La lèvre molle, l’oeil sinistre, le visage sec et les mains moites, la
dévote observe avec une attention morbide le cadavre de son époux.
Demain il faudra dûment inhumer ce qui fut le souffre-douleur préféré de sa
longue vie maritale de vierge hargneuse. Et son pire fardeau tout la fois.
Dès le lendemain elle est à pied d’oeuvre : avec sa toilette d'un autre
siècle, son odeur de naphtaline et ses dents jaunes, la vieille vache rumine
dans la salle d’attente des pompes funèbres.
Tout chez ce serpent chaste transpire l’intérêt, l’avarice, la
mesquinerie.
Non contente d’être passablement laide, fort austère et particulièrement
cinglante, elle cultive une mentalité archaïque de vieille demeurée haïssant la
beauté, la joie et l’amour.
Mais la crotale desséchée est heureuse ainsi, totalement épanouie dans son
existence glaciale.
Elle n’a jamais connu de plaisir. Elle déteste le plaisir, à part bien
entendu celui, honnête, d’enterrer ses voisins, de dénoncer les “voyous” de son
quartier (n’importe qui dont le seul tort est de rire) ou de cracher
sur ces “salopes” qui passent sous sa fenêtre (c’est à dire toute femme
belle et heureuse).
Assise dans la petite pièce feutrée, les effluves rances venus du salon
funéraire à proximité la ravissent, flattant son goût pour la mort, la maladie
et les larmes... Bercée par l’odeur du malheur, elle médite voluptueusement sur
le devenir du macchabée enfermé dans son cercueil qu’elle vient d’abandonner aux
agents du service funèbre moyennant le prix le plus bas de leur catalogue.
Soudain l’employé des pompes funèbre sort la vipère de sa rêverie macabre :
il y aura un supplément à payer à cause d’un problème de surpoids du détesté
défunt. Il faut venir signer un document dans le bureau.
Alors la cracheuse de venin se lève, serre rageusement son sac à main
contre son flanc flétri et, dans un signe de joie ou de colère mal retenue
(on ne sait pas trop bien sur le moment) laissant apparaître toute
l’ampleur de sa denture douteuse, écarquille ses yeux de reptile et s’exclame
contre toute attente :
- “Payer un supplément pour l’enfouir encore plus profondément,
plus sûrement, plus sombrement dans la terre, payer un surplus pour engraisser
les vers du cimetière, vous donner un peu plus de sous pour une cause comme
celle-ci au lieu d‘aller les dépenser pour des bagatelles ? Ha ! oui alors là
c’est un vrai bonheur !”
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/68ff3e5c7e94093947bef6853a9cf1b9/
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