lundi 31 janvier 2022

1773 - Dur et juste

Je suis de fer et de feu, de roc et de glace, de ronce et d'âcreté : je préfère la gifle virile de la douleur à la molle caresse des fleurs.
 
Intransigeant avec la vérité, tyrannique jusque dans la douceur, exigeant envers les faibles, seule la force compte à mes yeux.
 
C'est-à-dire la lumière, la justice, le vrai.
 
Machiste, royal et incorruptible, je dresse chiens et femmes de la même badine. Mes mots sont cinglants et mes coups brillants. Je veux être obéi de tous mes sujets, admiré par ce qui rampe à mes pieds.
 
Ami du Soleil et des loups, je suis maître chez moi et despote dans les coeurs.
 
Je ne supporte que les éclats de rires des vainqueurs et méprise la bave des caniches ! Je me moque des larmes des vaincus et me réjouis du triomphe des rois ! Qui gagne a le jour avec lui, qui perd est l'allié de l'obscurité !
 
Les âmes de mon espèce, pleines de gloire, s'abreuvent de joie essentiellement dans l'épreuve. Alors que les natures tièdes sont autant effrayées par l'immensité du clair azur que par le fracas de l'orage. Moi je veux accéder aux neiges éternelles de la pensée, tandis que ces petits ne cherchent qu'à s'accrocher aux modes qui les rabaissent et les engloutissent dans leur néant.
 
Je  m'enrichis de mes moindres blessures quand ils tremblent à leur première ride : le présent me nourrit, le temps les dévore.
 
Ils se noient dans un océan de vogues, je nage dans l'intemporalité.
 
Ils se lamentent pour une peccadille, se brisent contre une brindille, s'effondrent face à une ombre pendant que je chante mon bonheur tranchant aussi bien que mon malheur fécond !
 
Je domine le siècle, volant au-dessus du monde des timorés. Je demeure loin des bruits creux, insignifiants, ridicules d'en bas.
 
Je règne dans mes sommets en compagnie des carnassiers de ma race, des féroces de mon rang, des hommes de mon esprit, là où les aboiements des peureux demeurés au ras du sol ne sont plus pour moi que des pépiements de moineaux.
 
En réalité ce sont tous des frileux.
 
Je suis libre.
 
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vendredi 28 janvier 2022

1772 - La flamme et le marbre

Il y en a qui aiment les baptêmes, les anniversaires, les communions, les mariages...

Moi, je préfère les enterrements.

Je me distrais beaucoup plus à l'occasion des cérémonies funèbres. Les célébrations festives pèsent sur mon âme comme du plomb sur un nuage : les unes sont vulgaires, les autres ennuyeuses, certaines ridicules. Parfois les trois à la fois.

Toutes sont creuses.

Seules les inhumations trouvent grâce à mes yeux.

Certes, on triche aussi dans les cimetières comme partout ailleurs. Sauf qu'autour de la fosse, l'artifice y est plus beau. On y vient chaussé d'un mélange d'éclat et d'humilité, en pompes noires plutôt qu'en souliers blancs. Avec des chapeaux qui ont de la gueule et des manteaux de deuil.

Tout en fleurs et tout en pleurs.

Pour tout vous avouer, ces mines froides et chastes qui m'entourent reposent mon esprit et le silence de ces assemblées pétrifiées m'est exquis. Là, j'observe longuement les visages, les coiffures, les attitudes... Je tente de deviner les sentiments vrais sous les faux cols, les larmes retenues et les sourires crispés, les regrets sincères et les singeries affectées.

Dans ces moments je suis au sein de l'humanité. Je savoure ses drames et ses comédies.

Et puis en parfait esthète, dans l'ombre du cercueil, je viens m'abreuver de lumière. En effet, à quelques exceptions près, à l'heure des funérailles, les choix musicaux sont toujours d'un goût sûr : avant d'ensevelir le défunt dans la lourde terre, on lui lance des mots légers accompagnés d'airs fins.

Et cela m'enchante singulièrement.

Pendant que l'on sanglote, je me réjouis de l'envol des morts et m'amuse de la lourdeur des vivants.

Vous qui me lisez, vous me prenez pour un oiseau d'effroi mais sous ma plume tranchante, je suis simplement, de la tête aux pieds, vêtu de vérité.

Je suis assurément connu pour avoir un coeur de pierre... Mais en réalité vous vous trompez. Il n'est que de feu.

Sachez-le bien, et ça je vous le jure, il ne se montrera pas du tout sec au jour de vos obsèques !

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mercredi 12 janvier 2022

1771 - Mon chat est mort

Mon chat est mort, mon mistigri n'est plus, mon moustachu s'est envolé.

Et je suis triste, seul au bord du chemin, sans plus de joie dans le coeur. Il n'est désormais plus qu'une dépouille, une image sans souffle, un corps voué à la ruine, là dans ce trou.

Il est parti loin de ma perception, par-delà la misère apparente de ce gouffre de ténèbres et de froideur où son cadavre gît, juste sous mes pieds.

Je n'entendrai plus ses miaulements qui résonnaient en moi comme des mots d'amitié, des demandes d'étreintes, des appels de sa petite âme, des cris d'amour vers ce dieu-serviteur que je représentais pour lui...

Et je recouvre de terre lourde son pelage doré, l'ensevelis sous l'ombre et l'humus, l'inhume en ce jour ensoleillé de janvier en interrogeant le ciel sur ce mystère de la séparation... Et je vais devoir repartir sans lui, le laisser au fond de cette sépulture en espérant le retrouver dans mes rêves, le reconnaître à travers la forme des nuages, le revoir dans de mystérieux horizons intérieurs, dans d'autres brumes lointaines d'un monde dont je ne connais pas encore le nom.

Cet être frêle et subtil qui cheminait à mes côtés fut un compagnon irremplaçable de ma vie d'homme. Un animal cher qui pour moi comptait à l'infini, à cause de cette parcelle de clarté divine émanant de son regard débordant de tendresse.

Je crois que ceux qui s'aiment ne se quittent jamais vraiment. Ils se perdent seulement de vue.

Cet ami quadrupède se ne résumait pas qu'à une simple présence à nourrir et soigner, à une esthétique incarnation à admirer avec ses éclats de rousseur lunaire... C'était essentiellement une flamme sacrée, une fleur céleste, un messager de la Lumière.

Cet astre qui s'est éteint à mes yeux physiques s'est rallumé, je le sais, au royaume de ceux qui se sont reconnus sur Terre.

Et même si je pleure son absence, alors que son enveloppe d'or et de feu est étendue au fond de cette fosse, à travers mes larmes il brille toujours.

Pour l'éternité.

Adieu, mon Jaune.

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https://youtu.be/FaYjuRvEf3w

vendredi 7 janvier 2022

1770 - Les frères Bogdanoff

Ils brillaient comme deux prunelles sur un visage. S’imposaient ainsi qu’une double pépite d’intelligence. Incarnaient les yeux accordés d’un regard plein de lumière.

Ils formaient un duo mais ne montraient d’eux qu’une seule et même face : celle de la pensée radieuse et de la vérité exacte.
 
Cette paire d’encéphales symbolisait la partie solaire de l’Homme.
 
Chacun était un cerveau unique doublé de son propre reflet. De cette association résultait un système en miroir, à l’image des étoiles binaires qui gravitent entre elles pour réfléchir encore plus dans le ciel.
 
Animés des meilleurs sentiments, l’imaginaire leur montrait la voie à suivre et la raison guidait leurs pas. Aussi éclairés que poètes, ils avançaient avec audace, décollaient avec légèreté du sol des certitudes puis s’envolaient à vitesse folle vers l’inconnu.

Ils gardaient certes leur esprit critique en toutes circonstances mais, parce qu'ils étaient également croyants, ils voguaient dans leurs hautes théories l’âme toujours confiante.
 
Une flamme sacrée brûlait dans ces jumelles cervelles. Il y avait chez les frères Bogdanoff une curiosité intarissable pour le vrai. Une soif inextinguible pour la connaissance. Un émerveillement permanent pour l’Homme, le monde, l’Univers. C’est à dire pour le rêve et le réel. En un mot, pour la Création.
 
Partis si promptement de notre Terre, ils ont rejoint d’autres horizons avec d’autres questions.
 
En quête de Graal mathématique, à travers leurs équations ils cherchaient essentiellement les plans de Dieu.
 
A présent que ces astres sont morts je crois que, bien au-delà de leurs savants calculs, ils ont finalement trouvé l’infini.

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mardi 4 janvier 2022

1769 - J'ai rêvé de Natacha

Ce matin je me suis levé avec un pied à coté de ma chaussure.
 
J’ai mal dormi, le lit que je viens de quitter est si loin du monde... Depuis trop longtemps, le soir je m’étends seul dans mes draps glacés. Mais aujourd’hui, bien que je me sois perdu sur Terre, je deviens ivre de ciel.
 
En sortant de ma chambre, j’entre dans un océan de légèretés et me retrouve sur un nuage. Le soleil frappe mon front, je ne vois plus que du bleu. Les rêves de la nuit reviennent me cracher leur baisers de feu en pleine lumière ! Je devrais en éprouver de la honte et pourtant j’ai encore soif de ce sel aux effets de poison !
 
Au lieu du café, j’avale toute la rosée du matin. Avec, en guise de sucre, un délicieux venin qui me brûle le coeur.
 
Ca doit être la fièvre de l’amour.
 
Elle aurait certes pu se nommer Gertrude. Mais en fait elle porte le nom de Natacha et c’est une flamme avec des mèches vives, enfin un astre rayonnant je veux dire. Une femme aussi admirable qu’une nuée d’oiseaux, une chair femelle avec des pépins dedans et des épines dehors, un fruit défendu, un arbre tout en dentelles avec deux belles poires interdites, une vraie fleur des immensités, un animal comme j’aime : qui caresse et qui fait mal, qui chante et qui pleure, qui rit et qui cri.
 
Je n’ai la tête qu’à la folie, on appelle ça avoir la “braise au cul”, ca me chamboule les pensées et dérègle les sens. J’ai le cerveau qui pétille et le sang qui me fouette les tempes. C’est mon tempérament, mais aussi une question d’état d’esprit car je suis hanté par ce fantôme qui plane dans mes hauteurs avec ses ailes brillantes et lourdes mamelles.
 
Natacha et ses joues comme des pommes est tout en haut de mes idées, au sommet de cette journée qui démarre comme une vie nouvelle. J’en ai des images malpropres au fond de mes yeux de cochon, ça déborde de mes gouffres et ça jaillit de mes tripes ! Pour aller la revoir je ne vais pas me raser la barbe mais simplement me parfumer de la lavande des champs, ça devrait lui plaire car elle n’aime que les grands chevaux sauvages et moi, avec ma face de sanglier aux cheveux fous, je puis assouvir ses plus chers désirs de jument embrasée... Natacha est une bête de sentiments, un fauve à la peau d’ange, une demoiselle timide avec des crocs de louve. Et moi je suis à genoux devant cette bonne paysanne russe chaussée de grandes bottes.
 
Je vais l’épouser sous la pluie sombre et dans les ruisseaux clairs qui coulent le long des chemins, au creux des jours trop chastes. A l’heure propice, en pleine tempête, nous ne formeront plus qu’un seul éclat dans la steppe. Les noces seront féroces et douces. Une joie rude faite de bains d’azur et d’étreintes dans les broussailles. J’irai chercher le miel sur ses lèvres et la mer dans son écume. Mes flots se déverseront dans les profondeurs de ses flancs et en son hymen de verre elle sentira les vagues fracassantes d’un étalon au galop !
 
Je régnerai sur la plaine, couché comme un roi sur ce trône aux pommettes saillantes et aux nattes dans le vent. Mon sceptre sera sa loi, sa carcasse bourgeonnante sera mon palais.
 
Mais pour l’heure, après une nuitée de prometteuse insomnie, je vole vers l’attachante Natacha pour lui raconter tous ces beaux songes que je viens de faire à son sujet...

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