jeudi 26 juin 2025

2353 - Le bon air de mon exil

Depuis les profondeurs du trou où je me trouve, je n'ignore pas que mon bonheur de solitaire constituerait le malheur de la majorité des mes contemporains. Mon confort d'ours serait invivable pour leurs normes de caniches. En tant qu'ermite à la peau dure, mes sources de joies feraient fuir ces citadins sensibles et frileux. Et mes plus beaux rêves équivaudraient à leurs pires cauchemars.
 
Mon paradis ressemble tellement à leur enfer...
 
Et inversement, leurs trésors se résument à de pures futilités mes yeux. Je vomis leurs délices, trop sucrées à mon goût. Je ne digère ni leurs écoeurantes guimauves ni leurs flasques ivresses intellectuelles. Cette humanité sophistiquée manque de poésie. Ces hommes sans ailes deviennent des produits proprets, aseptisés et sottement hyper connectés. De leur côté, ces délicats parfumés doivent assurément me taxer de puant sanglier.
 
Les invariables insignifiances et incessantes distractions technologiques alourdissent les âmes de ces mondains savonnés. Tandis que mes pesants sabots tout crottés me confèrent des légèretés d'oiseau au milieu des bois, parmi les fleurs et la friche. Là je respire le bon air de la vie brute, authentique, franche, pleine de saveur avec son sel et ses amertumes.
 
Là je décolle sous l'azur : je me sens plus aérien que jamais dans ce décor naturel en contact avec l'essentiel. Là je vole enfin, loin des écrans aliénants, si proche des vraies couleurs et lumières de la Création... Là je me retrouve au sommet de mes véritables aspirations qui ne sont nullement celles, hautement stupides et bassement matérialistes, de ce siècle d'obscurantisme informatique.
 
Les adeptes de la modernité bête et méchante, enchaînés à leur progrès technique, s'entourent de caméras de sécurité surveillant leurs domiciles à distance, se branchent sur des instruments mesurant leurs battements de coeur et le nombre de leurs pas quand ils se promènent... Ils se bardent de toutes sortes d'alarmes et autres merveilleux gadgets leur indiquant au mètre près où ils se trouvent sur le globe... Pour ne pas se perdre géographiquement parlant, alors qu’ils sont déjà déboussolés dans leur tête, leurs repères étant virtuels et non plus réels.
 
Ils régressent ainsi dans la prudence et les protections en tous genres jusqu'au ridicule, s'atténuent dans la frilosité jusqu'à l'indignité, se diminuent dans la réduction des risques jusqu'à l'absurde... La surprise n'existe plus pour eux. Ils savent déjà le temps qu'il fera le lendemain, sûrs de la fiabilité de leurs "applis".
 
A force de se focaliser sur leurs appareils mobiles et de ne voir le monde qu'à travers ces lucarnes portables qui les vident de leur sève humaine, ils oublient d'aller se brûler à la flamme des choses et des êtres, de se laisser piquer par les orties, de s'écorcher les doigts contre les épines, de se jeter dans le feu de l'orage et de trembler d'amour sous le tonnerre d'un oui ou d'un non !
 
Réfugiés dans leur bulle insipide, ils portent des casques, contractent des assurances, filment leurs anniversaires de veaux pour les montrer au reste du troupeau tout en floutant les plaques d'immatriculations de leurs propres voitures... Ils ont des exigences de limaces, des désirs d'ovins, une morale de pantins. Leur sort est calculé, réglé, prévu.
 
Et pendant qu'ils s'étouffent dans leurs prisons enfumées d'illusions, je m'aère dans les herbes folles.

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