vendredi 29 décembre 2023

2116 - Convaincre Blandine

C'est le matin, le soleil brille sur la ferme où je suis né, la cour sent le purin mêlé de foin et les vaches paissent au loin.
 
Je me lève comme un faune.
 
J'ai vingt ans, des poils sur la joue, de la broussaille ailleurs, une chair de fer plus bas, l'éclat d'un loup dans le regard.
 
Et un mal de chien dans le ventre quand je pense à ces fleurs acides que l'on désigne sous le terme de "demoiselles", mais que moi je préfère appeler "femelles"...
 
La sève de ma jeunesse me monte à la tête et me fait perdre pied, et je suis bien décidé à calmer cette flamme qui me brûle, à suivre cette pensée qui m'ébranle, à alimenter ce rêve qui me ronge.
 
Et à continuer de souffrir de ce mal étrange qui ressemble tellement au bonheur.
 
Ma plus douloureuse épine dans le coeur se nomme Blandine.
 
Une ortie plus belle que la rose et l'églantine. Une face d'ange au sourire vénéneux. Un chardon en dentelles qui me torture toutes les nuits.
 
Et moi qui désire ses baisers d'amanite, je vais me jeter aujourd'hui dans le brasier de ses bras dorés !
 
Bien sûr il y en a en ville plein d'autres Blandine aux noms plus clairs encore, aux yeux moins cruels, aux gorges assez vaillantes, aux faces soit sulfureuses soit sages, et qui elles aussi me font un fol effet, mais seule Blandine brille comme un charbon ardent au fond de mes viscères.
 
Elle est ma maladie incurable. Avec elle, j'ai un orage dans les tripes et la tempête dans l'âme.
 
Avec ses airs de papillon impassible, elle virevolte autour de mon champignon et fait semblant de ne rien voir. Pourtant elle doit la sentir ma grosse gueule de carnassier à l'haleine de bête qui s'ouvre quand elle s'approche de moi avec ses petits souliers... Elle doit les entendre mes grosses bottes d'ogre que je frappe contre le sol comme un soudard dès qu'elle apparaît sous mon nez !
 
Elle doit la deviner, ma poutre sous le voile si mince de ma pudeur, non ?
 
Et moi pendant ce temps je retiens la foudre... Mais c'est fini !
 
Ma virilité lasse de demeurer trop longtemps captive va exploser. Je pars donc sur-le-champ, et à travers champs, offrir ce que j'ai de plus cher à Blandine.

Dans une heure elle frémira sous mon tonnerre, et heureuse que je fasse valoir si prestement mon dernier argument, pleurera de joie en empoignant mon beau sceptre de roi.

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jeudi 28 décembre 2023

2115 - Un couple de vieillards à Clinchamp

Tous deux ont trouvé refuge à Clinchamp, il y a de cela plus de quatre-vingt ans.
 
Leur folie de jeunesse consistant alors en la réclusion à perpétuité dans cet asile perdu, aussi gris que verdoyant et semé de fleurs rustiques à la hauteur de leurs rêves simples.
 
Ils se sont aussitôt enracinés dans ce village.
 
Jusqu'à devenir deux vieux chardons desséchés.
 
Venus sombrer volontairement en ce point mort du monde élu par leurs coeurs d'ermites et très vite parvenus au sommet du silence et de l'oubli, leur cloître campagnard a pris progressivement des allures de nécropole champêtre.
 
Autour d'eux, l'immobilisme s'est instauré comme un cocon.
 
Pas une fois l'idée de quitter leur paradis d'inertie n'a effleuré leur esprit figé dans un autre siècle. Pétrifiés par des habitudes d'incurables sédentaires, la question ne s'est nullement posée pour eux  d'aller s'encroûter ailleurs que dans ce trou immuable.
 
Leur bonheur statique leur a toujours suffit.
 
Aujourd'hui quasi centenaires, ils ne regrettent rien, au contraire. Ils tiennent farouchement à mourir juste à côté de leur potager où désormais ils courbent vertigineusement le dos en direction de leurs salades, patates et pissenlits, aspirent à se fondre définitivement avec les labours dans le lointain, veulent continuer jusqu'au bout à regarder par leur fenêtre les aubes claires, les tempêtes de l'automne et les crépuscules enténébrés de mélancolie.
 
Oui, à deux doigts de la tombe, ils aiment de plus en plus cette plaine mortelle et cet horizon peuplé d'ailes sombres qui éclairent désormais leurs regards !
 
Bref, ils sont amoureusement enchaînés à leur bagne sans borne, sorte de prison qui rime avec évasion.
 
Et vivent  leurs derniers jours dans l'espoir que plus jamais rien d'autre ne se passe, que tout s'éternise, que tout recommence pareil pour que la fin ressemble à s'y méprendre au début.

En attendant de s'envoler un peu plus haut, un peu plus loin que leur sol inébranlable de corbeaux solitaires.

mardi 26 décembre 2023

2114 - Le facteur de Clinchamp

A Clinchamp le facteur apporte généralement des nouvelles assez mélancoliques, plutôt indigestes ou bien franchement léthargiques aux habitants.
 
Avec son uniforme éclatant sur sa carcasse fatiguée, il ressemble à un vieil oiseau auguste au plumage funèbre.
 
Comme une sorte de croque mort matinal.
 
Son sac postal est invariablement surchargé de morosité : il déborde de molles platitudes et transpire de pesantes habitudes. Ce sont à chaque fois des pluies de fadeurs et des pleurs de tiédeurs qu'il faut déverser chez les uns et chez les autres.
 
Des flots de lourdeurs qui parviennent chez leurs destinataires à tarifs réduits, lentement mais sûrement.
 
Avec un peu de retard certes, mais jamais sans douleur.
 
Parfois il lui arrive tout de même de déposer dans quelque boîte un rayon de crépuscule plus fulgurant qu'à l'accoutumé : l'annonce d'un décès, d'une vache malade, d'un redressement fiscal, d'un divorce...
 
Alors chez l'heureux élu qui reçoit ce plomb du ciel sur la tête, le ronronnement du quotidien est brisé par un tonnerre de mort.
 
Ce qui change agréablement des sempiternelles lettres d'insignifiance et d'ennui : les plus redoutables en réalité parce que les plus soporifiques.
 
Il est bon de savoir que lorsqu'on s'endort trop longtemps dans ce trou d'apathie, le réveil n'est pas formellement assuré pour tout le monde...
 
La tombe devient le prolongement naturel des jours de pétrification.
 
Bref, le postier fait son office, sinistre mais néanmoins consciencieux.
 
Et lorsque sa tournée est terminée, la sacoche délestée, le regard terne, le geste las, le distributeur de courrier regagne son antre mortel pour réapparaître le lendemain avec, sur le dos, un nouveau fardeau de déprime à répandre dans les foyers.
 
Cependant, ce que nul ne sait au village, c'est que l'employé de la poste n'est pas aussi lugubre qu'il veut bien le montrer... En vérité, même si sa besace est remplie de grisaille, de poussière administrative, d'enclumes de bureaucrates, d'enveloppes aux tampons austères et de cadavres de parents sans héritage, sa tête, elle, est pleine de rêves légers, de nuages clairs, d'immensités lumineuses et d'hirondelles azurées...
 
Qui le voit sourire de bonheur entre deux dépôts de missives, comme s'il avait deux ailes pour porter sont lot de misères dûment affranchies aux prix en vigueur ? Le préposé n'a que faire du contenu de ces âpres papiers qu'ils amène à ces pauvres gens, comme si c'étaient des pierres jetées sur leur coeur.
 
Son secret c'est que, contrairement aux villageois endormis, il vole. Alors même que pèse sur ses épaules la montagne inepte de leurs soucis de lourdauds.
 
Ce qui lui importe, lui l'éveillé suprême, lui le vagabond de l'aube, lui le voyageur vertical, c'est tout simplement de pouvoir, chaque matin, respirer l'air de Clinchamp.

jeudi 21 décembre 2023

2113 - Tristesse et beauté à Clinchamp

La plaine mortelle, morne et froide qui s'étend face à moi m'inspire des sentiments de vieux corbeau, des ivresses de vagabond de l'azur, des vertiges de rêveur des bois...
 
A Clinchamp je me sens si seul, si loin de tout, si proche de moi-même, que je m'apparente à un ermite.
 
Fou et heureux.

Au milieu de rien, plongé dans ces immensités d'ombres et de labours qui n'attirent que des fantômes, des oiseaux égarés et des rats solitaires, je suis aussi léger que la brume, démesuré comme les nuages... Alors mon regard embrasse terres et nues et mes ailes, vastes et immatérielles, se confondent avec l'horizon.

Je deviens un géant dans la grisaille, un aigle au-dessus du paysage en deuil, une âme dans des sommets de mélancolie. 

Ailleurs qu'en ce monde où se traînent des destins anonymes, hors des platitudes de ces mortels en sabots qui vivent avec placidité, plus bas, dans le village inerte, terne, crotté.

Physiquement je ressemble à un fétu de paille au coeur de l'océan et demeure quasi invisible aux autres hommes. Tandis qu'aux yeux du ciel, j'apparais telle une présence gigantesque dans les airs.

Je suis un traverseur de siècles, une vague dans l'espace, un voyageur de l'infini.

A Clinchamp, dérisoire clocher d'une cambrousse perdue, minuscule point d'insignifiance sur le globe et pourtant puits d'insondable mystère dès qu'on y pose la semelle, et c'est là mon plus doux secret, je trouve chaussure à mon pied, mesure à mon pas, hauteur à mon vol.

Là bas, contrairement à ce que montrent les abords les plus triviaux, il n'y a pas de fin, car, pourvu que l'on sache où regarder, quelle porte ouvrir et où aller, tout prend alors des allures définitivement oniriques.

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dimanche 17 décembre 2023

2112 - L'Art

La beauté se trouve au coeur de l'Univers, au bord des choses, au fond des êtres. Comme une flamme entourée d'azur, une fleur au milieu de l'eau, une lumière à l'horizon.
 
Il s'agit de l'Art.
 
Une source de bonheur où l'âme plonge, un ciel où l'homme monte, un océan où l'ange se baigne.
 
Le but de tout ce qui vole, le sommet de ce qui brille, le chemin de la larve vers le papillon.
 
Il est l'altitude des natures élevées, le refuge des oiseaux de prix, l'asile de ceux qui sont épris d'immensité. Autrement dit, notre firmament de fourmis bipèdes aux prétentions de géants.
 
C'est l'aile salutaire et magistrale qui emporte les misérables humains que nous sommes jusqu'aux nues. Le chant divin qui allège les lourdauds de la Terre jusqu'aux hauteurs idéales. Le souffle suprême qui soulève nos coeurs de pierre pour les faire battre plus loin que les nuages.
 
Le Beau enchante les jours ordinaires, invite à lever les têtes et fait oublier le superflu.
 
Nul n'y est insensible, chacun de nous y a accès, nous sommes tous ses élus.
 
Le monde entier aspire aux oeuvres sublimes.
 
Ces trésors universels représentent le bien inaliénable et supérieur de l'Humanité.
 
Mieux que les merveilles éphémères de la technologie, les éclats factices des réussites superficielles, les satisfactions inconsistantes des richesses matérielles, les splendeurs artistiques éveillent en nous le sens du sacré.
 
Elles nous ouvrent des portes intérieures, nous donnent de l'envergure, de la conscience, beaucoup de gravité.

Mais surtout, de la joie.
 
L'artiste véritable est toujours inspiré par une voix céleste. Même si, innocent, il l'ignore. Même si, vaniteux, il le refuse. Même si, athée, il n'a pas vraiment de réponse. Que ce soit à travers sa main agile, son esprit fécond, sa plume légère, son burin précis ou son pinceau clair, il produit de toute façon des fruits précieux car chez lui tout part d'un feu puissant.
 
Il se fait alors l'interprète de Dieu et offre aux mortels ses chefs-d'oeuvre.

Afin d'ajouter encore plus de mystère à la Création.

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mardi 12 décembre 2023

2111 - Botte à l'oeuf

Quand j'étais enfant à Warloy-Baillon, mes jeux consistaient en des activités saugrenues, loufoques, hors de la raison et de toute mesure.
 
Et s'avéraient dangereux parfois. (Outre mes cascades vélocipédiques, mes escapades dans les champs minés des rebus létaux de la "14" et mes escalades sylvestres vertigineuses, je fabriquais de véritables bombes portatives avec des poudres explosives faites maison).
 
Pour moi tout cela semblait bien banal. Je vivais dans mes normes, ni plus ni moins, sans me poser plus de questions.

Je respirais l'air enivrant de la liberté, loin des préjugés des adultes. Léger comme un fétu d'insignifiance sous l'azur du printemps, aussi lourd qu'un éléphant dès que je me confrontais aux soucis des grandes personnes, dont je me contrefichais.

Je pouvais marcher paisiblement dans la campagne le nez dans les nuages et cependant me tenir prêt à croiser le loup, très sérieusement. Ou bien m'endormir dans les herbes sauvages, ivre de papillons, et m'envoler aussitôt de ma literie végétale pour je ne sais quelle aventure forestière au retour incertain, soit maculé de boue jusqu'aux cheveux, soit sans plus de semelles ni pensées claires, soit encore ramenant fièrement sur le dos le cadavre décomposé d'un renard.

Telle se présentait à moi la vie. Et je la prenais avec toute l'ingénuité de mon coeur puéril. Mais aussi avec toute l'immensité de ma jeune âme dénuée d'oeillères.
 
Bête et heureux, j'expérimentais le monde avec autant de candeur que d'esprit pseudo scientifique, n'hésitant jamais à faire des mélanges hasardeux avec chaque enchantement de la Création qui me tombait sous la main. 

Je pouvais concevoir une "géniale" industrie ludique, vaine et éphémère, basée sur l'alliance du sucre et du vinaigre. Imaginer une mélodie improbable faite de chants d'oiseaux émis à travers un philtre de bave de limace. Ou bien fabriquer un savon révolutionnaire hyper décapant en incorporant de vagues acides pharmaceutiques à un bloc de margarine périmée... Enfin n'importe quelle absurdité, pourvu que le résultat fût fracassant, ignoble, merveilleux.

Même si parfois je ne récoltais qu'une décevante, stérile, muette inertie des choses...

Bref, j'aimais allier le pétard à la guimauve.
 
J'inventais sans jamais me lasser toutes sortes d'extravagances. Livré à mes rêves sans borne, chaque jour il me passait dix folies par la tête. Tantôt niaises, tantôt sulfureuses. Je tentais de donner corps à certaines d'entre elles. Mais bien souvent celles-ci tombaient à l'eau, ne résistant tout simplement pas à l'épreuve du réel. Bien que parvenu à l'âge de raison, cela ne m'empêchait pas d'ignorer joyeusement les mécanismes de la physique et les principes de la nature les plus élémentaires ! Nullement découragé par mes échecs répétés, encouragé par mes rares succès de petit bohémien illuminé, je m'ingéniais à vouloir violer les lois de la matière, à contraindre à ma volonté le vent, les oiseaux, la Lune.

Je pensais que mon imaginaire seul faisait autorité sur tout. Mes heures de bonheur naturel ne me suffisaient pas. Pour les relever, il me fallait ajouter du soufre, des guirlandes, du jus de citron, du miel, de la crème, des queues de cerise, des flammes de roses et des baisers de vipères. 

Ou même carrément, un oeuf. 

Toutes ces impérieuses bagatelles, c'était mon sel à moi.

Ainsi je pris l'habitude de placer un coco tout frais au fond de l'une de mes bottes en caoutchouc. Et ce afin d'égayer ma journée, du moins selon mes critères de l'époque...

Alors le bruit de mes pas devenait spongieux jusqu'au soir. Ce qui faisait éclater de rire Raymond, un ouvrier agricole qui prêtait beaucoup d'attention à mes singeries. Sous ses yeux, je me donnais en spectacle sans retenue, et je sentais bien que devant lui j'avais l'envergure d'un prince.

Plié en deux, dans la cour de la ferme il s'esclaffait sans discontinuer ! Ses larmes de délices rayonnaient au soleil.

En écrasant la coquille à l'intérieur de ma chaussure pour en faire une omelette visqueuse entre mes orteils, je provoquais des incendies d'hilarité.

Lorsque je libérais mon pied de son étreinte une fois la plaisanterie totalement achevée, en voyant dégouliner la jaune et odorante liqueur, j'avais l'impression qu'un ogre avait chié dans mon croquenot !
 
Mais surtout, une fois rentré chez moi, j'entendais toujours Raymond qui se bidonnait... Et je l'entends encore, un demi-siècle après.
 
J'avais allumé une étoile au village.

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samedi 9 décembre 2023

2110 - Les bûcherons de Clinchamp

A Clinchamp les bois ne sont pas très hauts mais les rares bûcherons qui travaillent là-bas sont bien costauds ! Et surtout, très spéciaux, hors des normes, pas comme les autres.
 
Il faut dire que les superficies sylvestres sont vastes sous ce ciel reculé de la Haute-Marne, même si les arbres n'ont rien de vertigineux. Comme tout le reste autour de ce village, d'ailleurs... Ce qui est remarquable précisément, c'est que les points culminants de ces terres à échelle ordinaire se situent à l'horizontale, non à la verticale : c'est l'infini que l'esthète perçoit en premier lieu à travers les brumes du quotidien, fort paradoxalement.
 
Tandis que l'homme médiocre ne verra qu'une impasse derrière ces opaques apparences.
 
Ni le clocher, ni aucun toit, ni rien d'égal ne domine ce royaume dénué d'éclat.
 
Seuls les espaces boisés s'imposent dans le lointain. Ils représentent les profondeurs obscures, inquiétantes, captivantes, quasi mystérieuses, de ce monde à part.
 
L'ultime refuge de la modernité.
 
Une sphère d'évasion, un recoin d'oubli, un asile d'ombre et de silence, le but d'un voyage radical vers la simplicité, l'essentiel, le rêve.
 
Aussi dans ce contexte particulier les porteurs de haches incarnent-ils des sortes d'argonautes de la cambrousse s'enfonçant dans les voies les plus secrètes de la forêt.
 
Ils ressemblent à des oracles en sabots, à des ogres subtils, à des explorateurs oniriques en quête de trésors suprêmes, loin des artifices clinquants de la ville, pétris d'un idéal virgilien proche de leurs semelles, à portée de leurs pognes...
 
Animés par la flamme sacrée de leur métier, ils contribuent au bonheur local. Avec modestie, mais ayant néanmoins conscience d'oeuvrer pour la cause vénérable, ils récoltent l'humble combustible végétal qui, après coupe et séchage, ira flamboyer dans l'âtre des villageois, illuminant leur foyer et réchauffant leurs jours d'hiver...
 
Ce qui, finalement, réjouira leur coeur simple.

Voilà qui suffit à faire de ces travailleurs de la sylve d'augustes légendes enracinées parmi le peuple des feuillus, tels des demi-dieux vaquant à leur besogne dans leur étrange olympe de verdure.

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vendredi 8 décembre 2023

2109 - Le coucou de Clinchamp

A Clinchamp le coucou n'annonce pas vraiment le printemps.
 
Mais plutôt le train-train du spleen, trois mois de tièdes tourments, une saison de papillons aux ailes de plomb.
 
Il est le point de départ des jours vides qui s'écoulent, indolents, et des heures de langueurs consacrées à attendre que tout passe, que tout se fige et que tout meure... Autant dire le commencement d'un chemin de sempiternelle mélancolie, ponctué d'interminables aires de monotonie.
 
Un royaume où la lumière ressemble à une brume sans fin et où le ciel est un océan de rêveries qui finissent comme l'écume. Un pays éclairé par un soleil de léthargie reniflant des nuages soporifiques.
 
Un monde où horizon rime avec prison.
 
Bref, là-bas le chant de l'oiseau parasite rappelle l'air sinistre du glas. Et le beau temps est irrespirable du premier rayon de l'aube à la dernière larme du crépuscule.
 
Non vraiment, je vous le dis, ce village ne s'illumine d'étoiles et de cailloux et ne prend ses couleurs de bouse et de feu que hors des sentiers sclérosés de la pensée citadine !
 
Si vous voulez trouver le bonheur dans ce trou de silence et d'inertie, sondez ses profondeurs au lieu de vous attarder sur ses surfaces. Ses vrais trésors sont au niveau des racines, et non superficiellement au ras des pâquerettes. Ils gisent là où règnent les siècles, persistent les légendes, pèsent les pierres et volent les fantômes : loin des apparences, dans les subtilités de ses rudesses et les mystères de ses lourdeurs.

Aux antipodes de la plate chansonnette du pique-nids.
 
L'âpre joie de l'esthète épris de vaches et de vent, de flore et de plume, de paille et d'ombre, d'herbe sèche et de verte folie ne réside nullement dans les insignifiances de mai, les banalités de la brise vernale et les légèretés du volatile qui de branches en branches répète ses notes annuelles immuables...

Mais dans l'ivresse que procurent les tempêtes de grêle, l'enchantement qu'apportent les flots de boue, la réjouissance qu'occasionnent les averses réfrigérantes. 

Sans prévenir, ces rigueurs providentielles tombées des nues réveillent les statues de chair que vous êtes, vous les visiteurs égarés en ces lieux, brisant d'un coup le rythme mortel de cette champêtre nécropole nommée Clinchamp !

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lundi 4 décembre 2023

2108 - BFMTV : l'écran de la vérité

Depuis que les médias généralistes ont pris le pouvoir tant sur les écrans que dans les cervelles, les foules de notre belle société de technologie triomphante ont été sorties des ténèbres de l'ignorance, mises à l'abri de la superstition, placées loin de la sensibilité archaïque dont souffraient nos aïeux qui, eux, croyaient aux fables peuplant leurs jours simples sans aucune connexion avec des sources d'informations non-stop...
 
Il faut dire que nos malheureux grands-parents n'avaient pas la chance d'être, comme nous, constamment branchés sur les antennes de la bonne parole de BFMTV... Les pauvres étaient isolés dans leur trou, sourds aux bruits en vogue, hors de l'actualité brûlante, privés de tout scoop, du moindre flash d'info, de la plus élémentaire notification.
 
Leurs journées ressemblaient à des pluies monotones, avec dans leur tête des pensées statiques sans relief ni éclat. Seul l'horizon plat de leur existence fade bornait leur vue brève. Au lieu de téléviseurs allumés sur les choses les plus essentielles, ils fixaient bêtement leur feu de cheminée.
 
Et n'imaginaient rien d'autre que des affaires à leur portée. Ils ne s'occupaient que de leur jardin, n'écoutaient que leurs voisins, ne voyaient passer que les oiseaux du ciel au-dessus de leur toit.
 
C'était pour eux la porte ouverte à tous les vents locaux, à on ne sait quelles ineptes rumeurs du coin, aux histoires invérifiables ne dépassant pas les limites de leur clocher... Autant dire que nos ancêtres étaient exposés aux mensonges, aux balivernes, aux fake-news !
 
Arriérés, reclus, vierges des fracas et tapages du globe, ils n'avaient jamais de contact auditif ou visuel avec les diffuseurs de vérités bien calibrées que sont les présentateurs de journaux télévisés.
 
Je veux parler de ces messies des nouvelles officielles aux mots de marbre, aux déclarations gravées dans les certitudes de ce siècle de raison, de sciences et de progrès.
 
Paroles d'évangile qu'il est d'ailleurs interdit de contester, de discuter, de contredire sous peine de passer pour un complotiste. En effet, elles ont été proclamées comme vraies, décrétées irréfutables, garanties conformes à la vision du monde en vigueur sous nos latitudes par leurs auteurs dûment dotés d'authentiques cartes de presse.

Nous pouvons dormir tranquille : les idéologues infaillibles à la langue aseptisée que l'on nomme "journalistes" veillent à la bonne formation de nos idées prémâchées.
 
Les éditorialistes à la une ont construit notre quotidien d'honnêtes et modernes moutons selon les bonnes normes : les leurs.

Là est l'intérêt obscur de ces menteurs professionnels.

En réalité, derrière leur façade lisse ils pensent comme des loups.

Mais devant leurs prompteurs parlent comme des agneaux.

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2107 - Lettre anonyme

Monsieur,
 
Vous ne savez pas qui je suis, mais quelle importance ? Moi je connais parfaitement mon identité : né des odeurs de vos mauvaises idées, je viens du fond de vos égouts, du dessous de vos semelles, de l'envers de vos façades, des coulisses de vos théâtres.
 
C'est un oiseau de fer à plume de fiel qui vous écrit cette lettre. Ceci vous renseignera mieux, n'est-ce pas ?
 
J'ai de fines oreilles qui entendent les murmures, les mots durs et les rêves obscurs de ceux qui m'entourent. Et deux ailes noires prêtes à répandre les vérités honteuses au vent doux des jours amers.
 
Sur mon dos je porte la moisson de vos jardins ambigus.
 
J'ai pour égayer vos heures cruciales des roses empoisonnées et des nuées d'autres amanites aux parfums de scandale...
 
Ainsi sous les toits honnêtes les hôtes à la tête haute auront le privilège d'ouïr mon chant de malheur.
 
J'ai vécu longtemps caché parmi vous, observant chaque attitude, écoutant tous les bruits, à l'affût de bien des feux. J'ai ri et frémi de vos secrets de rats. Et aujourd'hui j'affiche en pleine lumière vos grimaces et comédies, petites indignités et vastes intrigues, protégé de vos crachats derrière ma cape opaque et mon bouclier de corbeau, moi le bec anonyme qui dit tout.
 
Je suis l'ombre qui part à la conquête du monde dans le but d'y faire régner l'orage. Je remonte des gouffres sans nom pour briller au sommet de vos temples. J'apparais sous le Soleil pour faire peur aux hommes.
 
Sorti de mon trou afin que nul ne m'ignore plus désormais, mon dessein est de dévoiler la face râpeuse de vos belles médailles.
 
Bref, je vous adresse ce courrier pour vous faire une révélation : vous êtes cocu !

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