Ma solitude n'est nullement un poids mais une délivrance, un allègement,
une liberté.
Certes je vis sans femme au milieu des bois. Mais non sans flamme.
Certes mes amis se résument aux rats. Mais eux sont toujours là : ils me
restent fidèles même lorsque je n'ai pas besoin de leur gloutonne
affection.
Certes je ne parle qu'aux carottes, patates et navets de mon jardinet. Mais
eux savent me répondre avec la profondeur de leurs racines : ils connaissent la
portée infinie du silence.
Certes je ne bois que l'eau de pluie. Mais elle suffit amplement à
m'abreuver car je n'ai soif que d'essentiel, non de superficiel.
Certes lors de mes veillées je rencontre mon ombre. Mais c'est l'âtre radieux qui la
fait naître.
Certes les soirs d'hiver j'ai froid dans mon lit austère de célibataire...
Mais la neige dehors n'en apparaît que plus virginale, et mes matins sont d'une
beauté éclatante.
Je me retrouve seul sous le ciel et ne demande pas mieux.
Non je ne suis pas misanthrope, je cherche simplement à être accompagné de
pure légèreté : de moi-même avant tout, et de rien d'autre qui pourrait
m'alourdir. Quiconque a des ailes d'envergure sera mon hôte privilégié !
Voilà la raison pour laquelle les corbeaux, ces noirs troubadours aux
allures de vieilles sorcières, ont ma préférence. Ceux qui comme eux viennent me
chanter le brouillard, le crépuscule et les brillants cauchemars sont les
bienvenus chez moi ! Les fleurettes sans épines m'ennuient. J'estime
l'épouvantail en guenilles plus beau que le citadin en dentelles.
Vivre sans cette pesante et encombrante compagnie humaine, c'est faire le choix du feu, de
la friche, de la boue, du gel et des cailloux : toutes ces choses qui me sont si
douces.
Ces richesses ont vraiment de l'importance à mes yeux. Prenons le simple
exemple des croasseurs : comment pourrais-je me prétendre heureux sur cette Terre sans la proximité
des corvidés ? Si je n'entends pas l'écho de leurs concerts lugubres, puis-je
réellement trouver du sens à ma vie ? Si l'on me prive de la présence de ces
magnifiques spectres aux cris rauques, ce ne sont certainement pas les artifices
de la ville qui m'apporteront de la joie ! Comment entretenir l'allégresse dans
mon coeur loin de ces véritables sources de lumière ?
Imaginez alors une existence hors de la forêt de ses multiples autres trésors... Le luxe de la civilisation est pour moi un enfer. Mon paradis est composé de ce qui pique, râpe, tonne, effraie, fait frissonner sous les arbres et rêver au coin de la cheminée.
Au sommet de mon isolement, je me chauffe non pas au bête soleil du jour qui plaît tant aux mondains en goguette, mais aux fines étoiles de la nuit qui font soupirer les gros sangliers de mon espèce !
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