mardi 9 décembre 2025

2475 - La tache

Un matin en me réveillant je remarquai une anomalie au plafond.
 
En réalité, il s'agissait d'un petit rien, une bagatelle : juste une tache. Une marque sombre qui ne se trouvait pas là la veille. La chose était donc apparue au cours de la nuit, de toute évidence. Un détail certes, mais assez intrigant pour que je relève le fait et y cherche une explication rationnelle.
 
Je demeurai étendu sur mon lit à fixer la mystérieuse éclosion.
 
L'événement prit vite une tournure extraordinaire. Aussi insignifiante fût-elle pour n'importe quel autre mortel de mon espèce, cette émergence venue de je ne sais où, née de j'ignore quoi, se révélait à mes yeux une merveille (ou peut-être un délicieux cauchemar) à la hauteur du néant de mes journées. La légère inquiétude que ce maculage suscitait en moi comblait agréablement le vide de mon existence, j'en avais éminemment conscience.
 
Fort étrangement, au bout d'une heure environ cette bavure me semblait s'être imperceptiblement étirée... Je me mis alors à la percevoir non plus de manière franche et directe comme une simple manifestation tangible, ainsi que je l'avais cru au premier abord, mais plutôt comme le début d'une minuscule invasion de l'espace au-dessus de moi, sournoise et impalpable, pareille à une ombre changeante. Une sorte de coulée d'encre virtuelle sur la surface claire formant mon toit étriqué de reclus. Ou pour le dire encore autrement, l'extension mouvante d'un phénomène immatériel. Une bizarrerie, assurément ! Je ne parvenais pas à  vraiment distinguer la nature véritable de cette apparition.
 
Entre noire ambiguïté et apparence informelle, cette trace énigmatique avait jeté un trouble en moi.
 
A travers cette forme ténébreuse je voyais s'étendre progressivement une énorme interrogation. Impossible de savoir précisément si j'avais affaire à une singularité éthérée ou à un objet concret, identifiable, purement physique... A mesure que je me concentrais sur cette drôle de substance ou sur cette image, ses contours se montraient plus diffus, semblable à une fumée qui s'éparpille.
 
Cette curieuse empreinte était-elle réelle ou rêvée ? Il aurait fallu que je l'observe de près pour en avoir le coeur net. Mais j'avoue que je n'osai pas trop m'en approcher.
 
Elle devenait une incertitude grandissante.
 
L'anormale figure, quasi vivante, paraissait à présent se gonfler telle une bulle, ce n'était pas une illusion ! Elle prit finalement une ampleur gigantesque, jusqu'à recouvrir les murs, le sol et tout le reste !
 
Bientôt ma cellule entière fut inondée par cette obscurité géante.
 
Puis, d'un coup, la lumière revint dans la pièce. La monstrueuse intruse était partie. Je me sentis soulagé. Je devinai ce qui venait de m'arriver et je crois que tous les criminels détenus à vie font eux aussi face à ce genre de stigmate découlant de leurs actes, au moins une fois au cours de leur longue incarcération...

Je compris immédiatement que j'avais été confronté à l'immonde projection mentale de mon crime.

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