciste autant que celles de l'universaliste : le premier a ses raisons, le second également.
 
Je ne les discute pas.
 
Je ne cherche nullement à influencer qui que ce soit sur ses préférences.
 
J'accepte les diverses formes d'intelligence, les stades inégaux d'évolution, les hauteurs comme les bassesses. Etres évolués des grandes civilisations et va-nu-pieds issus de tribus primitives sont à mes yeux éligibles aux tribunes.
 
Leurs opinions, qu'elles me plaisent ou non, sont toutes défendables de leur point de vue. C'est cela qui compte. Je n'ai pas à me mêler de ce qu'ils pensent, ressentent, croient.
 
Ce n'est pas à moi de décider s'ils sont dans l'erreur ou dans le vrai. Je ne suis pas eux et ils ne sont pas moi.
 
Jamais je ne m'arrogerais le droit de choisir à la place d'un autre, d'obliger mon prochain à adhérer à tel étendard, à lui désigner l'ami ou l'ennemi.
 
Mon coeur n'est pas celui du voisin : chaque homme brûle pour une cause qui lui est propre. Mon histoire, ma sensibilité, ma peau, mes tripes, ma pensée, mes goûts et dégoûts ne sont pas les mêmes que ceux des multitudes d'humains de la Terre.

Les bipèdes peuplant ce globe ne voient tous pas les choses de manière nécessairement identique, les âmes ne volent pas à des altitudes similaires, constantes, régulières... 

Je demeure ouvert aux aspérités et douceurs, duretés et mollesses, grandeurs et petitesses des aigles et des moutons, des loups et des moineaux, des Blancs et des Noirs, des gauchers et des droitiers, des plumés et des plombés que compte ce monde aux aspects si riches et si contrastés.

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mardi 3 décembre 2024

2226 - Qui est-elle ?

Texte d'après un tableau du peintre Aldéhy
 
Qui est cette fille avec ces vastes reins qui ressemblent tant à un visage de vérité ? Ce dos qui s'impose a vraiment l'air de me fixer...
 
Cette nymphe semble exprimer le vrai, le beau, le désirable...
 
Mais ce n'est là nullement une certitude. A bien y réfléchir, ainsi exposée comme le revers d'une médaille, elle pourrait ne refléter que des illusions... En la voyant aussi peu, en définitive, il est possible que son feu supposé ne soit que glace, sa clarté espérée qu'ombre, son éclat présumé que poussière.
 
J'essaie de deviner les traits cachés de cette créature retournée.
 
Est-ce une lune à la moitié éternellement dissimulée ? Une Vénus avec qui les hommes ont interdiction de croiser le regard ? Une simple femme qui joue avec les apparences en se soustrayant malicieusement aux yeux des curieux ?
 
Suis-je séduit, effrayé ou tiède devant celle que je n'ose nommer clairement ? Moi-même je ne le sais pas réellement. Après tout, il s'agit peut-être non pas d'une beauté mais d'une farce affreuse... Déesse ou sorcière, astre ou furoncle, papillon ou araignée, qui saura ?
 
Tant que je ne la vois que par derrière, elle demeurera finalement un point d'interrogation. Un mirage. Ou un pur mensonge.
 
Dérobe-t-elle la laideur de sa physionomie à la vue du monde en ne lui montrant que la lumière de son postérieur ? Sa chevelure fait pourtant penser à une galaxie aux bras flamboyants. Que croire en elle ? Cherche-t-elle à faire monter les flammes du mystère en alimentant soit les rêves, soit les cauchemars des uns et des autres ?

Seul aura la réponse celui qui, jouant à pile ou face, osera prendre le risque de se briser les ailes.

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lundi 2 décembre 2024

2225 - L'arc-en-ciel

Symbole de toutes les légèretés, l'arc-en-ciel produit des effets si aériens qu'il fait non seulement planer les lourdauds de la Terre mais encore valser les enclumes dans l'éther.
 
C'est un puissant aspirateur de pesanteurs.
 
Portés par ses couleurs, même les épais béotiens et autres adipeux balourds parviennent à décoller de leur sol de rats !
 
Il ajoute des ailes aux vaches, injecte de l'azur dans le plomb, trace de vastes étincelles d'eau dans l'atmosphère.
 
Il enflamme l'air de ses braises impalpables, met les jours de pluie en fête, transfigure le quotidien de ses sept bras éphémères.
 
Il est la surprise de la Création, la cerise sur le gâteau du Cosmos, ce petit rien supplémentaire de la vie qui inspire l'idée de Dieu dans le coeur des hommes.
 
Seuls les sombres matérialistes, indéracinables athées aux semelles comme des boulets, ne voient que du vent dans cette arche de lumière.
 
Ses clartés multicolores ne sont pas, comme le croient les pragmatiques à l'esprit obtus, qu'un bête phénomène naturel parfaitement accessible à notre intelligence et rigoureusement expliqué par les physiciens, c'est aussi un miracle.
 
Un rêve au-dessus de nos têtes.
 
La céleste incarnation par excellence.

Autrement dit, la plus élevée de toutes les poésies.

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