jeudi 4 décembre 2025

2471 - Le tour de ma cellule

L'univers de ma cellule se résume certes à un espace très étroit, fort restreint, extrêmement limité. Cela ne m'empêche nullement d'en explorer les minuscules recoins ni d'en imaginer les plus fabuleux horizons. Depuis ma permanente position statique, j'ai un angle de vue acéré et durable sur les moindres choses. Et mon regard se pose progressivement sur les détails de ce qui m'entoure, tantôt contemplatif, tantôt rationnel.
 
Une vie entière ne suffirait pas, en vérité, à entreprendre un voyage complet entre les quatre murs qui m'encerclent. Mon monde de reclus est triste, il est vrai. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'est pas riche. Bien au contraire, il se révèle d'une variété sans fin pour qui se focalise patiemment sur les plus petites parties qui le composent. Mais également lorsqu'il est considéré sous ses multiples aspects : directement visuels ou purement abstraits, grossiers ou subtils, franchement tangibles ou beaucoup moins évidents...
 
Moins il a d'objets à observer, de supports pour y faire courir ses pensées, de surfaces apparentes pour y faciliter son évasion intérieure, plus l'esprit cherche des points d'appui, paradoxalement. Et il se contente de peu pour être comblé.
 
Sur des miettes, des poussières, des bêtises de toutes sortes il trouve finalement des trésors sur lesquels s'accrocher, rêver, partir très loin. L'imagination humaine s'emballe plus facilement dans le dépouillement matériel et découvre des infinis à travers trois fois rien.
 
Ainsi une écaille de peinture tombée sur le sol peut m'emmener dans les méandres de ses imperceptibles étendues, véritables montagnes et vallées à échelle d'une bactérie. Ou une simple feuille d'arbre qui entre par la fenêtre peut devenir un sujet d'étude minutieuse, un puits brut de sciences naturelles où m'abreuver intellectuellement, mais aussi un terrain d’aventure miniature sur lequel je choisis de cheminer durant des heures, comme si j'étais une fourmi.
 
Là où dans un contexte ordinaire l'homme en liberté ne verrait que du vide, des artifices puérils, des misères dénuées d'intérêt, ici enfermé pour toujours dans une geôle, le condamné à perpétuité a tout son temps et toute son attention pour percevoir mille étoiles éclatantes, plus encore d'ombres secrètes et autant d'autres surprises prodigieuses parfaitement inattendues... Et ceci, dans chaque parcelle de son trou infâme... A ces sources inépuisables d'étonnement il se perd, s'émerveille et, pris au jeu des folies de son cerveau, il s'envole bientôt.
 
Bien entendu de telles plongées fulgurantes vers ces royaumes de légèreté et de profondeurs ne fonctionnent véritablement que lorsque son état mental y est disposé, entre ses jours glacés de déprime et ses nuits enflammées d'insomnie. Et encore faut-il que le détenu prenne la peine de se pencher avec assez de curiosité sur les éléments dérisoires de sa cage.
 
Ce qui est mon cas.

Au sein de cette sobre pièce où je demeurerai jusqu'à mon souffle ultime, je fais le tour incessant de la Création.

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