mercredi 27 avril 2022

1808 - Morte veilleuse

Bien qu'elle soit surnaturelle, généralement elle passe inaperçue.
 
Elle apparaît comme un disque de givre dans le noir, un clair austère au-dessus des toits, une face spectrale par-dessus les nuages.
 
La Lune qui luit dans la nuit est une amie distante, une âme froide au regard tiède, une flamme si cadavéreuse qu'elle glace le ciel, une femme au fard si fade qu'on en oublie son visage qui s'efface bien vite dans les nues.
 
Cette boule voguant bien au-delà des airs a des allures d'astre d'or, de dame qui dort, d'âtre qui meurt...
 
C'est un feu presque éteint, une sorte de veilleuse aussi vieille que la Terre, et qui la suit comme si c'était son ombre.

Ce satellite sans vie m'est plus cher que le Soleil.

Il est comme un esprit qui vagabonde dans l'espace, physiquement encore attaché à notre globe mais déjà loin dans ses pensées rêveuses, si éloigné des préoccupations humaines, si proche de mon coeur en peine qui ne songe qu'à l'amour.

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mardi 26 avril 2022

1807 - Coeur de pierre

Je suis follement amoureux d'elle.

C'est une flamme lointaine, hautaine, glacée. Son front pétrifié reflète le silence, la gravité, la mort. Sa chevelure d'or est un pur rêve et ses orbites de cadavre sont pleines de lumière.

Cette amante au coeur de pierre a une tête d'oiseau et un regard de fantôme. C'est une dame mystérieuse qui aime prendre de grands airs depuis ses hauteurs.

Elle passe, lumineuse et indifférente, m'éclaire et m'ignore.

Et moi je la fixe, fasciné par son visage de silex, hypnotisé par ses traits ambigus, sous le charme de sa face de chouette.

Portée par ses ailes funèbres, elle sillonne l'horizon et disparaît dans la brume, laissant derrière elle un parfum d'encens, une impression tombale, une sensation de marbre.

Entre la finesse du cristal et la profondeur des ténèbres, l'immensité de l'azur et la légèreté des montagnes.

Elle est à mes yeux un éternel point d'interrogation dans le ciel, la Lune.

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vendredi 22 avril 2022

1806 - Noir

Il a le lustre des causes profondes, la densité des vues pénétrantes, la gravité des sentences de plomb.
 
Le noir est un éclat de marbre qui tranche les jours et raye les vivants de la Terre.
 
C'est un gouffre plein de hauteurs, le sommet du désespoir, le royaume des vérités sans nuance. Mais aussi la pointe de la plume qui écrit des mots bleus, blancs, clairs.
 
C'est une nuit riche d'obscurités, lourde de sens, interminable comme un voyage sans retour.
 
Cette ombre brille dans les entrailles des bêtes, au fond des gueules et dans les oubliettes. C'est un astre de mort qui nourrit les coeurs de loups et les champignons vénéneux.
 
Ce soleil des caves est le refuge des rats et de l'Art.
 
Sa face est éblouissante de beauté controversée, de charme cadavérique et de certitudes immortelles.

Cette couleur sans fin est en vérité un ciel immense de pensées pleines de valeurs : ces nuages sombres donnant des pluies fécondes d'encre de Chine.

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jeudi 21 avril 2022

1805 - Mystère de la Lune

Lorsque la Lune s'allume dans la nue et salue la nuit, elle est comme une bulle d'aluminium gonflée d'éther au-dessus de la Terre.
 
C'est un visage occulte qui brille, une face dorée qui vaut une pile de rêves, un front d'or qui ne pèse qu'une plume.
 
Elle a des essences célestes et des légèretés d'oiseau. C'est une fleur du firmament, une aile qui vogue, une vague qui passe, une paille dans le vent, un feu follet aux allures éoliennes.
 
Elle est comme une âme qui veille, c'est-à-dire une flamme en l'air, une sorte de femme au loin, une chandelle dans un coin, une lueur d'espoir.
 
C'est une tête qui roule dans le noir et ne pense qu'à réfléchir la lumière du Soleil.

C'est pour cela que cet astre, mort depuis une éternité, semble toujours brûler d'amour pour on ne sait quelle cause, poursuivant sa route en solitaire vers on ne sait quel but.

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dimanche 17 avril 2022

1804 - Jackson Pollock

Jackson Pollock, le peintre des surfaces mentales et des cadres bordés d'horizons, dont les arabesques sont aussi claires qu'un ciel d'été, a su mettre à la portée de nos regards des soleils noirs et des brumes infinies.
 
Sous ses jets précis de matière sur la toile naissent des astres, des lignes et des courbes comme des mondes à l'intérieur d'eux-mêmes, à travers un savant jeu fractal où mille formes, comme autant de visages, de paysages ou de nuages, jaillissent et se font écho dans une chorégraphie picturale fulgurante.
 
Non pas avec sens, mais avec art.
 
Vastes imbrications d'univers cérébraux dynamiques ! Du bout de son pinceau, parfois simple bâton d'où s'écoule la peinture, l'artiste fait exploser l'espace et l'embrase de sa lumière.

Ses oeuvres sont des flammes d'harmonie où les profondeurs et les sommets se rejoignent à travers un feu galactique qui n'en finit pas de brûler dans l'oeil de l'observateur.

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samedi 16 avril 2022

1803 - En pleine lumière

Me voici au milieu de la verdure, au bord de ce champ, sous cette mer d'azur, pour vous présenter le monde et ses hôtes. Sur cette Terre, voyez-vous, nos âmes se sont incarnées pour y éprouver mille malheurs et cent bonheurs. Ou l'inverse : cent malheurs et mille bonheurs.
 
Nous sommes sur ce globe pour y échouer avec fruit à nos examens mais aussi pour réussir nos gâteaux d'anniversaire, pour repartir sur de nouvelles bases ou bien pour nous enfoncer dans nos erreurs, pour boire à la source de la tiédeur ou pour nous rafraîchir le coeur d'eau de pluie.
 
Nous sommes ici à 'école de la vie. Nous apprenons à aimer la soupe humaine et les trésors des recettes à baise de sueur et de lumière.
 
Nous grandirons au soleil de l'intelligence et mourrons sous les astres fous de la sagesse cosmique, si nous y consentons, et puisque Dieu le veut.
 
Je vous présente la Création, venez vous ébattre dans cet espace d'incessants miracles spécialement conçus pour chacun d'entre vous. Ne voyez rien de banal dans tout ce qui vous entoure car tout est merveilles sous vos pieds et au-dessus de vos têtes.
 
Les vastes clartés comme les parcelles d'ombre sont à la mesure de vos regards de mortels en céleste devenir. Vos mains ont été faites pour toucher le vrai et votre esprit pour aller à l'essentiel.
 
Mais vous avez également la liberté de faire ce qui vous plaît, même le pire.

Vous avez le droit de devenir des ânes si vous le souhaitez. On vous donnera du foin à profusion. Cette pâture n'en manque pas.
 
Vous êtes là pour expérimenter le bas comme le haut. Pour porter des masques et des oeillères ou pour porter une épée et servir d'éclaireurs à vos frères humains.

A présent que je vous ai dit ces choses, entrez dans la ronde de l'Univers et oeuvrez chacun selon vos misères ou vos richesses dans ce beau décor offert par votre Créateur.

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jeudi 14 avril 2022

1802 - Harmonie des sexes

Je rêve d'un monde imparfait et délicieusement incorrect où les hommes seraient les conquérants de causes graves ou joyeuses, impérieuses et légères, nobles et vertueuses, et non des loques apathiques à l'intelligence avilie, et les femmes des fleurs qui parfumeraient de leur présence les soirées de ces nouveaux héros au coeur d'acier, au verbe d'airain et à la poigne de fer, sans langue de bois ni pensée édulcorée.
 
Un univers à la fois doux et dur fait de mâles triomphants et de femelles soumises, admiratrices de ces dieux replacés sur leur véritables trônes de lions que sont les porteurs de testicules.
 
Une société forte, droite, morale, composée de gens sans demi-mesures, d'êtres entiers, de têtes rugueuses et honnêtes, de faces franches, de regards clairs reflétant des vérités tranchantes.
 
Une Humanité constituée de gars virils et de filles tendres cherchant à se plaire mutuellement dans le feu et le jeu des contraires.
 
Une Terre peuplée de loups aux crocs acérés et d'agnelles en crinoline, rêvant tous au festin de la chair et au triomphe de la raison archaïque consistant en l'édification du foyer basé sur la supériorité phallocrate, telles que le conçurent les lois cosmiques immuables, éternelles, universelles.

Et que j'ose appeler, devant les incrédules que vous êtes : la volonté divine.

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samedi 9 avril 2022

1801 - Dix ans dans l'azur

A dix ans je m'abreuvais de nuages en été et m'enivrais de givre en hiver.
 
Je vivais à Warloy-Baillon, un modeste village qui à mes yeux représentait un monde aussi vaste qu'une Babel champêtre. Entre plaine sans fin et chemins de craie, vieux moulin et champs de pâquerettes, espaces semés d'herbes folles et routes bordées de coquelicots.
 
Pour moi c'était la capitale mondiale des jours heureux.
 
Le centre de mon Univers d'enfant. Le lieu de toutes les légèretés, de toutes les merveilles, le pouls haletant d'un éternel présent fait d'aventures verdoyantes et de voyages bucoliques, de bains d'azur et de découvertes sylvestres, de joies éoliennes et de frissons célestes !
 
Un bonheur figé dans une ruralité marquée.
 
Une forme d'éternité forgée par une campagne pleine de papillons, renforcée par la brique sinistre des maisons, prolongée par les bois sombres au loin, éclaircie par un horizon peuplé d'oiseaux...
 
Mais aussi un pays obscur, boueux, lourd, aux sillons rudes d'où sortent la patate et la betterave à sucre. Une terre noire où les hommes cultivent une langue fleurie : le picard.
 
J’avais deux lustres. Je sirotais l'eau qui débordait des gouttières en automne et me grisais de la lumière des pissenlits au printemps.
 
A cet âge, je voyais clair.

Le Soleil parfumait le ciel de nuées blanches et mon âme toute bleue brillait, là-bas à Warloy-Baillon.

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vendredi 8 avril 2022

1800 - Pluie d'avril

Le printemps était pluvieux et mon coeur écrasait chaque flaque rencontrée sur le trottoir. Aucun visage avec qui partager mon trouble sur ce chemin qui me menait nulle part. Le pas lourd, les pensées sombres, j'avançais sans but, traversant la ville comme un oiseau triste.
 
Ou comme un rat effaré.
 
J'errais ainsi, déjà vieux sous mon chapeau, déjà oublié sous mon manteau, déjà mort sous ma peau. Devenu invisible sur le pavé, j'apparaissais telle une ombre sous l'onde d'avril. Qui me savait en vie ou bien à l'agonie, en joie ou en deuil, humain ou fantôme ?
 
Guère plus remarqué que les lampadaires, j'avais conscience de l'indifférence qu'inspirait ma silhouette insignifiante. Même les lampes de la rue brillaient le soir, alors que je demeurais obscur en permanence. Ce siècle d'artifices ne me donnait pas d'autre droit que celui de ressembler aux choses qu'on ne voit plus, aux formes inanimées, aux meubles ternes, aux êtres sans nom.
 
En tant qu'homme simple ne désirant que l'essentiel, je n'avais jamais trouvé ma place dans ce monde. L'Humanité m'avait abandonné dans la périphérie de la civilisation sous prétexte que je n'étais pas branché sur ses écrans.
 
Et en ce jour mortel, la grisaille me submergeait.
 
Elle m'inhumait dans ses gouffres de mélancolie, tandis que derrière les fenêtres, tout autour de moi, des lumières éclairaient des âmes. Je devinais ces ampoules électriques et ces lucarnes d'ordinateurs s'allumant sur des front légers, éclairant des instants d'allégresse, accompagnant des rires et animant encore bien d'autres heures heureuses...
 
Je ressentais ces lointaines chaleurs comme autant de gifles.
 
Et je ne savais plus si ma face faisait ruisseler une eau glacée ou des larmes brûlantes.
 
Et je marchais, la tête vide, la semelle appesantie.
 
Bientôt j'aperçus la fin de ma route : une impasse.
 
Au fond, une immense affiche publicitaire vantant les mérites d'un site de rencontres en ligne, avec un slogan criard écrit en lettres de braise et de fureur : "NE SOYEZ PLUS SEULS, RECONNECTEZ-VOUS  AU BONHEUR !"
 
Face à tant d'ironie, de cynisme, de vulgarité, devais-je m'esclaffer ou me désoler de cette société ?

Je pris le parti d'aimer l'intempérie si naturelle, d'aimer ma solitude si saine, d'aimer mon sort d'anonyme déconnecté si enviable. Et je m'en retournai, apaisé, à mes livres antiques et à mon cher feu de cheminée.

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