vendredi 31 mars 2023

1988 - Les larmes d'Amsterdam

A Amsterdam les oiseaux de passage ont les ailes lourdes et le macadam porte un deuil éternel.
 
Près du port, les jours sont aussi gris que possible, c'est ce qui fait le charme de cette dame de la mer.
 
Amsterdam a ses états d'âme et je vois autant de rires que de larmes dans son ciel plein de vagues.
 
La ville est une grande ombre avec des flots de nuages et des rêves de lumière. Elle a des regards troubles, au fond de ses canaux. Et ses reflets ternes donnent froid même en été. Pour mieux faire soupirer les hommes et apporter de l'espoir aux rats...
 
Ses ponts sont des caveaux pour les amoureux et des paradis pour les rongeurs. Tels sont les trésors de ses pavés et les secrets de ses berges.
 
Amsterdam est une île noire au bord d'un océan d'histoires.
 
Sa brique est triste et son air est bien sombre. Mais son coeur est clair et son horizon léger : des voiles au loin voyagent, vont et viennent, passent et disparaissent dans la brume. Et dans les tavernes enfumées on chante et on boit au souvenir de ces mirages.
 
Il y a tant d'écume à raconter...
 
Même quand il pleut, il y a toujours du beau temps dans les bars d'Amsterdam : la bière y brille toute l'année.
 
Venus de pays de soleil, des vaisseaux débarquent jusqu'à ses pieds trempés. Remplis de mazout ou bien chargés d'azur, ils déversent de l'or sur les quais et de la joie dans la nuit.
 
Même si Amsterdam pleure beaucoup d'être au nord, la cité est riche de son brouillard. Comme une atmosphère de mélancolie qui se répand depuis les toits jusqu'aux trottoirs. Sans oublier ses rues dans l'eau et la pluie en cadeau.

Avec, dans ses yeux de charbon, un peu de Bergame.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 30 mars 2023

1987 - Clinchamp, terre d'envol

Se rendre à Clinchamp est un supplice, une horreur, une déprimante corvée pour les uns. Une délicieuse initiation à la réalité pour les autres.
 
Accepter de descendre dans un gouffre pour mieux escalader la nue est une voie royale à la portée des  éveillés.
 
Les âmes de qualité voleront vers ce trou à rats, pleines de joie, en quête de plus d'azur, de plus d'esprit, de plus de lumière. Les autres, plus flasques, incolores, moins élevées, resteront à produire des pensées stériles et autres navets d'insignifiance dans leur petit carré de superficialité.
 
Au fond de ce néant de verdure on trouvera certes des bouses de mortelles langueurs, des tas de fumier aussi lourds que des jours de plomb, des mares fangeuses jamais joyeuses, des villageois à faces de bovins, des vaches aux airs de mégères et un paysage aux allures de jardin de cimetière. Mais également un horizon menant vers des nuages de diamants, des crépuscules aux flammes fécondes, des nuits peuplées de spectres brillants, des aubes avec des larmes glorieuses, et puis des clartés ordinaires qui révèlent des vérités enfouies...
 
Sur cette terre aussi plate que ses habitants, on marche dans la merde, s'enlise dans l'inertie, s'inhume sous dix siècles de silence.
 
Mais on y voit l'infini devant soi.
 
Mieux : les pierres y deviennent des plumes. Et les esthètes, des étoiles.
 
Mais évidemment, seuls les êtres supérieurs perçoivent ces sommets essentiels. Les cornichons en sabots du coin, les ânes avec des enclumes aux semelles que sont la plupart des simples quidams sans histoire et les abrutis hyper-connectés de passage avec leurs écouteurs soudés à leurs orteils, ne verront que la modeste hauteur du clocher. Ou  la légèreté supposée de mes mots. Ou même, carrément, ma prétendue folie. Les plus idiots m'appelleront "peintre du rêve" ou "conteur de l'étrange"... Les pragmatiques, qui sont aussi les plus hermétiques, diront que je suis tout banalement "anormal".
 
Ce que ceux-là ne comprennent pas c'est que, tandis qu'ils sont encore sur Terre, bien à leur place dans leur époque, durablement enracinés dans leur chère modernité, bloqués dans leur existence de voyageurs blasés, d'épiciers repus, de volatiles trop pesants pour l'éther, moi je suis déjà arrivé au bout de la route, tout près du ciel.

Derrière les apparences, là-bas à Clinchamp.

VOIR LA VIDEO :

mardi 28 mars 2023

1986 - La Joconde de Clinchamp

Dans les années 1940, en pleine tempête martiale, vivait à Clinchamp une femme que l'on surnommait "la Joconde" du fait de sa chevelure brune intense et de son charme florentin.
 
Tandis que la France tremblait face à l'envahisseur allemand, la vivante peinture menait une existence détachée et facile, jouissant sans restriction des faveurs de l'ennemi. Sa beauté lui conférant tous les privilèges, elle en usait aussi bien pour améliorer l'ordinaire que pour goûter aux ivresses interdites.
 
Avec l'habitude de l'opulence et du confort, même les abus passaient pour des dus à ses yeux. Grâce à ce sésame octroyé par sa seule naissance, même en pleine tourmente elle osait ouvrir toutes les portes. Aucune ne lui résistait. Si bien qu'elle estimait normal d'être si bien reçue à la kommandantur.
 
Et surtout, si bien récompensée pour ses services...
 
Bref, l'infâme collaborait allègrement : chez elle il y avait du beurre et de la bonne soupe tous les jours. Les galants en vert-de-gris se succédaient dans son alcôve. Epanouie, l'âme légère, la bourse engraissée, la vie était belle pour l'occupée. Les rires alliés à la bonne chère ne faisaient qu'embellir la française... Elle méritait effectivement d'être peinte et exposée dans les plus prestigieux musées !
 
Les "temps difficiles" pour elle se maintenaient au beau fixe. Ce qui, évidemment, faisait jaser dans le village. Cependant même ses détracteurs, résistants ou simples citoyens, ne pouvaient nier l'irrésistible attraction qu'exerçait sur eux la traîtresse, aussi ignobles que fussent ses actes.
 
Cette figure locale présentait en outre des facettes sombres et éclatantes, ce qui formait des contrastes aussi révoltants que fascinants. Par exemple, lorsqu'elle se promenait le soir seule à travers les bois, on aurait dit une fée partant à la rencontre d'elfes. Sa face de muse devenait onirique sous les frondaisons et son corps de déesse se confondant avec les troncs dans la brume prenait des allures irréelles. Ou bien quand elle se baignait dans quelque étang, la vision ressemblait à un tableau de Watteau ! Heureux le chasseur qui avait pu la surprendre au détour d'un chemin en train de s'ébattre dans les flots ! Pour lui, cela équivalait à épier du gibier de l'Olympe.
 
Ha ! Qu'on était loin des sinistres réalités de la guerre devant ce rêve éveillé !
 
Difficile, même pour un coeur meurtri par ses outrages commis envers la France et ses coopérations et coucheries avec l'adversaire, de rester de marbre face à tant d'attraits...
 
L'idée de devoir exécuter l'incarnation du chef-d'oeuvre de Vinci ne plaisait pas particulièrement aux hommes, même sous les pires orages du siècle.
 
A la Libération, elle fut épargnée.
 
Mais désormais on l'appelait "la face de Bosch".

(De Jérôme Bosch)

lundi 27 mars 2023

1985 - Face cachée de Clinchamp

Décidément, il s'en passe des choses dans ce trou prétendu sans intérêt qu'est Clinchamp !
 
Rien normalement ne devrait advenir de notable là-bas, si ce n'est l'écoulement silencieux et anodin des jours incolores qui s'allument sans faire d'histoire pour s'éteindre aussitôt dans l'oubli de lendemains tout aussi flasques. Les légumes enracinés en cette terre perdue n'en ont pas fini de bouillir dans leurs sabots...
 
Les habitants, en effet, un tantinet bourrus, n'ont pas l'air d'avoir parfaitement conscience de l'incroyable trésor que recèlent les herbes folles s'agitant sous leur ciel. Qu'ils le croient ou non, leur humble commune est le siège de tous les trafics féériques entre azur et bosquets, commerces lutinesques des sous-bois, intrigues vagabondesques des chemins et autres affaires oniriques de haute volée.
 
Là, sous leurs pieds de balourds, se trament de subtiles réalités de premier ordre. Trop occupés  à regarder leurs télévisions, si chèrement attachés à leurs pesanteurs, infiniment éloignés de ces hauteurs qui dépassent leur quotidien d'épiciers et de gardes-vaches, ils ne soupçonnent rien de ces phénomènes qui enflamment secrètement les nuits de leur village.
 
Evidemment, ce que vous allez lire ne sont pas des événements rapportés par les journaux. Rien d'officiel ici, certes. Cela dit, je vous assure que tout est très sérieusement issu des messes basses entendues sous les dernières clartés vespérales. Des vérités incontestables colportées par les murmures du crépuscule, les clameurs des nuages, les rumeurs des fossés et les paroles du vent.
 
Autant dire, des petites musiques du soir à ne pas mettre sous tous les chapeaux... Et surtout pas entre ces oreilles insensibilisées, sempiternellement chaussées d'écouteurs de smartphones, et qui n'entendent plus rien des échos de la vie fantasmagorique... Non, ces sérénades-là s'adressent prioritairement aux initiés qui ne portent nulle oeillère. Ni la moindre prothèse technologique interférant sur leur ciboulot.
 
Figurez-vous qu'aux alentours de minuit et jusqu'à l'aube, dans les champs et à l'orée de la sylve, des rats, des mulots, des chouettes et des lièvres se concertent sous les étoiles. Et y font naître des feux comme des rêves, des lueurs qui ressemblent à des mirages nocturnes, de pâles lumières ainsi que des chandelles. Echappés tous vivants des fables de la Fontaine ou bien créatures sidérales surgies des constellations, à moins que ce ne soient des allégories mythologiques directement tombées de la Lune, ces entités fantastiques hantent les prés et les mares, les routes et les pâtures de Clinchamp endormi...
 
Elles souhaitent, dit-on, se montrer aux yeux de qui veut bien les voir. Tout en se cachant des autres.
 
Tout simplement pour, en cette cambrousse de la Haute-Marne sensée être loin des écrans portatifs pleins de vacuité de notre monde moderne, y faire briller leur fulgurante incarnation.
 
C'est-à-dire, faire triompher la cause poétique suprême.

VOIR LA VIDEO :

samedi 25 mars 2023

1984 - La clocharde de Clinchamp

Vous les incrédules, laissez-moi vous raconter jusqu'au bout et sans me couper l'histoire à peine croyable de cette ermite d'un autre temps ayant vécu dans une cabane isolée à l'orée d'un bois, à deux kilomètres du village de Clinchamp.

Ecoutez d'abord, doutez ensuite si cela vous chante, cela m'est bien égal.
 
La vieille femme née à la fin du XIXème siècle avait définitivement adopté les moeurs de l'âge de la chandelle et du charbon. Depuis toute petite elle avait chaussé les sabots d'une civilisation révolue, sans les avoir jamais quittés. Devenue quasi centenaire à l'ère de l'informatique, elle continuait à courir les champs sur des semelles de frêne et à confectionner des fagots pour éclairer son âtre !
 
Les rares hôtes -ou intrus- des années deux-mille ayant pénétré sous le toit sommaire de cette rescapée de l'époque de la vapeur, ont découvert d'un coup l'antre d'une authentique chouette !
 
Plus précisément, le foyer enchanteur, chaleureux, romantique d'une vieillarde mi-fée, mi-paysanne. A moins que cela ne fût, aux yeux de certains, plus proche de la tanière rustique et effrayante d'une corneille mi-sorcière, mi-ascète... Un choc esthético-culturel mémorable pour ces visiteurs, en tout cas. Bref, là survivaient depuis des décennies les reliques d'un univers hors de nos normes, loin de toute modernité, étranger à nos idées. 
 
Qu'on le perçut clair ou bien sombre, l'animal était de toute beauté. Avec ses allures de spectre, sa tête de légende, ses occupations d'un passé oublié, l'antique créature tout en rides et regards perçants apparaissait comme un mythe de chair et de chiffons. Ou un pur cauchemar échappé d'une fable... 

Un mystère en guenilles.

Seul en pleine campagne, l'oiseau étrange vêtu de tissus agrestes passait ses journées à vagabonder dans les alentours, allant et venant entre bosquets ombreux et fossés vespéraux, matins de brumes et crépuscules de poussière, terre battue et horizon onirique, soit en quête de branches mortes pour son feu, de vagues tubercules comestibles ou de plantes médicinales pour sa marmite, soit à la rencontre d'autres volatiles de plumes, de soie ou de haillons pour tenir compagnie à son âme sauvage. La recluse fréquentait indifféremment les chats-huants et les humains, pourvu qu'ils partageassent son goût de la sobriété verbale.
 
Echanger le plus strict essentiel la comblait de satisfaction. De son point de vue, même un simple "bonjour" passait pour un artifice de trop. Bien qu'elle n'eût refusé la présence ni d'un rat ni d'un bipède, la proximité de ces êtres, aussi silencieux fussent-ils, ne constituait nullement une priorité. Aussi avait-elle une nette préférence pour l'amitié des tombes, l'escorte des ombres, les flammes de la nuit.

Mais quelle bête fantastique habitait dans cette bicoque entourée d'herbes folles ?

Les soirs d'automne on pouvait voir, dit-on, une lueur survoler les pâtures endormies. Des égarés de minuit affirmaient avoir capté de drôles de murmures dans les airs. Des formes lumineuses, aussi floues qu'inexpliquées, surgissaient des ténèbres pour s'évanouir aussitôt dans les limbes de l'incertitude. Des dormeurs furent réveillés par d'inhabituels hululements et quelques-uns d'entre eux virent à travers leur fenêtre une silhouette éphémère rayonnant d'une pâleur lunaire... Les ailes d'on ne sait quel gibier nocturne battaient lourdement au-dessus des jardins, autour du clocher... Rien de vraiment sûr, certes. Mais comment être formel quand l'imagination la plus vive se mêle aux furtives réalités de l'obscurité ?
 
Toujours est-il qu'en ce pays du merveilleux, l'aube se levait parfois sur des soupirs ou des soulagements...
 
Mais plus prosaïquement, les habitants des environs apercevaient souvent l'épouvantail marcher dans la plaine, telle une figure familière. Cependant tous se tenaient à distance de cette errante solitaire. On la savait issue d'un royaume si obscur... Crainte et respectée, moquée, épiée, maudite ou bénie, elle inspirait dans les coeurs les fleurs les plus puantes comme les plus flatteuses épines...
 
Il faut dire que la passagère des chemins abandonnés faisait surtout peur aux citadins et aux adultes superstitieux. Mais suscitait la joie des enfants !
 
Un jour des chasseurs la trouvèrent morte étendue sur l'humus, aux abords d'un fourré, la main étreignant encore un sac rempli de pissenlits.
 
Nul n'a vraiment su de quoi vivait cette gueuse énigmatique, toujours heureuse et secrète sous son ciel de Clinchamp. Elle semblait immortelle dans ses oripeaux de ladre et sous ses airs de fantôme éblouissant.
 
Voici ce qui reste de son humble logis (voir la photo). Si de passage en Haute-Marne vous empruntez une route menant vers l'inconnu et que vous tombez sur cet improbable baraque, arrêtez-vous donc un instant en ce lieu et recueillez-vous, car ici, durant presque cent ans, vécut, bien caché du monde, un personnage digne d'un conte de Perrault.
 
Peut-être même entendrez-vous encore ses pas faire crisser les feuilles mortes dans le vent.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 23 mars 2023

1983 - Je suis un extraterrestre

Je ne suis pas de ce monde, je ne suis pas né sur votre Terre.
 
Mon nom est Muc Ur Yet et je suis un extraterrestre.
 
Pourtant je ne suis pas fondamentalement différent de vous puisque je suis un humanoïde, c'est-à-dire le sommet de la Création charnelle conçue à l'image divine.
 
Une banalité dans le Cosmos.
 
Je suis arrivé sur votre globe terrestre tout simplement, selon les lois habituelles, communes de la physique la plus basique : en vaisseau spatial. Simple question de technologie.
 
J'ai immédiatement apprécié vos frites, bien que cette nourriture ne soit pas très bonne pour mes intestins fragiles. Par contre votre limonade au pamplemousse m'écoeure.
 
Vos femmes sont belles, même s'il y en a de fort laides. Chez nous il y a aussi des femelles ingrates, sottes et vulgaires, indignes de nos coeurs romantiques. Nous les détestons autant que vous détestez vos laiderons car nous partageons universellement le sens du beau. Et donc de la laideur.

Ce qui fait de nous tous des créatures supérieures.
 
Chez nous, il y a de la joie et de la pluie. Nous ne faisons pas la guerre mais cultivons des légumes, apprivoisons des oiseaux, faisons voler des enclumes. Nous aimons la musique, le rêve et la danse. Nous sommes des esthètes enchantés, des savants légers, des esprits en or et des âmes éprises d'art.
 
Des hommes lumineux. Des humains pareils à des plumes. Des êtres sages et doux.
 
Mais nous pleurons également. Et jamais autrement que vous, sachez-le. Nos larmes sont issues de la même source. Lorsque nous sommes tristes sur notre planète, les causes en sont vos identiques drames et futilités. L'astre qui nous éclaire n'a rien à voir avec votre soleil, néanmoins nos sentiments profonds sont semblables aux vôtres. Nous avons dix doigts, deux pieds, autant d’oreilles et une paire de narines, tout comme vous. Et, à l'image de vos variétés, préférences, flammes et misères, mille objets d'amour et mille autres de détestation.

Au fait je suis venu jusqu'à vous pour vous délivrer mon message plein de vérité et de bon sens : nous sommes des gens normaux et c'est vous les terriens qui avez des têtes bizarres.

VOIR LA VIDEO :

1982 - Clinchamp sous les éclats de novembre

Sous les torrents pluvieux de novembre et les flots de désespoir qui se marient si bien avec, Clinchamp est aux anges. C'est en ce mois d'effondrement du ciel et d'extinction des coeurs que la localité sombre dans un gouffre fécond, c'est-à-dire accède au sommet de mon idéal de rat éveillé.
 
Entre la glace et la mort, la pétrification et l'ensevelissement, le crépuscule et les ténèbres.
 
Un chef d'oeuvre de franche neurasthénie mêlée de noire rêverie. Le plus poétique boulet de charbon qui soit, avec ses minuscules éclats d'argent surgissant de la nuit.
 
Tels des diamants éternels enfouis dans une obscurité sans âge.
 
Des gouttes de joie authentique, par milliers, s'opposant à un océan de fausse déprime. Bref, les étincelles mêmes de la vie qui, tandis qu'elle semble définitivement ravie par nos cimetières, cherche à faire triompher sa lumière.
 
Tout autour de ce clocher voué à l'oubli, les ombres y sont brillantes. Mais qui les voit ?
 
Par-delà les apparences de plomb, les fossés boueux débordent d'azur. Les nuages déversent des flammes de bonheur brut sur les champs trempés de grises illusions. Et la brume des matins mortels, en réalité, est radieuse comme le feu du Soleil.
 
Les pluies frigorifiantes de l'automne qui tombent sur ce village d'enterrés ne sont point des cauchemars de lourdeurs et d'humidité en vérité, mais des averses de faveurs célestes pleines de légèreté.
 
La laideur des éléments finalement n'est qu'un mensonge, un pur artifice créé par l'esprit désenchanté. Alors que le beau est aussi vrai que le caillou : en toutes circonstances il resplendit dans l'oeil de l'éclairé.
 
Seules les âmes supérieures perçoivent ces étoiles cachées parce que leur regard intérieur est plein d'acuité. Les autres n'y verront que des fantômes.
 
Lorsqu'à la prétendue pire saison je viens volontairement m'enliser à Clinchamp, courbant la tête sous la tempête et plongeant les pieds dans la fange, j'éprouve la même allégresse que les rongeurs, corbeaux, taupes, mangeurs de racines et autres amis de l'esthète en guenilles que je suis.
 
Eux et moi trouvons nos véritables trésors au fond de la terre.

VOIR LA VIDEO :

samedi 18 mars 2023

1981 - Clinchamp au bord des larmes

En arrivant à Clinchamp, je me retrouve dans une mare d'étoiles mortes. Une vallée de flammes mornes. Une plaine d'heures molles.

Et moi, telle une âme folle, je suis dans mon royaume au milieu des champs.

Seul avec les regrets du vent, la mélancolie des herbes, le chagrin des arbres. Tout autour de moi n'est plus qu'ennui, vide, misère. Les oiseaux ressemblent à des formes anodines dans l'azur, l'horizon se réduit à une ligne sans espoir, le ciel porte des cheveux gris.

Et je souris à ces cadeaux amers qui me tombent sur la tête.

Ces calamités du quotidien me rendront toujours heureux, moi que Dieu a doté d'ailes. En effet, ces ombres qui effraient tant mes frères humains incarnent l'essentiel à mes yeux, non le superficiel. Je suis indifférent au beau fixe, aux fleurs statiques, aux nuages trop blancs, au bonheur immobile. Mais très sensible à la langueur des éléments, depuis leurs mortelles lenteurs jusqu'à leurs sanglots d'enclumes. Et ce plomb plus bas que terre, là-bas chez les ploucs de Clinchamp, se reflète en moi de manière lumineuse. 

En cet endroit méconnu de la Haute-marne, je deviens un papillon au coeur du malheur : la lourdeur ambiante de cette obscure contrée m'allège, sa brume me transforme en plume, sa torpeur me fait monter.

Une telle campagne aux airs si pesants fera systématiquement se lamenter les endormis. Et se réjouir les initiés.

Moi, ce paradis des corneilles m'émerveille, cet asile des sombres volatiles m'enchante.

La poussière, la boue, et la pluie de ce trou à vaches constituent mon élixir de jouvence, la quiétude de mon esprit, mon oxygène spirituelle.

Ce lieu raillé du monde moderne, loin de tout, sans avenir et sans valeur, est un caillou brut et pur dans ce siècle de toc, le dernier sanctuaire de vérité qui soit digne de mon vol.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 16 mars 2023

1980 - Les fantômes de Clinchamp

Séjournant depuis un mois à Clinchamp et insidieusement emporté dans ses mortelles profondeurs d'immobilisme, mais également dans ses paradoxales hauteurs oniriques, je prenais conscience jour après jour de la présence de mystérieuses entités autour de moi...
 
Je sentais la flamme invisible de ces intrus.
 
Tant dans les airs que dans les eaux, aussi bien au ras du sol qu'infiltrés dans la flore, au-dessus des arbres mouvants comme derrière les éléments plus figés, filant entre les herbes folles ou bien posés sur tel élément minéral...
 
Mais qui étaient donc ces hôtes impalpables peuplant la campagne environnante de ce village perdu ? A quel phénomène étrange étais-je confronté ? A qui avais-je affaire ? D'ailleurs, étais-je le seul à percevoir ces "drôles d'oiseaux" se mêlant aux hommes, bois, champs et vaches sévèrement enracinés dans ce monde reclus ?
 
Ces lieux champêtres oubliés du siècle recélaient manifestement un grand secret.
 
Je n'osais parler de mes impressions aux autres habitants. Après tout, s'il y avait eu des manifestations inexpliquées ici, j'en aurais entendu parler. A quoi bon prendre le risque de passer pour un "original" parmi ces rustiques ? Je soupçonnais chez eux une vue aussi brève que la hauteur de leur clocher, à en juger par leurs apparences, leurs moeurs, leurs propos. Les villageois me semblaient somme toute bien trop limités pour appréhender de tels faits, ou plus exactement, de tels ressentis... Je crois que l'état de leurs pelouses carrées, les apéros au bistrot ou la rutilance de leurs nains de jardin formaient leurs préoccupations prioritaires.
 
Bref, je gardai le silence.
 
Je pense que la finesse verticale de mon esprit ainsi que ma sensibilité de fol esthète agissaient tels des philtres : je devais bien être l'unique témoin de ces prodiges...
 
Aussi, intrigué, assoiffé de lumières nouvelles, je décidai d'aller m'isoler en pleine nuit au milieu de ces terres hantées, pour rencontrer frontalement, directement cette réalité. Ou ce rêve.
 
Et là je fis la plus grande découverte qui soit en ces circonstances.
 
Une révélation à laquelle les riverains de la commune ne pouvaient définitivement pas accéder, car trop proche de leurs pieds et donc trop éloignée de leurs pensées...
 
Ces fantômes m'avaient dévoilé leur vraie nature. A moi exclusivement, rien qu'à moi.
 
Comme des âmes volantes, des ailes de feu, des souffles essentiels, ces formes immatérielles personnifiaient, en ce désert rural totalement à l'écart du reste de la civilisation citadine, les plus vives émanations de la plus pure Poésie.

VOIR LA VIDEO : 

mercredi 15 mars 2023

1979 - Les pissenlits de Clinchamp

A Clinchamp le pissenlit est rare, triste, maigre, et semble n'être dans cette île déserte que pour refléter le plomb du ciel et faire d'inutiles signes aux oiseaux morts qui y logent.
 
Cette fleur rustique apparaît même comme un intrus dans ce décor de fermeture de tous les chemins, au terminus de l'Univers...
 
Cependant j'aime sa présence dérisoire, au coeur de cette immensité sans nom, sans espoir, sans avenir, peuplée de gens simples et sans histoire qui n'ont nullement conscience de leur mortel paradis.
 
Un monde parfaitement dénué d'attraits enchanteurs, immensément loin de notre siècle de sons amplifiés et de couleurs artificielles certes, mais plein de poésie sombre. Un mets amer et mélancolique pour les esthètes aux ailes noires de mon espèce.
 
Ou pour les rats des champs de haut vol qui me ressemblent.
 
Bref, dans ce jardin de lourdeur, telle une nécropole verdoyante, je respire l'air pur d'un authentique bonheur fait d'âpreté et de dépouillement.
 
Les menus et humbles visages jaunes qui parsèment cette campagne sans relief sont des images inattendues. Des petites flammes sorties d'une terre d'inertie où jamais rien d'autre de notable ne se passe. Ces modestes apparitions issues du sol, quasi invisibles, incarnent la misère apparente des minuscules vies végétales généralement ignorées du bipède civilisé. Leur insignifiance fait leur prix à mes yeux. Je les regarde comme des miracles nés du néant.
 
Sous le poids de ces lieux que maudit le citadin, méprise le sophistiqué, raille le parisien, elles resplendissent à travers mon regard sélectif avec d'autant plus de finesse et de gloire, ainsi que des étoiles mornes dans une nuit de brume.

Pour toutes ces raisons, à la fraîche saison de mars, entre rêve et folie, je pars à la rencontre de ces précieuses perles d'or perdues dans les limbes de Clinchamp pour m'enivrer de leur pâle beauté.

VOIR LA VIDEO :

mardi 14 mars 2023

1978 - Clinchamp : fin et commencement de tout

En arrivant à Clinchamp en ce mois de mars, je fus témoin de mille prodiges minuscules ou grandioses. Et d'autant de sujets pleins de néant... Je découvris l'aube telle une ombre, des hommes pareils à des arbres morts, des nuages gorgés de mélancolie, des averses de mortelles habitudes, de la grêle d'argent et des pluies d'azur, des vaches aussi déprimantes que des tombes et des pissenlits qui ressemblaient à des étoiles.
 
Un véritable feu d'artifices de banalités et de féeries mêlées !
 
En ce lieu pas comme les autres, si anodin à première vue, des forces mystérieuses m'avaient ouvert des portes secrètes. J'étais un initié en quête de découvertes à qui l'on venait d'accorder le privilège d'emprunter des chemins différents.
 
J'ignore qui étaient ces guides invisibles m'accordant cette faveur, mais je sentais bien qu'en avançant, je montais.
 
J'entrai dans la face cachée de Clinchamp.
 
Plus je marchais dans cette campagne parcourue de vents et semée de lourdeurs, plus je me trouvais léger, lumineux, subtil. Heureux de cette opportunité et n'y cherchant pas plus d'explication, je partis en direction de l'inconnu.
 
Je pénétrai dans un monde nouveau, un univers insoupçonné, un endroit commun si proche de mes pas humains et cependant totalement étranger aux profanes... Je me retrouvai entre ténèbre inquiétante et rêve radieux, jour austère et sommet inviolé, horizon terne et brume brillante. Une réalité à la fois aérienne et sépulcrale. J'avais l'impression de poser un pied sur le sol, de plonger l'autre dans le ciel.
 
Et de sauter depuis la poussière jusqu'à l'océan.
 
Puis, aussitôt après, de devenir un oiseau aux plumes de pierre et de lumière. Avec cette nouvelle sensation de raser la terre d'une aile et de déployer l'autre dans l'éther... Et de partir ainsi vers les astres, sans jamais perdre contact avec le plancher des ruminants, néanmoins.
 
Et là je rencontrai l'indicible, l'inexprimable, le fabuleux : des bois illuminés de présences informes, des ruisseaux qui me regardaient avec leurs yeux incolores, des herbes folles adressant des histoires sages et profondes à la brise du soir, quinze cailloux aux allures d'écus, des airs de légendes au-dessus des champs, des orages de silence pétrifiant, des tempêtes de paix troublées par des intrus solitaires, des crépuscules désespérants d'humidité où s'ébattaient tous les anges de l'automne, des images flamboyantes au fond des fossés, des visages étranges reflétés dans les flaques d'eau, des flammes sorties de la nuit, de rauques chants d'ogres semblables à des orgues, des gueules de loup aux creux des feuillus,...
 
Et bien d'autres choses encore...
 
Le voyage que je fis fut si vertigineux que peu d'entre vous qui me lisez croiront à ces mots.
 
Si vous n'êtes convaincus que par ce que vous voyez, n'allez jamais rejoindre ce pays de merveilles aux si plates apparences. D'autres, plus éveillés que vous, sauront en apprécier les véritables saveurs.

Sinon vous n'y verrez, en effet, que le vide de votre coeur et la misère de votre âme.

VOIR LA VIDEO :

lundi 13 mars 2023

1977 - Amsterdam

Amsterdam est une belle et triste dame, une grande et sombre reine, une bourgeoise pleine de briques à la face de luxe.
 
Ce paquebot de pierres qui a pris racine au bord des quais a les charmes d'une femme sans âge et les larmes d'une éternelle mélancolie.
 
La ville lourde de ses siècles et accablée de ses pluies a le visage fardé d'ombre, de brume et de lumière.
 
La cité sourit sous l'averse et pleure le reste du temps.

Mais entre l'automne et les jours monotones, elle brille. Surtout de l'intérieur : dans ses bars profonds et leurs fumées opaques.

Son âme est troublée par les eaux brunes qui lui glacent les pieds. Ce qui n'empêche pas son coeur de palpiter d'un bonheur obscur.

Elle rêve d'un peu de sud sur ses toits pentus, tout en s'accrochant à ses canaux sans vagues et à ses gouttières vertigineuses.

Mais ses envies d'évasion ne durent jamais bien longtemps. Elle se sent bien là où elle est, chez elle, dans les austères harmonies du nord.
 
La capitale des docks est sage, finalement, sous sa vieille coque, avec ses murs hautains aux fronts vastes et pensifs...

C'est que cette impératrice portuaire voyage dans l'océan calme d'un présent pétrifié dans ses plus froids souvenirs, engoncée dans sa robe de crépuscule.

VOIR LA VIDEO :

dimanche 12 mars 2023

1976 - J'habite sur la Lune

Mon asile est fait de rêve et de poussière.
 
Mon véritable foyer est loin de vos horizons de bovins et de vos raisons de brutes. Vous les gens de la Terre, vous êtes trop étrangers à mes vues sidérales, trop ignorants des réalités subtiles, trop proches de vos semelles de plomb.
 
Vous êtes bêtes sur votre plancher des vaches et je suis brillant sur mon tapis de régolithe !
 
Vous êtes enracinés dans votre sédentarité de Terriens, enlisés dans vos certitudes de balourds, embourbés dans vos bottes de boeufs tandis que moi, j'habite sur la Lune.
 
Je m'allège et vole dans l'éther lunaire, pendant que vous cultivez des enclumes et que vous vous enivrez de pot-au-feu !
 
Moi, sur mon sol de peu de pesanteur, je plante les graines de ma plume et récolte le pain aérien de la joie la plus éthérée.
 
J'en fais un mets de choix pour mon âme de roi.
 
Depuis que je suis l'hôte du satellite, je ne vous entends plus meugler dans vos petitesses de lourdauds en troupeaux et de boulets au boulot !
 
Vous ne songez qu'à peser encore plus lourd, qu'à devenir de plus prospères épiciers, qu'à sortir de vos têtes des pensées plus épaisses et de vos poches des billets plus gros ! Hermétiques à ma lumière, vous sombrez dans vos pesanteurs de pré-retraités déjà morts !
 
Pendant ce temps je dors et fais fructifier mon bien immatériel.

Sur mon astre, je me situe plus haut que vos oeuvres de béotiens, poursuivant inlassablement mon chemin de gloire dans le ciel incorruptible de la poésie.

VOIR LA VIDEO :

1975 - Secret de Lune

Quand certaines nuits elle devient souveraine avec sa couronne d'opale et que raysonne sa face de reine, la Lune m'inspire les idées les plus aériennes.
 
Et je deviens une plume.
 
Je m'envole vers elle de mes ailes soudaines. Les mots que je lui destine sont des flammes, des fluides et des flèches : pour me hisser à sa hauteur, mon verbe se fait aussi subtil que sidéral.
 
Je monte en sa direction, chevauchant mon Pégase, c'est-à-dire ma lyre, et lui chante mon sempiternel couplet de brillantes fadaises, ivre de sa lumière de morte, assoiffé de son nectar nocturne, charmé par son visage lourd de mélancolie.
 
Avec son sourire comme un soupir d'esseulée, elle semble m'adresser ses appels de détresse. A moins que ce ne soient des signes d'éternel ennui, d'infinie tristesse, de mortelle lassitude...
 
Ou bien des brûlantes prières d'amour.
 
Bref, elle m'attire et je ne puis résister à ses murmures de marbre, à ses larmes de cendre, à son silence de poussière.
 
Et plus je m'élève vers ses cratères, ses traits de pierre et sa surface fardée de régolithe, plus mon âme se charge d'éther et d'azur, déjà loin de la Terre et de ses douleurs...
 
Etendu sur l'herbe, je contemple sa tête d'ombres et de roches, le regard plongé dans ses yeux pleins de poésie.
 
Et je lis ses pensées cachées en me laissant mollement emporter par le sommeil.
 
Mais je ne vous les dévoilerai point.

C'est un secret entre elle et moi, précieusement logé dans mes rêves.

samedi 11 mars 2023

1974 - Les ailes de la Lune

Sur la Lune il n'y a ni fleurs, ni ruisseaux, ni oiseaux, ni la moindre trace de vie. Pourtant elle recèle pour moi mille sources de joie.
 
Il n'y a chez elle que des ombres et du vide, de la sécheresse et du silence, des pierres et un océan de poussière...
 
Et je m'émerveille de ces misères, m'enivre de cette désolation, frissonne de bonheur face à cet éclatant dénuement !
 
Si sur Terre la verdure et l'azur sont les couleurs de la douceur de vivre, le froid et le feu du satellite sont les visages tranchés de la beauté de la mort.
 
Les premiers sont exquis, les seconds vertigineux.
 
Pour la flore riche et nuancée de notre globe bleu, mon coeur bat comme le vôtre, tout banalement. Mais pour les charmes uniformes du sol lunaire, mon âme entre en extase.
 
L'herbe, l'air et l'eau font simplement palpiter ma chair et circuler mon sang, alors que le cratère et le régolithe éblouissent mon esprit.
 
Les uns me mettent du plomb dans la tête et de quoi bien me remplir le ventre. Les autres, me délestant de toutes mes terrestres lourdeurs, me donnent des ailes.
 
Sur notre planète, je suis plein d'artifices et brille parmi mes semblables. Mais pèse autant qu'une statue de marbre.
 
Tandis que dans le désert sélénien, réduis à l'essentiel, j'apparais plus terne à leurs yeux.
 
Sauf que, devenu beaucoup plus léger, je m'envole.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 10 mars 2023

1973 - Voir Clinchamp et sourire

Vous l'étranger qui découvrez Clinchamp, ne vous attendez à rien d'humainement concevable. Quittez vos habitudes feutrées, reconsidérez vos pires préjugés ou abandonnez vos plus chères illusions.
 
Ce clocher en éternel repos au milieu des champs en définitive pétrification sera votre ciel ou bien votre gouffre.
 
Si vous venez en cette contrée mystérieuse, quasi invisible sur les cartes tant elle est insignifiante aux yeux de tous, sachez que le reste de l'Univers vous oubliera.
 
Plus personne ne saura où vous êtes. Là, au centre du néant, vous deviendrez un anonyme parmi des cailloux. Un fantôme comme un autre. Une présence égale à ces piquets plantés dans le rien, condamnés à mourir au bord des chemins. Votre face fatiguée rasera les pâquerettes de l'ennui et ne dépassera en aucun cas la hauteur congrue du cul des vaches, tandis que votre tête débordera d'humus. Votre âme vous semblera pareille à une pierre et vos pensées, soyez-en certain, prendront les teintes ternes d'un conforme sépulcre.
 
Vous vous engagerez alors dans un voyage statique qui n'aura jamais de terme. Vous sonderez une galaxie d'ombres à la vitesse infiniment lente de vos pas embourbés dans un terroir de plomb, loin de toute lumière.
 
Pourtant vous verrez des astres briller au fond de cette vaste tombe. En effet, sous le voile des grisailles, platitudes et autres pesanteurs du quotidien, quelques rêves s'élèvent en cette terre. Vous vous y croirez perdu. Mais en vérité elle est riche des vrais trésors de ce monde : les plus humbles. Derrière le cauchemar des apparences, visiteur qui n'avez pas encore fui ce lieu, vous serez ébloui par des flammes insoupçonnées.
 
Même si au début vous vous sentirez semblable au rat crevé au fond de son fossé de désespoir, bien vite vous entreverrez des sommets à conquérir. Vos pieds plongeront certes dans la boue mais votre front, fatalement, se tournera vers le haut.
 
Coincé entre l'absence et l'immensité, entre le vide et l'azur, entre le sol et l'air, vous regarderez vers l'horizon. Puis vers les nuages. Enfin, vers les étoiles ! 

Ce royaume de sempiternels dimanches peuplé de bovins couronnés de morosité est un trou qui donne sur l'essentiel.

Le mortel attentif qui s'aventurera en ce point crucial de nulle part y poussera la porte la plus secrète de son destin.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 9 mars 2023

1972 - La pierre et l'éther

Elle est un pur éclat.

Je suis une flamme, une lame, une glace.
 
Elle brûle et monte.

Je plane entre ciel et mort, Terre et Lune, air et rêve.
 
Je suis amoureux d'une turque au visage de feu, aux yeux de fée, aux clartés de femme. Elle se nomme SOLEIL, c'est-à-dire ÉTERNITÉ.

Elle aussi est une étoile.
 
Elle est le jour et moi l'épée. Elle la lumière, moi le loup. Elle l'oiseau, moi l'acier.
 
Ses légèretés rejoignent mes hauteurs. Elle est aussi belle que je suis dur.
 
Elle est habillée de bleu, je porte la crinière. Sa couronne est aérienne, mon coeur est de plomb. Elle a des ailes, j'ai de l'azur. Et beaucoup de plume aussi...

Elle brille, je braille. Elle chante, je saigne. Elle est fragile, je suis viril. Et quand elle sourit, je deviens grave.

Burcu Gunes, pour qui j'écris ces folles pensées, est une créature de chair et de verbe, une image étrange et désirable née entre Cosmos et Bosphore.

Je la désire dans ses sommets, loin de ses lourdeurs, hors de ses mornes habitudes, à l'opposé de ses flasques faiblesses. 

Je domine, elle s'envole. J'incarne la force, elle reflète la verticalité. Et elle m'entraîne vers les neiges sans fin de ses horizons blancs. Cette femelle est un astre, cependant je veux demeurer un roi, de mon côté.

Elle me touche de son doigt d'ange, je la désigne de mon sceptre.

Elle la stambouliote, moi le gaulois. Elle l'éclair, moi le tonneau. Elle la foudre, moi la poudre. Elle le diamant, moi le tonnerre. Elle la pluie, moi l'eau de vie.

Bref, elle est la muse et je suis la lyre.

Bien que je la connaisse, elle ne sait pas qui je suis en réalité. 

Elle s'appelle "NÉBULEUSE", j'ai été baptisé "GALAXIE".

VOIR LES DEUX VIDEOS :


1971 - Clinchamp, au bonheur des larmes

Ce qui m'attire Clinchamp, ce ne sont pas ses éclats mais ses ombres.

Certes j'apprécie ses feux et ses astres, mais plus que tout, ses tombes me touchent et ses pierres me hantent.
 
Là-bas, la mort nous parle en toute simplicité. Où que nous posions le regard, l'invisible perce. Mais que les âmes faibles prennent garde : le trou du désespoir n'est jamais loin de leur semelle alourdie de boue !

Ce lieu n'est pas fait pour les citadins fragiles et frileux mais pour les esthètes aguerris en quête  de sommet et de vertige.

Dans ce pays méconnu, la vie y est figée, la ténèbre lumineuse, l'ambiance aussi grise que la brume.

Et les pensées les plus sombres du visiteur avisé finissent par devenir légères à force de s'enfoncer plus bas encore, lasses de leur propre poids. Elles remontent des champs, des chemins, des bois, pour s'envoler vers l'azur. Et deviennent oiseaux, lumière, éther. Plus rien ne peut plus atteindre l'initié, après avoir bu l'air amer de cette terre.

Alors l'homme prend de la hauteur. Et rayonne à la même place qu'une figure sidérale. Plein de sérénité. A l'image de la Lune qui apaise tout, elle qui depuis toute éternité luit au-dessus du monde et des mortels, impassible. Le solitaire venu s'échouer volontairement en cet endroit n'y trouve rien, autrement dit tout. Il voit le beau sous le voile, la finesse sous le caillou, la joie sous la torpeur.

Ce décor d'ultime banalité inspire les authentiques artistes, émeut les vrais inspirés, charme les réels éveillés. Et déprime tous les autres.

Sous ce ciel qui ne fait rêver personne, les jours sont pareils à des automnes, les soirs écrasants comme des statues de plomb, les dimanches chargés d'un ennui plus dur que le marbre.

Et quand les nuages annoncent le pire, le meilleur arrive. Mais uniquement pour ceux qui, comme les fantômes, sont aussi sensibles qu'imperméables aux intempéries...

La mélancolie émanant de ce royaume sans histoire ni relief est plus troublante qu'ailleurs. Ce théâtre des champêtres pesanteurs est un pur joyau de douleurs et de lourdeurs. Un trésor d'enclumes choisies. Un diamant d'obscurités brillantes. 
 
La campagne n'y est point rieuse mais terne, triste, plate... Et claire pourtant.
 
Paradoxalement, c'est dans ses misères que je la trouve glorieuse. Dans ce paysage qui n'est ni un paradis ni en enfer, la moindre étincelle y prend des allures de flambeau.

A travers ses brouillards, ses larmes et ses langueurs, cette cambrousse farcie de bouses de vaches brûle et brille à l'insu de tous, telle une lointaine, imperceptible, anodine mais véritable étoile.

VOIR LA VIDEO :

mardi 7 mars 2023

1970 - Clinchamp, mon dernier refuge

Jeune, fougueux, idéaliste, je m'évadai de ma routine avec la volonté d'aller me perdre ailleurs, follement, dans un autre monde, aussi loin que possible, ivre de découvertes, assoiffé de ciels nouveaux, de paysages tourmentés et de visages lumineux.
 
J'échouai finalement à Clinchamp.
 
Je venais de quitter un univers de certitudes aussi limpides que rassurantes pour entrer dans un mystère sans vernis ni dentelles. Un trou terne avec ses terreurs terreuses et ses champêtres tempêtes. Une terre obscure, lourde, austère, tel un interminable crépuscule d'hiver.
 
J'y croisai des faces fermées aux regards de bovins, des champs ouverts sur un azur infini, des portes donnant sur des rêves sombres, des gouffres de mélancolie sans fin... Mais aussi des hommes comme des bêtes et des vaches pleines de légèretés. Des paysans alourdis de sabots et leur bétail doté d'ailes... En cette contrée brumale j'ai encore vu des pierres aux profils de vivants, des chemins empruntés par des ombres, des bois aux allures d'oniriques royaumes, des herbes bercées par un vent spectral, des fleurs pâles aux éclats lunaires, des pluies fécondant des sillons chargés de désespoir, des aubes de boue et des nuits de légendes... Bref, des vagues de tristesse et des flots de joie sous une même nue.
 
Une atmosphère peuplée de cauchemars à portée de vue mêlés d'étoiles étincelantes.
 
Rien que des séductions troubles entre épines et amertume, brumes et averses, brise vernale et mortel silence.
 
Un vaste cimetière pour oiseaux posés sur leur branche et bipèdes figés dans leurs habitudes, en somme. Mais aussi, paradoxalement, une véritable volière pour esprits tout en plumes, comme moi, et autres anges de haut vol égarés en si basse altitude.
 
Depuis que j’ai découvert ce cul-de-sac cosmique, effrayé et séduit, j’y suis reparti autant de fois que j’y suis retourné. Et aujourd’hui j’y demeure pour y voir se lever le soleil de la mort.
 
Cette campagne de la Haute-Marne est le paradis humble, humide et ténébreux des fous communs et des âmes brillantes. C'est le jardin nuageux des élus emportés par le souffle des hauteurs, l'olympe rustique des éveillés échappés de ce siècle.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 3 mars 2023

1969 - Croissant de Lune

Lorsqu'elle apparaît en forme de croissant, la Lune montre un profil cassant.
 
Alors elle devient fine comme une serpe, aussi mince qu'un serpent.
 
Et elle n'est plus qu'une lame dans le ciel des âmes.
 
Enroulée autour de son ombre, la face masquée, le regard dans le noir, elle observe incognito le monde.
 
De son globe on n'aperçoit qu'une ligne trompeuse de lumière qui en dit long sur la complexité de ses figures, de ses allées et venues, de ses phases diverses, de ses visages multiples et de ses messages cachés.
 
Avec ses deux aiguilles apparentes, elle asticote la Terre de ses vers comiques, faisant rimer cosmique avec lombric. Quand elle se pointe ainsi, sa poésie devient acerbe, tranchante, aussi amère qu'hilarante.

Puis elle se change en luth à mesure que sa bordure s'illumine, prend de l'ampleur et finalement s'humanise parfaitement en se transformant, jour après jour, en une belle boule de pain doré.

VOIR LA VIDEO :

jeudi 2 mars 2023

1968 - Mais d'où vient donc la Lune ?

Elle vient du fond des rêves de je ne sais quelle improbable divinité au nom oublié...
 
Née de ce souffle onirique, issue des brumes créatrices et fabuleuses de cette entité supposée, sortie de la tête lumineuse de ce possible faiseur de miracles, la Lune demeure aussi vague qu'un horizon sans couleur ni relief.
 
Presque virtuelle.
 
Comme faite de vent et de mots creux. Elle est un globe de fumée dans le grand vide de l'espace. Une image sans poids dans ses légèretés de plume. Un visage aux traits anonymes perdu dans la solitude d'un ciel énigmatique.
 
Elle est une lueur qui ressemble à une ombre. Si fade et si peu vivante qu'elle est bel et bien morte depuis sa naissance.
 
Pauvre chose venue au monde pour tourner sans joie autour de notre Terre... Et pourtant ce fantôme qui ne cesse de nous fixer de son regard de pierre nous inspire tant de pensées fécondes et de sentiments élevés !
 
J'ignore d'où sort cet astre de caractère sans artères et troué de cratères, et cependant aussi effacé qu'une face de pucelle, aussi ténu qu'un fétu de paille vu depuis notre sol terrien.

Peut-être, finalement, n'est-il qu'une interminable histoire à raconter dont nul ne connaîtra jamais la fin.

VOIR LA VIDEO :

mercredi 1 mars 2023

1967 - Lune lointaine

Elle rêve dans l'espace, indifférente aux hommes de la Terre, hautaine avec ses airs d'intouchable, lointaine avec sa face de pierre, glacée avec son regard impénétrable.
 
Elle semble n'aimer que sa solitude, si haut perchée dans son ciel stérile, elle la lueur vouée au néant.
 
Pour qui cette laiteuse figure brille-t-elle ? A qui cherche-t-elle à plaire ?
 
Elle luit pour les trépassés je crois bien, les vers de terre et tous les cailloux oubliés du monde. Et ne souhaite faire chanter que les drôles d'oiseaux qui lui ressemblent. C'est-à-dire les âmes tristes aux ailes claires, les coeurs lourds aux larmes légères, les visages sombres aux pensées éclatantes.
 
La Lune perdue dans ses obscurités ne songe qu'à des bulles, passant son temps à tourner autour de notre planète en pensant à autre chose.
 
Et elle bée dans le vide car elle est bête en réalité, contrairement à ses apparences de philosophe céleste.

Elle est sotte et belle, stupide et désirable telle une poire, aussi idiote et séduisante qu'une femme dont on est éperdument amoureux.

VOIR LA VIDEO :