mercredi 16 juillet 2025

2377 - Le courage de Bayrou et la mauvaise volonté des français

Je constate que finalement nul ne veut participer au redressement des finances de l’État. Ca critique stérilement, ça se débine lâchement, ca tombe dans le populisme... Un peuple d'irresponsables !
 
Des contestataires reprochent à BAYROU et à ses pairs l’énormité de leurs revenus et proposent de les réduire prioritairement pour, prétendument, montrer l’exemple.
 
Sauf que ce n'est pas en amaigrissant quelques salaires en hauts lieux que cela sortira notre pays de son marasme économique. Même en supprimant les avantages plus ou moins abusifs de cette poignée de politiciens, vous croyez que cela sera suffisant pour sauver l'économie ? Soyez réalistes : ce qu'il annonce est JUSTE et courageux. Il faut tous contribuer à l'effort national. Et même s'il y a encore quelques tricheurs, (ou privilèges) cela ne pèse rien au regard de l'enjeu. Chaque français doit consentir à endurer les peines nécessaires.
 
Pour une fois, et cela en étonnera plus d'un, je ne suis pas contre ce que dit le gouvernement. J'ai non seulement l'HONNEUR d'accepter de payer de ma personne, mais également le BONHEUR de le faire. L'abnégation, le désintéressement, la restriction pour le bien commun sont devenus des insultes, plus aucun citoyen ne semble capable d'élévation, d'ascèse, de vues supérieures... Visiblement, c'est trop demander à ces gaulois braillards de se serrer un peu la ceinture. Rappelons que notre territoire est un royaume d’opulences de toutes sortes, d'aides sociales diverses et de bien-être en tous genres. Ce n'est pas en renonçant à deux semaines de vacances (à ne rien foutre et à bouffer des glaces sur les plages) que cela va tuer les contribuables !
 
Nos aïeux construisaient des cathédrales avec ferveur, la population actuelle se lamente et s'avachit à longueur de journées sur ses portables aliénants. Cela en dit long sur les mentalités contemporaines. A force de privilégier les distractions, d’entretenir la culture du divertissement, d’habituer les foules à se gaver de bêtises, d’inutilités, de jeux stupides et à se vautrer dans le confort, ces dernières réclament toujours plus de mollesses et ne supportent plus qu’on leur prie de bien vouloir acquiescer à la moindre obligation...
 
Oui, j’adopte et prône une attitude civique, j’ai le sens du patriotisme et du dévouement. Vertus rares en ce siècle de revendications égoïstes et d'ingratitudes envers un système pourtant ultra protecteur...
 
On vous convie à souffrir un peu pour que votre sol natal malade retrouve la santé... On vous le suggère avec des pincettes pour ne pas trop vous effrayer... Voulez-vous être une race de larves ou de héros ? J'ai l'impression que tous ceux qui épiloguent et contestent sans cesse cherchent délibérément à ne pas soutenir l’activité collective. Tout est prétexte pour fuir leurs responsabilités ! On a rien sans rien. Et ce n'est pas en montrant du doigt les défauts de nos décideurs que cela réglera le colossal problème que l'on tente de résoudre.
 
Si on ne réagit pas maintenant, on va droit dans le mur. Les mêmes qui aujourd’hui, totalement inconscients, condamnent BAYROU parce qu’il ose prendre le taureau par les cornes sans attendre, l’accuseront de n’avoir rien fait quand tout s’effondrera demain.
 
Quoi qu’il fasse, BAYROU sera désigné comme coupable. Il se bat néanmoins pour la bonne cause, même s’il ne récolte que l’hostilité...
 
S'il faut qu'un haut placé soit riche pour qu'il rende du bon travail, alors sa richesse n'est pas volée ! Si ses propositions contribuent efficacement à l’assainissement de notre ciel tricolore, il mérite sa grosse rémunération et même ses éventuels passe-droit. Je ne suis personnellement pas jaloux des bénéfices exorbitants, considérés comme indus ou non, de nos gouvernants à partir du moment où ils gouvernent bien. Vous exigez d’avoir de bons dirigeants, de bons mécaniciens, de bons boulangers ? Rétribuez-les bien et vous aurez le meilleur !
 
Quant aux jours fériés, il a raison. Les gens s'emmerdent déjà assez comme ça les dimanches ! Il faut travailler plus au lieu de geindre systématiquement. L'action, c'est la vie !
 
Je ne vois chez les opposants que des tire-au-flanc, des éternels pleurnichards accoucheurs d’inaction, des paresseux irréfléchis qui ne souhaitent que profiter de l’état-providence sans rien offrir en échange !
 
L'esprit de sacrifice grandit les hommes. L’égoïsme, l’individualisme et la fuite les rabaissent. La contrepartie de votre sueur et de vos privations, c'est avant tout l'HONNEUR, la GRANDEUR, LE SALUT DE LA FRANCE.
 
Et ça, ça n'a pas de prix.

samedi 12 juillet 2025

2376 - Un chemin sans fin

Ma route, cette longue et droite marche vers la lumière, se poursuit loin des hommes, hors de ce siècle, en secret sous les arbres. Je vogue paisiblement dans les sommets de ma solitude, ayant dépassé depuis longtemps les étangs de petitesses et les marécages de lourdeurs de l'existence. Je n'ai nul regret, aucune déception, pas le moindre déplaisir : j'avance sans me retourner. Trop heureux de pouvoir cheminer chaussé de mes sabots, l'âme toujours plus légère, je déploie mes bras aériens de jour en jour, visant l'horizon, les nuages, le firmament.
 
Cette forêt est mon vaisseau de verdure me menant aux étoiles, une cathédrale de bois m'emportant dans un ciel plein d'éclat et de profondeur, une voile d'anachronisme traversant l'océan de la modernité.
 
Ignoré de tous, libéré de toute vanité, détaché du superflu, je n'ai plus que des fulgurances de pur esprit, des vues de géant, des essors d'oiseau.
 
Au niveau de mes pieds les évidences semblent banales, figées dans un modèle d'éternelle inertie, sans autre avenir que la répétition incessante de leurs apparentes platitudes. Mais ce n'est qu'une illusion, en réalité toute fosse devient pour moi une véritable ascension.
 
Une occasion de monter, une opportunité pour m'envoler.
 
N'importe quel trou dans la terre s'ouvre fatalement sur l'azur. Et là où je me trouve, à l'ombre de la sylve, il y a un infini lumineux au-dessus de ma tête. Et rien pour me distraire et m'empêcher de lever les yeux ! Pas une seule chaîne pour me retenir au sol ni de poids pour m'entraîner vers le bas. Ce refuge forestier n'est pas une prison mais au contraire l'école de la liberté.
 
Dans ce cadre sylvestre je ne régresse pas comme pourraient le croire certains. J'évolue.

Mes semelles, aussi pesantes et grossières qu'elle paraissent, par la force des choses me dotent d'ailes : je me suis débarrassé des futilités de ce monde pour mieux progresser dans la voie royale des êtres supérieurs qui s'élèvent dans l'éther. Les grands éveillés de mon espèce empruntent naturellement des directions verticales. Je ne me satisfais que de l'essentiel : pour savourer le vrai nectar de la vie je n'ai besoin que de quelques fagots, de ma marmite, de la flamme de mon foyer et de la plainte des corbeaux.

Même mon chapeau est de trop. 

Je suis parti dans ma retraite vers les hauteurs célestes pour une éternité d'océaniques fraîcheurs et de divines clartés. Je laisse derrière moi tout ce qui est voué à périr et garde mon souffle pour ne m'attarder que sur les beautés de la Création.

Lorsque s'achèvera ma carrière terrestre, la planète m'aura oublié tout à fait. J'aurai atteint le royaume des porteurs de galoches, au-delà du Soleil lui-même.

De mon passage sur ce globe, il ne restera qu'un peu d'humus.

vendredi 11 juillet 2025

2375 - Mon univers infini

La forêt où j'évolue ressemble à un océan et à un trou tout à la fois. Un îlot aux allures de continent. Les limites géographiques de ce monde constituent, paradoxalement, une démesure pour mon âme.
 
Un cloître borné pour mes pas, un espace infini pour mes ailes.
 
Mes jambes parcourent chaque jour l'intérieur de ce terrain aux dimensions définies, mais mon esprit vole bien au-delà de ce cadre physique. Ce coin imperceptible du globe terrestre ne représente qu'un point insignifiant sur la carte, et nul ne prête une particulière attention à cette anodine étendue de verdure où j'ai pris racine.
 
Pas un seul élément spectaculaire n'attise la curiosité des hommes ici. Pour le citadin qui a tendance à poser sur ce genre de chose un regard profane, ce lieu évoque l'ennui, la déprime, le néant. Selon lui il n'y a rien à faire dans ces bois, à part y croupir et y mourir d'inertie. Voilà précisément la raison pour laquelle cet endroit pareil à mille autres est l'incarnation parfaite de mon éden !
 
Pour ma part, je pense au contraire que dans ce désert d'arbres, d'herbes sauvages et de silence tout est à découvrir, explorer, expérimenter. Dans ces conditions de solitude prédisposant à la méditation, la moindre réalité de cet univers que l'on qualifie d'ordinaire prend fatalement des envergures cosmiques, comme tout ce qui a été créé partout ailleurs.
 
Entre ce théâtre anonyme aux apparences faussement banales où se joue mon sort d'ermite et d'autres sites estimés plus "sensationnels" par rapport aux critères de ce siècle, objectivement il n'existe aucune différence. Le même créateur a formé ces merveilles, petites ou grandes, simples ou plus sophistiquées, ternes ou éclatantes, rares ou communes... Certains les appellent des "platitudes" lorsqu'elles ne répondent pas à l'idée étriquée qu'ils s'en font.
 
L'oeil de l'éveillé, où qu'il se porte, ne verra que des miracles. Celui du blasé instaurera une hiérarchie artificielle dans les oeuvres divines. Une échelle établie d'après ses références à lui, bêtement touristiques, bassement consuméristes ou arbitrairement esthétiques.
 
La personne hautement consciente reconnaîtra, sans jamais la filtrer, la lumière céleste venant de toutes les directions. Et cette clarté universelle touchera son coeur de manière certaine. Tout apparaîtra sacré à ses yeux. Tandis que l'être vulgaire aux sens émoussés ne s'émerveillera que des cartes postales et négligera le reste de la Création.

Loin de toute image d'Épinal, et même si cela ne se remarque pas au premier abord, la planète minuscule où je vis est en vérité le royaume des albatros en sabots.

jeudi 10 juillet 2025

2374 - Je ne suis pas de la ville !

Moi je suis une bête de la forêt, un hôte des terriers, une taupe de l'humus. Et certainement pas un émotif de la ville, un délicat des salons, un amateur de thé.
 
Je mange mes patates avec mes pattes d'ours, dors sur un matelas de foin, plonge ma face hirsute dans les flots glacés de la rivière. Mes frères issus de la sylve, ce ne sont point les hommes parfumés mais les sangliers puants.
 
Je ne fais pas de manières. Chez moi c'est spartiate, dur, franc, direct. Les chichis, c'est pour les chochottes. Et j'appelle un chat un chat. Les rats chient dans mes sabots et les souris nichent dans mon chapeau. Je n'en fais pas une affaire d'état pour autant. Cela ne m'empêche ni de marcher dans les fourrés ni de porter mon couvre-chef sous le clair azur.
 
Les mondains des grands boulevards ne m'impressionnent guère avec leurs semelles lustrées et leur beau parler. Moi je ne fais pas dans la langue de bois mais dans le poing sur la table ! A la place des mots chics, j'utilise la pogne de choc.
 
Et s'il le faut je peux aussi appuyer mon propos à coups de pieds au cul de quiconque ne comprend pas.
 
Je crache dans le feu comme un vrai seigneur de la friche que je suis et piétine de mon talon d'ogre les insignifiances citadines qui ne valent rien à mes yeux. Sous mon toit de roi des rondins ce n'est pas le règne de la dentelle et de la soie mais la rudesse des bûches et le confort d'une étable.
 
Je ne partage certes pas mes repas avec des marquises vaporeuses ou des parisiennes élégantes mais avec la tranchante solitude de mon ombre d'épouvantail. Avec mon couteau planté près de la cruche pleine d'eau de pluie et sous mon nez la tranche de pain accompagnée de la gousse d'ail, je ferais un piètre cavalier de soirée pour ces dames ! Je suis bien mieux à mon aise en compagnie de l'austère flamme du foyer et des voleurs de miettes bien-aimés qui rampent sous mon lit plutôt que dans les artifices et superficialités des conversations oiseuses de ces précieuses personnes aussi frileuses qu'écervelées.
 
Et puis je dois l'avouer, le cri sépulcral des corvidés est plus cher à mon coeur taillé à la hache que le chant sirupeux de ces rossignols affublés de broderies fines. J'ai trop besoin du baiser de la rocaille et de la caresse de l'orage pour combler mon âme âpre et anguleuse.
 
Je ne pourrais accorder mes égards qu'à la bergère assez tendre et sauvage à la fois pour accepter de se faire croquer toute crue par le loup !
 
Définitivement, je ne suis pas un joyau urbain de ce siècle.
Désormais je joindrai les brouillons de mes textes afin d'agrémenter mon blog. Mais ces papiers noircis ne sont pas systématiques : uniquement lorsque je rédige mes oeuvres loin de chez moi, en pleine nature la plupart du temps. Les plus curieux d'entre vous pourront consulter la totalité de mes manuscrits archivés ici : https://lune7.blogspot.com/

2373 - Seul parmi les arbres

Niché au fond des bois en compagnie de la sublime solitude avec qui je m'entretiens du matin au soir, je me réveille à l'aube avec le projet d'atteindre la glorieuse étendue de la journée, avec ou sans vagues, en attendant de rejoindre l'ombre éclatante du crépuscule.
 
La friche, les épines et les cailloux m'appartiennent ; je suis le roi de la forêt ! Dès que je sors de mon antre, je me retrouve les sabots dans l'humus, au sommet de mon royaume.
 
Je salue alors les souches mortes de mon chapeau troué, tends la main aux ronces, m'enivre de brume et rêve de pluie, chante avec les corbeaux l'hymne funèbre du jour, rends grâces au ciel pour ses flots de grisaille généreusement déversés sur mon ermitage...
 
Les arbres qui m'entourent remplacent avantageusement la foule humaine des villes. Leur figures anguleuses, leurs peau rugueuse, leurs allures de légendes m'effraient dans les ténèbres, me charment dans la blancheur du brouillard. Mais ne m'inspirent jamais ni ennui ni froideur.
 
Avec leurs grands airs de centenaires, leur hauteur d'ancêtres enracinés, leur face de géants aux rides augustes, ils incarnent mes propres profondeurs comme mes légèretés. Ils sont les reflets de mes secrets et de mes clartés, de mes nuits et de mes lumières, de mes pierres sombres et de mes flammes radieuses.
 
Tantôt spectres sinistres, tantôt seigneurs hautains pleins de majesté, ils peuvent se montrer cauchemardesques sous la tourmente ou bien lumineux sous l'azur.
 
Et apparaissent également tels des fables vivantes, soit avec leurs efflorescences enchanteresses du printemps, soit avec leurs lambeaux dorés de l'automne. Et là, ils deviennent féeriques parmi les fleurs mourantes et les feuilles séchées.
 
Ce peuple de tronches sylvestres est un palpitant livre de littérature aux pages séculaires dans lesquelles je m'enfonce et me perds, une source de contes d'un autre temps qui me fait frissonner, une réserve cachée de mythes et de mystères pour les hommes-loups de mon espèce.

Seul avec la gent feuillue mais pas abandonné pour autant car en réalité je suis au coeur d'une multitude de vieilles branches qui me racontent leurs folles histoires.

mercredi 9 juillet 2025

2372 - Au bout des chemins

Les chemins autour de ma demeure sont balisés par des souches, des buissons, des pierres et des terriers divers.
 
Ces repaires du quotidien constituent de fortes assises qui me permettent de progresser sans perdre de vue les racines de mon bonheur simple d'ermite.
 
Ces sentiers ne sauraient se prolonger pour moi au-delà des bornes de la forêt. Je n'en verrais nul intérêt. Dès lors mes voyages deviennent nécessairement verticaux. Allonger le pas à partir du seuil de ma porte pour arriver au pied des arbres, c'est m'engager dans une aventure à portée de vue, entreprendre une démarche à échelle de mon humanité, m'envoler à la conquête d'un monde situé à la hauteur de mon chapeau, découvrir une nouvelle journée à travers mon regard certes modeste mais plein d'acuité.
 
Parcourir les recoins de mon éden Sylvestre revient à faire le tour de la Terre car mon univers de verdure représente le cosmos en miniature et la Création produit les mêmes miracles partout.
 
Cet espace délimité où je suis reclus me mène aussi loin que n'importe quel avion ou fusée, puisqu'à l'autre bout de la planète ou sur la Lune, je me trouverai face au mystère. L'émerveillement ne changera pas.

Ici ou ailleurs le ciel apparaîtra toujours aussi vaste, la lumière brillera aussi divinement et les mots pour le dire ne seront pas plus grands.
 
Tout est si riche et abondant sous mes yeux que de toute façon je n'aurais pas assez d'une vie pour percevoir chaque éclat que compte mon paradis de friche. Ici, je respire l'air de mes habitudes et chemine avec mes sabots : je retombe tous les soirs devant ma cheminée comme un rituel établi rempli de sens. Pas de place ni pour l'erreur de parcours ni pour les routes de traverse.

Je file droit vers l'essentiel : les clartés de l'azur, les flammes de mon foyer, le contenu de ma marmite. Mes sommets se résument aux proches réalités de ma routine. Et mes ivresses commencent lorsque sous ces humbles choses et anodines apparences, je sens que des profondeurs se cachent et me dépassent.
Désormais je joindrai les brouillons de mes textes afin d'agrémenter mon blog. Mais ces papiers noircis ne sont pas systématiques : uniquement lorsque je rédige mes oeuvres loin de chez moi, en pleine nature la plupart du temps. Les plus curieux d'entre vous pourront consulter la totalité de mes manuscrits archivés ici : https://lune7.blogspot.com/

2371 - Mon trésor

Avec le peu que m'accorde la nature, je suis encore bien heureux de vivre dans mon refuge. Mes richesses sont sobres, limitées et difficilement accessibles pour certaines d'entre elles. C'est ce qui en fait le prix, justement. Non seulement je m'en contente, mais en plus j'en fais des festins. Et lorsque mes maigres récoltes ne suffisent pas, je vais quérir le reste de mes besoins dans des fermes hors de la forêt.
 
Je suis pauvre en réalité aux yeux du monde, avec mes humbles sabots, mon chapeau troué et mon gîte sans électricité. Mon feu de cheminée réchauffe cependant mes murs et éclaire mon âme. Cette seule braise placée au centre de mes jours apporte assez de légèreté dans mon coeur pour que je la produise en toutes occasions. Les moindres ombres en moi se dissipent devant le foyer qui s'allume, et je me laisse facilement emporter par les ailes flamboyantes qui surgissent de l'âtre.
 
Plus d'un citadin avisé m'affirmera qu'une simple flambée ne remplit pas une soirée entière de rêves authentiques et de satisfactions complètes. Bien sûr que si ! Et bien mieux que n'importe quel écran. Le profane au regard corrompu et à l'esprit déjà mort se réjouira des noirceurs, violences, laideurs et vulgarités débitées par ses appareils, et trouvera sans intérêt, ennuyeuse, vide et triste la flamme pure issue des bûches. Les horreurs qui sortent des portables greffés à sa main et des écouteurs plantés dans ses oreilles l'empêchent d'apprécier les beautés naturelles qui l'entourent.
 
Le bipède connecté, coupé de l'essentiel, déraciné du réel, se croit en contact permanent avec ses semblables, alors qu'en vérité il demeure reclus dans sa bulle. Son environnement social est composé d'autres aliénés de son espèce. Voilà le pitoyable exemple d'un ermite déboussolé, exilé dans le virtuel !
 
Quant à moi, si proche de la terre et de ses éléments vivants, j'ai heureusement su préserver mon humanité. Sous mon toit sans fil j'accède à une paix intemporelle et baigne dans une harmonie universelle. Aucun branchement chez moi ! Mon habitation est directement reliée aux étoiles. La nuit m'offre une vraie source de lumière et de joie.
 
Le firmament représente ma plus belle toile de cinéma.

La civilisation ne pourra jamais remplacer ce bien qui m'est si cher car, je dois le dire, mon trésor se nomme "solitude".

mardi 8 juillet 2025

2370 - Les cumulus

Depuis les profondeurs de mon ermitage, propices aux contemplations, je demeure particulièrement réceptif à la paix des cieux comme aux orages qui y éclatent. Attentif aux divers spectacles que m'offre la Création, j'ai maintes occasions de m'extasier.
 
Loin de me morfondre dans mon trou, ce dernier est le point de départ de mes multiples envols. Mille causes me font lever les yeux vers la lumière.
 
Ainsi j'assiste régulièrement à la féérie grandiose des cumulus qui voguent au-dessus du monde. Etendu dans l'herbe, j'admire ces champs de nuages pareils à de somptueux blocs de banquise. Et je voyage dans un rêve de blancheur, emporté par les ailes de la poésie et déposé sur le dos des étoiles. Ces nuées ressemblent à une forêt traversant l'azur : j'ai l'impression de voir passer une masse compacte d'écume composée de milliers d'arbres blancs... Le reflet allégé, idéalisé, purifié, blanchi de ces bois pleins d'ombre et de densité où je vis.
 
Je ne perçois plus qu'une mer lactescente qui envahit l'espace céleste. Des icebergs de légèreté qui filent dans les airs. Une avalanche de neige roulant vers l'infini avec des lenteurs divines. Des vagues géantes, augustes et sereines se mouvant mollement dans l'atmosphère.
 
Autrement dit, l'incarnation de l'éther sur Terre. L'extrême élégance de l'apesanteur. Le ballet éolien de la matière remplie d'esprit. La preuve que toutes les lourdeurs du sol peuvent s'élever et voltiger dans des sphères supérieures. L'eau qui croupit sous forme de fange s'évapore peu à peu et se transforme en pure beauté, là-haut. N'est-ce pas l'illustration la plus parfaite de la sacralité de l'Univers ?
 
On dirait des montagnes volantes, un océan ailé, un continent flottant. Quelle majesté !
 
Et je rejoins ces âmes gigantesques, ces anges himalayens, figé sur le plancher des vaches, le regard illuminé par ce théâtre aux dimensions cosmiques.
 
Et tandis que ces fabuleuses volutes nivéennes parcourent l'immensité, je m'attarde à mon poste d'observation jusqu'au crépuscule...
 
Telle une horde de paresseux pachydermes en marche vers de radieux horizons, l'armée de nébuleuses continue son défilé aérien au-delà de ma vue. Alors que ces fumées de l'Olympe prennent la direction de l'éternité, le jour s'estompe autour de moi.

Et la nue s'efface progressivement dans la mélancolie du soir.

lundi 7 juillet 2025

2369 - Qui donc m'observe ?

Je ne suis pas seul dans mon ermitage !
 
Cette fois j'en suis sûr, on m'observe. Certains jours en ouvrant ma porte je peux sentir planer une présence invisible à proximité de ma demeure. Un regard étranger se pose sur moi, je le perçois obscurément... Cet intrus est posté non loin de mon refuge et m'épie. Il a beau se cacher, je le vois quand même : il y a des signes qui ne trompent pas.
 
Je me rends compte qu'il se passe des choses anormales. Lorsque je vérifie dans les alentours je tombe sur des traces diverses, devine des formes sur le sol, remarque les herbes écrasées, détecte des anomalies, décèle des détails révélateurs, relève des indices suspects... Ce coin de la forêt est visité, assurément. Un inconnu occupe furtivement ces lieux. Il bouge régulièrement et se place en différents points à des distances relativement proches de ma maison pour m'espionner.
 
Qui rôde ainsi auprès de mon domicile ? Et dans quel but ?
 
Dès que je sors de chez moi, je me trouve aussitôt dans son champ de vision. Peut-être même qu'il parvient à me voir à l'intérieur, du moins en partie, à travers ma fenêtre.
 
Qui est ce mystérieux guetteur qui tourne autour de mon asile ? 
 
Un esprit curieux -et inoffensif- attiré par la singularité de ma situation qui s'amuserait à étudier de manière informelle, et assez indiscrète il faut le dire, mes moeurs d'ours ? Possible mais très peu probable. Un bandit cherchant l'opportune occasion pour ses crapuleries ? Il aurait déjà fracturé mon logement lors de mes nombreuses absences. Une belle rêveuse éprise de mes allures de vagabond céleste, de mes sabots de coureur des bois, de mon chapeau de seigneur de la friche et rêvant d'ébats enflammés sous la Lune avec le méchant loup ? N'y pensons même pas !
 
A moins que je ne me fasse des idées et qu'il s'agisse en fait de bêtes quelconques venues se réfugier successivement aux abords de mon cloître forestier, d'un hôte des fourrés ayant pris ses habitudes près de mes murs ou de je ne sais quel autre animal peu farouche nichant ici et là, potentiellement à portée de vue... J'ai bien repéré des fils d'origine indéterminée, de longs brins accrochés aux ronces. Etaient-ce des poils d'un des multiples représentant de la faune environnante ou des fibres provenant d'un tissu ? 
 
Ou alors il n'y a absolument personne, nulle âme qui vive, ni humain ni gibier, rien !
 
Pourtant j'ai constaté des empreintes inhabituelles, des faits étranges, des marques étonnantes...
 
Un fantôme ? Le vent ? Ma pure imagination ? En vain je m'interroge sur ce ténébreux sujet... Mais à quoi bon ? Je n'obtiendrai jamais de réponse satisfaisante. Finalement, autant ignorer cette affaire inexplicable et continuer ma route en silence.
 
Cette histoire restera définitivement énigmatique. Encore une fois, depuis les hauteurs de ma solitude, je prends conscience que mon isolement ne se résume pas qu'à de matérielles apparences et que derrière les brutes et tangibles réalités physiques se manifestent des phénomènes plus subtils.

Tout cela me porte indubitablement à croire qu'au sein de cette sylve gît un grand secret, et qu'un monde indéfinissable semble exister sous le voile de la matière.

dimanche 6 juillet 2025

2368 - Le loup

Un drôle d'oiseau se cache dans cette forêt.
 
Les arbres sont son dernier salut, son seul éden, sa demeure ultime. Avec son apparence grise, sa silhouette sombre, sa face pareille à une écorce, son pas auguste, sa présence incongrue dans les profondeurs de la sylve, il pourrait paraître effrayant. Et il l'est certainement.
 
C'est un loup.
 
Mais il ne sort jamais du bois, cet animal-là.
 
Au contraire il ne cherche qu'à fuir le monde, les humains, le bruit des villes et les fracas du siècle. De jour comme de nuit, il erre dans les moindres recoins de son univers végétal. Il lui arrive de s'éloigner de sa tanière à n'importe quelle heure, pour y revenir fatigué, trempé, affamé. Ce sont là ses us, ses désirs, sa vie. Son bonheur brut, assurément !
 
Sobre, fier, franc, solitaire, il consacre son temps à poursuivre des causes essentielles, sans cesse en quête d'air léger, de vent fou, de chemins clairs et d'aubes éternelles. Il ne prend que des directions verticales, n'avance que pour gagner en hauteur, ne marche que pour mieux s'envoler. Aucun piège ne l'arrête : il se gave de liberté et saute par-dessus toutes les lourdeurs du sort.
 
Son coeur de fauve a besoin du baiser des cailloux, des caresses de la glace et de l'étreinte du feu pour battre plus fort encore ! L'âpreté est son ivresse, la nature son alliée, l'épreuve sa force.
 
Peu d'hommes ont eu le privilège de croiser sa route : il reste toujours discret, furtif, insaisissable, se réfugie dans les plus secrets espaces de verdure, loin des passages fréquentés. Et le soir se terre dans son antre, entouré de feuillus et de silence.
 
C'est une créature de la friche née pour se rouler dans la fraîcheur de l'humus, respirer les flammes d'un céleste idéal et rêver d'amour au milieu des ronces.
 
En réalité je connais très bien cet être pas comme les autres qui hante ces lieux.

Cette bête sauvage, c'est moi-même. 

2367 - Cauchemar

L'isolement où je me trouve me permet de jouir de multiples sources d'agréments, inconcevables en ville. Et même si le prix à payer pour cette sauvage liberté est parfois amer, j'accepte ce revers. En effet, au sein de mon paradis de verdure, il m'arrive d'être en proie à diverses frayeurs. Cela fait partie de mes conditions de vie.
 
N'importe ! Je tire profil et délices de ces effrois car l'épine m'agrée au même titre que la rose ! Le cauchemar m'est aussi enchanteur que le rêve. Je goûte autant au frisson qu'au vertige, à la ronce qu'à la fleur, à la gifle qu'à la caresse.
 
Ainsi certaines de mes nuits sont agitées. Certes le vent qui souffle sur la forêt y est pour beaucoup, je crois. Mais cela suffit-il à tout expliquer ? Je préfère ne pas trancher définitivement sur ce point et admettre humblement que bien des aspects de la réalité m'échappent...
 
L'expérience m'a appris qu'au fond des bois tout n'est jamais totalement clair, quoi qu'on en pense. J'ai pertinemment conscience qu'en ces lieux plus qu'ailleurs, à un moment donné le mystère agit d'une manière ou d'une autre et qu'en dépit de toute attitude rationnelle, nul ne peut être sûr de rien.
 
La tempête seule n'est pas responsable de tous les troubles autour de moi. Lorsque par exemple en ces heures tardives il me semble entendre des coups contre la porte "Toc ! Toc ! Toc !", dois-je en conclure que trois branches viennent de s'abattre successivement sur le seuil de ma demeure ? Quand je veux vérifier la chose et que dehors je ne constate aucune marque particulière, dois-je supposer qu'Éole a déjà emporté ce trio d'indésirables juste après qu'elle se sont brisées sur le sol ? Difficile à consentir à une pareille théorie !
 
D'autres fois, tandis que les arbres ploient sous l'intempérie nocturne, je fais le tour de ma maison afin de contrer tout éventuel événement fâcheux. Et là, dans les ténèbres des traits diffus m'apparaissent. Je discerne des visages dont j'ignore s'ils sont amicaux ou diaboliques, humain ou bestiaux, réels ou imaginaires... De simples reflets dans l'obscurité de je ne sais quelles secrètes lueurs ? Je ne cherche pas toujours à identifier ce qui me fait face sous les ramures. Je tremble et suffoque de terreur, et sans m'attarder sur ces regards qui ont l'air de me suivre, je me précipite dans mon lit !
 
Et quel comportement dois-je adopter en voyant par ma fenêtre des formes s'animer sous les feuillus ? Aller à leur rencontre ? M'en approcher au plus près pour me rendre compte si j'ai affaire à des broutilles ou à des spectres, à des présences importunes ou à des fruits de mon imagination, à des morts ou à des vivants ? C'est précisément là que je manque le plus de courage !
 
Quels êtres rôdent de la sorte à proximité de mon refuge ? Qui me fait ces signes ? Qui sont les auteurs de ces farces terrifiantes ? Des gens malveillants ? Des âmes perdues ? Et s'il n'y a finalement personne derrière ces images et ces bruits, de quels étranges phénomènes suis-je la victime ? De caprices météorologiques ? De principes invisibles ? De lois qui ne sont pas de notre monde ? D'étrangetés de provenances inconnues ?
 
Ou, peut-être, de causes parfaitement explicables, tout simplement ?
 
Oui, mais lesquelles ?
 
Quoi qu'il en soit ces forces, qu'elles soient d'origine lointaine ou proche, se manifestent en ces occasions sous de sombres apparences.
 
Je ne dors plus et il me faut alors attendre que le matin me délivre de mes peurs. A l'aube tout redevient paisible, lumineux, banal. Le jour efface les noirceurs de mon insomnie.

Je me suis habitué à ces inquiétantes compagnies, sans souhaiter entrer en contact avec elles. Qu'elles passent et repassent donc ! Je les laisse venir et s'évanouir. Après tout, il est possible qu'elles ne soient que l'écume de la sylve.

samedi 5 juillet 2025

2366 - Un peu de foin

Depuis ce sommet hors du temps où je vis, il me faut vraiment peu de chose pour me combler de délices ! Mes trésors sont sobres mais me procurent de vifs plaisirs. Ainsi à la fin de l'été la simple vue des herbes sauvages aux environs de ma demeure me donne envie de les faucher pour en faire des gerbes que j'entasse ensuite chez moi.

Elles ne me servent à rien du tout, sinon à être exposées en guise de décor. Elles sèchent dans ma maison en répandant leur parfum de verdure jaunie.

Je ne fais pas d'usage particulier de ces bouquets de foin, je les entrepose juste pour le confort de mon âme, pour le caractère chaleureux de leur présence sous mon toit, pour leur odeur, leur aspect, leur proximité de nature avec la forêt, les pommes de pin et la Lune.

Ils n'ont pas de fonction utilitaire mais je puis quand même les utiliser de manière improvisée comme oreillers d'une nuit, coussins lors d'un repas ou les sacrifier à l'allumage du feu. Peu importe, ils m'accompagnent dans mes actes et rêveries du quotidien.

A travers la chaleur poétique se dégageant de ces tas de graminées rassemblés autour de l'âtre, mon gîte s'illumine d'une douce joie, alors qu'il est plongé dans une permanente pénombre. La magie de ces tiges coupées opère : leur esprit se diffuse dans toute la pièce.

J'ai l'impression d'être en plein champ.

En conservant ma blonde récolte entre mes murs, je ramène dans mon foyer un peu de crépuscule, un souffle de vent, deux ou trois chants d'oiseaux, quelques étoiles aussi.

Ce qu'il faut pour enchanter mon ermitage des éclats de l'automne naissant.

Le soir lorsque j'entre dans mon refuge de solitaire, je pénètre dans un petit paradis aux teintes champêtres que l'on prendrait volontiers pour un tableau de LE NAIN.

De fait, entouré de ces plantes sèches, j'habite au coeur de la beauté.
Désormais je joindrai les brouillons de mes textes afin d'agrémenter mon blog. Mais ces papiers noircis ne sont pas systématiques : uniquement lorsque je rédige mes oeuvres loin de chez moi, en pleine nature la plupart du temps. Les plus curieux d'entre vous pourront consulter la totalité de mes manuscrits archivés ici : https://lune7.blogspot.com/

2365 - Bain de crépuscule

Parfois aux jours les plus éclatants de ma retraite forestière, pris d'une furieuse exaltation poétique, je décide d'aller me jeter dans les flammes du crépuscule.
 
Avec mon chapeau sur la caboche, ma guenille de bête sur le dos et mes sabots de lourdaud des bois, j'ai l'air d'un spectre pittoresque hantant la forêt. Je ressemble à un épouvantail échappé de son socle, à une sorte de polichinelle dépenaillé au pas désarticulé par une joie soudaine.
 
Et je marche comme un dément à travers la sylve en direction de l'horizon en feu, le regard halluciné, haletant, étourdi, avide de sacrales lumières, assoiffé de rouges océans et de nues déchaînées, ivre de flots célestes mêlés de nuages sanglants, rêvant d'atteindre ces sommets illuminés de mes ailes de fou...
 
Je plonge dans le divin incendie vespéral, aussi léger qu'une âme désincarnée. Et je m'envole tel un oiseau fabuleux vers ces splendeurs sanguines qui déchirent le ciel.
 
Qui me verrait ainsi courir après les flamboiements de l'azur me prendrait certainement pour un aliéné en pleine crise ! Mais je n'ai nullement perdu la boule, tout au contraire je suis rempli de la véritable lueur de lucidité qui puisse encore exister en ce monde : celle que la Beauté octroie aux esprits purs, durs, crus.
 
Et je brille. De fièvre, de délire, de trouble aux yeux de certains, peut-être... Mais assurément, je brille.
 
Peu m'importe que ce siècle me raille : mes raisons, mes oeuvres et mes rêves ne sont pas les siens. Je ne cherche ni la reconnaissance des hôtes des salons ni l'approbation des poètes. Je me moque des moeurs temporelles, des vues en vogues et des prétendus sages de tous bords censés faire autorité. Ce qui compte pour moi, c'est la vérité tranchante au-dessus de ma tête, non les artifices de cette civilisation si éloignée de mon ermitage qui a remplacé les fééries de la Création par les néons de la ville et les séductions des écrans portables.
 
Je ne suis pas un mondain mais un coureur des chemins.

Et surtout, en cette heure glorieuse où le soir s'allume, mes pieds ne sont plus bêtement posés sur terre. Ils se situent bien plus haut que le sol nivelé des plats citadins. En me précipitant ainsi vers les merveilles embrasées du couchant, moi l'habitant des feuillus, moi le frère des arbres, je me place en réalité non pas au niveau des zélés égarés mais à l'altitude lumineuse des géants ailés.

vendredi 4 juillet 2025

2364 - Voyage sous un arbre

Du fond de mon exil de friche et de verdure, qu'ai-je besoin d'évasion extérieure ?
 
Mon aventure sylvestre, aussi statique qu'elle paraisse, est un chemin perpétuel à travers les cycles de la nature, eux-mêmes générateurs de nouveautés, d'imprévus, de surprises uniques.
 
Chaque jour est un rêve renouvelé.
 
A l'intérieur de cette odyssée immobile, du matin jusqu'au crépuscule je vais de sommets en racines, d'horizons en mares, d'azur en buissons. Le simple fait de m'étendre sous un arbre, c'est entreprendre un voyage vertical.
 
Là, sans quitter le sol où je me repose, attentif aux moindres réalités qui m'entourent, je pars en direction d'un firmament de feuilles et de branches où mon regard se perd. Je suis allongé sous une immensité à portée de main.
 
Et c'est comme si j'observais une galaxie, sauf qu'elle se trouve toute proche de moi. Face à cette silhouette de bois désignant les nues, l'émerveillement est quasiment le même.
 
Je ne perçois pas seulement le feuillus selon ses apparences immédiates, mais je le considère également à l'échelle moléculaire, avec ses fins rouages cellulaires et subtils échanges chimiques... Et c'est souvent à ce moment précis où le vent du lyrisme m'emporte loin dans de vertigineuses hauteurs spirituelles, poétiques ou philosophiques, que je reçois soudainement une fiente d'oiseau dans l'oeil ou bien un oeuf pourri sur la tête !
 
Quel réveil !
 
La Création a ses petites facéties qui tranchent tout en férocité et légèreté avec la gravité de ses lois. Ses farces sont la preuve que la Beauté ne manque pas d'humour.

Et c'est sous la merde d'un volatile ou dans la puanteur d'un ovule putride que se termine mon excursion vers les étoiles, un peu avant l'heure du repas du soir. Plus tard devant l'âtre je m'étonnerai encore de ces chutes ironiques d'ordures sur mon front.

J'ai fait ce trajet fantastique qui part de la pointe de l'Univers, s'attarde un peu dans les espaces éthérés de la pureté désincarnée pour arriver au pied de l'éclaboussante dérision.

Une vadrouille cosmico-forestière pleine d'humilité !
Désormais je joindrai les brouillons de mes textes afin d'agrémenter mon blog. Mais ces papiers noircis ne sont pas systématiques : uniquement lorsque je rédige mes oeuvres loin de chez moi, en pleine nature la plupart du temps. Les plus curieux d'entre vous pourront consulter la totalité de mes manuscrits archivés ici : https://lune7.blogspot.com/

2363 - Ma solitude de roi

Je me suis enraciné comme un chêne dans cette forêt sans nom, sous le ciel de l'oubli, trop heureux d'avoir trouvé dans ce trou assez de profondeur pour me couper de la modernité.
 
J'ai fait de cet océan d'ombre et de verdure mon paradis d'ermite.
 
Du fond de ces bois où je vis à l'ancienne, loin des vacuités du confort, à l'écart des artifices du siècle, ignorant les chaînes de la technique qui aliène les hommes au lieu de les délivrer, j'ai fait le choix de la radicale sobriété, autrement dit de la fulgurante verticalité.
 
Depuis cette altitude d'élite où je lévite, lourdement chaussé de mes sabots, je suis plus léger pourtant qu'un citadin banché sur le réseau électrique.
 
Je préfère la chaude proximité avec les cailloux plutôt que les froids contacts avec les écrans. J'apprécie mieux la relation vivante avec les pierres que les interactions sans âme avec la technologie. J'aime davantage la compagnie des rats contestés que celle des fats connectés. Il est plus sain pour moi d'être entouré d'arbres de marbre qu'encerclé d'ânes flasques. Les premiers favorisent une bonne respiration, les seconds m'étouffent.
 
Non pas que je sois misanthrope véritablement, ce sont simplement mes contemporains qui se tiennent aux antipodes de mes sommets. Ils ne parviennent guère à me rejoindre. Dans les nues où je plane, je ne croise que des oiseaux de haut vol : gens de plumes et autres bêtes venues de la Lune. Rien que des êtres délicieusement célestes ! Et ne rencontre que rarement des bipèdes dignes de mon chapeau de paille. La plupart portent des casques, des écouteurs, des masques, des oeillères, se chargent de poids inutiles, s'embarrassent d'onéreuses pesanteurs, traînent des enclumes de vanités. Ils sont futiles, frileux, douillets, aseptisés, javellisés, informatisés jusqu'à la déshumanisation.
 
Perdus dans leur monde virtuel, enfermés dans leur bulle mobile, prisonniers de leurs portables, ils se croient libres, unis, évolués...
 
Mais ces pantins, captifs de leurs prisons portatives, sont plus seuls que moi en réalité.
 
Amorphes, vides et tristes, ils ne marchent plus en regardant devant eux mais se figent soudainement en pleine rue, ou n'importe où ailleurs, focalisés par ce qui se passe sur leurs appareils, avachis contre leurs "lucarnes-à-sornettes". Et ils restent sur place, les yeux rivés sur leurs moniteurs miniatures, englués dans les mensonges de leur univers rectangulaire débitant des mirages en deux dimensions.

Eux les esclaves issus de la ville, moi le roi de la friche.

jeudi 3 juillet 2025

2362 - Le silence

C'est une caisse de résonance pour mes moindres faits : allumer le feu, ouvrir la porte, briser des branchages. Le silence donne de la profondeur à l'anodin, il rend solennel mes gestes les plus quotidiens. Tout prend de l'envergure sous son règne.
 
Il pourrait assommer d'ennui tout citadin déconnecté de ses habitudes. Son austère présence me fait l'effet d'une statue pleine de majesté. Avec lui tout murmure devient trompette, la plus insignifiante brise équivaut à une tempête et la chute d'une goutte d'eau est aussi fracassante qu'un orage.
 
Il confère une nouvelle importance aux petits riens, décuple la portée de tout ce qui cri, grince, brûle, soupire, chante... Corbeaux, charpente, bûches, vent, pluie... Avec lui je peux entendre l'âme des choses, la sève de la nature, les mots de ce qui se tait et palpite, se terre et brille, se cache et rayonne. Il est la voix de l'invisible, le tambour de l'ombre, la parole laissée aux pierres.
 
Là, au coeur de la forêt, au fond de ma solitude, il pèse autant qu'une flamme. Il m'éclaire et me nourrit d'essentiel, loin des vacuités et futilités de la ville. J'apprécie sa compagnie tard le soir au coin de ma cheminée. Grâce à lui je suis beaucoup plus attentif aux allées et venues des rats, aucun de leurs grignotements ne m'échappe, leurs couinements emplissent toute ma demeure et se mêlent aux crépitements de l'âtre, contribuant à entretenir l'ambiance chaleureuse de cet ermitage. Et dehors le hululement de la chouette ajoute de la flûte à leur concert sournois. La quiétude me fait aimer ceux que personne ne veut écouter.
 
A travers la tranquillité des jours je perçois le tumulte de ce qui est dissimulé. Dès que l'on chasse le bruit, les secrets hurlent de partout.
 
Le calme enchante mes soirées de ses légèretés et mystères. Sous sa loi les objets se mettent à parler, les fantômes se réveillent, des visages apparaissent dans la nuit.
 
Et tout bavardage tourne à l'impiété.
 
Je me concerte alors longuement, passionnément avec la braise aux traits changeants et aux éclats troubles, jusqu'à ce qu'elle meure lentement dans le foyer, mettant fin sans tapage à notre conversation nocturne.
 
Le vacarme pollue l'esprit.
 
Mais la fumée qui monte discrètement vers le ciel, c'est de l'or qui flotte dans l'air.

mercredi 2 juillet 2025

2361 - Aubes de plomb

Je bénis tout ce qui vient, l'orage comme la sécheresse, la grisaille autant que l'azur, la pluie aussi bien que le soleil.
 
Certains matins d'automne je me réveille avec une brume infinie qui s'étend sur la terre et cache le ciel. La forêt devient alors un séjour pour les défunts, un univers figé plein de mort et de mélancolie. Plus rien ne bouge et le silence de l'aube ressemble à une vaste pierre tombale.
 
Quel bonheur !
 
C'est un monde de rêve chargé de mystères qui s'ouvre à moi. En poussant ma porte, je suis immédiatement plongé dans une ambiance morbide. Je sors de mon habitation de taupe pour entrer dans un royaume de chevalier frigorifié.
 
Et chaussé de mes sabots, paré de mon simple chapeau de paille, je pars à la rencontre du brouillard, à la découverte de ces nuages cloués au sol, à la conquête de nouveaux sommets.
 
Je prends ces pesanteurs matinales pour des légèretés. A travers la nébulosité sylvestre je crois apercevoir des châteaux forts aux donjons sinistres. Mais ce ne sont que des troncs et des branches. N'importe ! L'illusion m'enchante et je poursuis ma marche dans l'inconnu.
 
Je m'égare avec délices dans les bois. L'humidité fait ressortir l'odeur de l'humus. J'ai l'impression de me retrouver au Moyen-Âge, perdu dans une légende. Je reconnais le chuintement caractéristique d'un Boeing qui passe loin au-dessus de ce siècle périmé et sans électricité où je me suis enfermé et fait oublié. J'ignore vers quel but volent ces gens dans la carlingue. Leur histoire me semble tellement éloignée de la mienne... Je leur souhaite bon voyage néanmoins.
 
Nos deux réalités radicalement opposées se côtoient à grandes distances. Eux dans l'espace aérien réglementé, moi dans mon jardin d'herbes sauvages. Mais ici dans mon trou connecté au vent, aux saisons et au feu de la cheminée, je me sens en phase avec les heures sacrées de la Création.
 
L'avion peu à peu s'évanouit dans les nues, je n'entends plus que les battements de mes propres ailes. Mon âme s'élève, ma vue s'élargit et je vois finalement les choses depuis ma hauteur d'ermite.
 
Et là, au milieu des arbres, je disparais dans les clartés vaporeuses qui m'entourent. Plus personne ne sait que j'existe car j'ai définitivement fui les lourdeurs de la modernité. Ou alors on me suppose enseveli sous la friche, dévoré par la ronce, anéanti par la solitude.

En vérité, je suis aux anges.

mardi 1 juillet 2025

2360 - Mes anges les corbeaux

Comme je vous aime, satanés corbeaux ! Que de noires fééries en vous, chers ailés, avec vos têtes de macchabées, vos allures spectrales et vos plumages de deuil ! La nue pour vous semble n'être qu'un vaste caveau où, avec vos bras semblables à des crucifix chargés d'obscurité, vous rayonnez tels des astres funèbres.
 
Le matin lorsque vous me saluez de vos cris menaçants dans la brume, vous enchantez mon ermitage de votre coeur de rocaille et de vos manigances de bandits ! Vous êtes les vivants diamants de la Création, je ne me lasse ni de votre vol princier dans le ciel ni de vos élégances de croque-morts sur le sol. Imprégnés d'encre, vous avez des légèretés de poètes et des moeurs de fossoyeurs.
 
Ma vie serait bien vide sans vous !
 
Ma nature d'esthète depuis toujours est éprise de vos charmes sinistres. Elle se remplit divinement de vos flots de ténèbres et se réjouit follement de vos plaintes dans le lointain. Vos  croassements ressemblent à des promesses de rêves mélancoliques, à des légendes ressuscitées, à des fables lugubres. Vous incarnez l'automne éternel, le crépuscule sans fin et l'aube aux clartés tombales.

Ce brouillard que vous représentez si merveilleusement, vous les ombres célestes, constitue ma lumière.
 
Vous vous apparentez à de vieux grimoires pleins de mystères. Vos plumes sont les pages d'un livre de contes effrayants, des mots sépulcraux éclatants de vérité ! Par votre envergure et vos profondeurs, je vous je vous associe à des héros littéraires.
 
Par votre simple présence sur les toits ou dans les champs, en haut des cathédrales ou au fond des bois, vous écrivez de sombres chapitres, quel que soit le siècle où vous naissez, et faites ainsi voyager les rêveurs de toutes les époques dans le royaume des doux cauchemars.
 
Avec vos mortuaires éclats, vous brillez tous les jours de l'année, pareils à des soleils de charbon. Les enfants vous adorent comme ils adorent l'ogre et le frisson dans la nuit. Et moi je vous considère encore plus que mes amis les rats !
 
Vos voix rauques au-dessus de la forêt où je me suis enfoui sont pour moi des sortes de cloches sacrées. Vous sublimez ma solitude.
 
Aussi augustes que des mages, plus sages que les philosophes avec vos becs faits pour la beauté et non pour la vacuité. Je vous admire, vous célèbre, vous bénis et vous prie de hanter longtemps encore mon âme de vos chants éraillés.

Je repense souvent à vous le soir devant le feu de ma cheminée. Et à travers les flammes de mon âtre qui crépitent et montent, je crois voir battre vos ailes de glace.

2359 - Vertueuse verdure

Loin des corruptions et vacuités de la ville, je prends racine dans mon paradis "d'arriéré des bois aux sabots d'azur"... Les arbres, les corbeaux, les feux de cheminée, ma vieille marmite couverte de suie, les pommes de pin et mon chapeau d'un autre monde, tout cela forme mes valeurs indépassables. Ce sont là mes sommets bruts de rustaud de la sylve, les repères ultimes de mon trou de verdure.
 
Je n'ai nul besoin d'artifices technologiques pour éclairer mon âme de bûcheron et combler mon coeur de reclus de la friche. Donnez-moi un peu de terre dans un coin perdu, trois sillons à cultiver, quelques fagots à brûler, des étoiles pour voyager, une chandelle pour mes soirées et beaucoup de ciel afin d'employer le reste de mon temps, et je serai aussi heureux qu'un hérisson dans les herbes !
 
Des amis ? Les rats sont mes hôtes et les corvidés ma chorale. Les rongeurs m'honorent de leur présence ténébreuse et les croasseurs m'enchantent de leurs concerts sépulcraux, que demander de plus ? J'ai même la chance de recevoir la visite du renard et du sanglier sans rendez-vous. Quant au hibou, il vient souvent se percher juste au-dessus de mes rêves, tel un spectre bienveillant.
 
Mon confort ? L'eau de la rivière remplit toutes mes attentes essentielles et le vent fait les choses encore mieux que certains appareils inutiles. J'ai remplacé l'électricité par la flamme et le téléphone par le silence. Mon ampoule, c'est le Soleil. Mes lampions, ce sont les lueurs du crépuscule. En ce qui concerne ma veilleuse, la Lune fait aussi bien l'affaire.
 
La solitude ? Une vraie libération ! Je vis sans hypocrites politesses, débarrassé des pesanteurs du bavardage et des obligations de l'apparence. Ici dans mon antre je suis un cerf rustique, un loup hors du siècle définitivement coupé des frilosités citadines, un ogre avide de soupes campagnardes et d'air pur, un épouvantail occupé à fendre des bûches et assoiffé de pensées tranchantes. J'ai un palpitant d'ours et des pognes calleuses de cul-terreux. Ce qui, je crois, doit plaire a plus d'une femme... Mais je n'ai de regard que pour la forêt et ses mystères.
 
Et d'amour véritable que pour les beautés durables de la nature.
 
Je me voue à l'humus, à la braise, à la cendre, à la pluie et aux nuages.
 
Mon bonheur est dans les ronces.

lundi 30 juin 2025

2358 - Le parachute

J'entendis un vrombissement inhabituel dans les nues, suivi d'un fracas inquiétant...
 
Nul ne pourrait croire que, caché depuis une éternité au fond de mon trou forestier, le ciel puisse me tomber sur la tête ! Le sort se montre parfois aussi fracassant qu'un orage sous un clair azur car c'est exactement ce qui m'est arrivé. Même isolé sur mon île de friches et de bois, je ne suis guère à l'abri du plus spectaculaire imprévu.
 
Je me pense loin de tout et d'une seconde à l'autre, sans rien demander ni à Dieu ni aux hommes, je me retrouve à la une de l'actualité ! Quelle ironie ! Par quel prodige ai-je été placé face aux projecteurs des médias, moi qui ai tout fait pour me soustraire au monde ?
 
Un naufragé des airs atterrit sur mon ermitage.
 
Un visiteur que je n'attendais pas, accroché à son parachute.
 
Je l'apprendrai plus tard, une fois son aile déployée, dans sa chute contrôlée il a même visé volontairement mon humble carré de verdure : l'unique espace un peu dégagé de la forêt où il pouvait toucher le sol sans risquer de heurter des arbres.
 
Qu'était-il donc venu fabriquer ainsi dans mon cloître végétal, piétinant mes sillons avec son château de toile dans le dos, recouvrant bientôt mon potager ?
 
Très vite il me mit au courant de sa situation aussi alarmante qu'incongrue : il s'agissait tout bêtement d'un aviateur qui avait dû sauter en plein vol de son appareil en difficulté. Les bruits que je venais de percevoir juste avant, c'était l'écrasement de son avion. D'ailleurs une fumée noire commençait à monter à l'horizon.
 
Mon minuscule paradis à découvert vers lequel s'était promptement dirigé mon hôte impromptu l'avait sauvé de potentielles blessures. Mon jardin de légumes lui avait permis d'éviter les feuillus. Dans le feu de l'action, il m'en remercia d'une virile et fraternelle étreinte !
 
Alors que finalement, quel mérite pour moi ? Aucun.
 
La suite de cette histoire est plus banale : le miraculé fut récupéré par les secours, ces derniers ayant fatalement été accompagnés de quelques journalistes locaux qui ne m'ont pas épargné d'une interview. Je dus évidemment me plier à ce cirque inutile. Décidément, je me suis bien fait remarqué malgré moi ce jour-là !
 
Je suppose que les journaux ont romancé à loisir et divulgué sans retenue cette drôle d'affaire...
 
Le soir même devant l'âtre tout cela ne me regardait déjà plus. Je replongeai dans mon cher anonymat, le regard perdu dans la seule flamme capable de me faire réellement voyager : celle de mes bûches.

dimanche 29 juin 2025

2357 - Au bord de l'eau

Souvent je viens m'étendre sur le bord de la rivière coulant à proximité de mon foyer d'ermite.
 
Ce lieu constitue mon port de quiétude. Comme si je me reposais près d'un flux de molle éternité, à côté d'un lit d'infini sommeil...
 
Ainsi allongé, je contemple le voyage de l'eau sans départ ni arrivée en songeant à mes patates, en me perdant dans le bleu du ciel ou bien en faisant résonner mes sabots dans l'air, en guise de tambour.
 
Et lorsque la chaleur commence à brûler mon chapeau, je vais sans tarder tremper mon cul dans l'onde fraîche. Je me sèche ensuite au vent parmi les herbes, nu comme une bête.
 
Parfois je me demande si des inconnus passeront un jour devant moi sur un bateau. Et je repense à cette navigatrice solitaire toute en scintillements et fantaisie qui avait follement débarqué sur la rive... Mais à part ce fulgurant oiseau de flamme et de légende qui vint me rendre visite si furtivement, je n'ai jamais vu de semblables merveilles naître de l'horizon ! Sauf, peut-être, des mouches et des crapauds surgissant ici et là dans la brume et les clapotis.
 
Et tandis que les heures filent, je vogue dans mes rêves de loup, statique comme une pierre, aussi léger qu'un papillon. Je vagabonde dans mes pensées, ma carcasse sur le sol, mon âme survolant les flots.
 
Je me représente les nombreuses femmes que je n'ai pas, imagine les rares que j'aurais pu avoir, et regrette un peu celle qui m'échappa, l'autre fois sur sa barque... Qui donc, après cette tempête de dentelles et d'étincelles, pourrait apparaître au fil du courant ?
 
Je n'attends que des visages inabordables, des images sans nom, des mirages lointains. Rien que des nuages en réalité, dans le reflet des vaguelettes.
 
Je n'espère que des richesses simples, des trésors à ma portée, des fruits que je puis me payer au prix naturel : ramassés par terre.
 
Personne ne reviendra accoster ici, je crois. Tant mieux ! Mon amour pour la friche et les bois est plus fort que le reste.

Seul mon feu de fagot, ce soir, comblera ma soif.

2356 - J'y suis et j'y reste !

Dans mon exil sylvestre, j'emprunte tous les chemins, traverse les vives saisons comme les heures creuses sans jamais dévier ni de mes pas ni de mes pensées.
 
A l'ombre de mon chapeau et sous le soleil de ma joie, je parcours des friches et des merveilles, franchis plein d'obstacles, dépasse mille épreuves...
 
Il m'arrive certes de frémir, de ralentir, de ployer et de souffrir. De froid, de chaud, de fatigue ou d'ennui. Mais sous le feu qui m'anime, les heurts et peines ne sont finalement que des broutilles. Et très vite l'épine, la langueur et la douleur deviennent des aiguillons qui me sortent de tous les trous !
 
Loin des mirages de la ville, je conçois bien des rêves tout en plongeant le regard dans les nuages. Même si, par ailleurs, j'enfonce allègrement mes sabots dans la boue. Avec ma solitude pour tout horizon et la flamme de mon foyer pour unique réconfort, je fais le tour de mon monde aussi vaste qu'un cloître.
 
Les sommets sont ma seule direction.
 
Je vogue paisiblement à travers les jours, accomplissant mes actes quotidiens au rythme de la vie naturelle, sans artifice, et progresse dans mes hauteurs. Le temps passe et les principes demeurent. Je marche tantôt sous la pluie, tantôt dans la poussière, accompagne le vent, porte mes fardeaux et me repose devant l'âtre.
 
Avec toute la légèreté de mon âme pour donner à ces choses un sens vertical.
 
Au fond de la forêt, sous la fraîcheur des arbres, hors des normes de la civilisation, je poursuis humblement mon voyage dans la simplicité, le silence et la lumière.

Au lieu de bêtement se résumer à un vulgaire loisir pour citadins en mal de verdure, mon aventure est un jalon pour les autres sangliers de mon espèce, un minuscule caillou de beauté rustique laissé sur terre, un germe d'infini semé sous l'immensité du ciel.

samedi 28 juin 2025

2355 - Ma soupe

Mon grand rendez-vous de la journée sonne ses coups fatidiques au fond de ma marmite.
 
La soupe du soir, que je confectionne avec ce que mes sillons m'offrent de meilleur, constitue un rituel à portée de ma nature simple et rustique. Véritable sommet clôturant les heures de ma paisible existence d'ermite, mon bouillon de légumes frais est une prière dédiée au dieu des péquenauds.
 
Avec mon chapeau de clodo, mon manteau de garou, mes sabots de crotteux et mes fagots de gueux, je suis un miteux heureux.
 
Après le crépuscule, tout devient plus confidentiel, intime et secret sous mon toit. Parfois pendant mon repas je laisse ma porte ouverte sur l'obscurité : la magie de la nuit entre chez moi et parfume mes navets et carottes de mystère.
 
Il ne m'en faut pas beaucoup pour que je me taise de bonheur : un mets chaud composé des primeurs du jardin que je déguste au pied de la cheminée, avec vue sur les ténèbres du dehors, me suffit pour combler ma soirée. Ces petits riens, qui à mes yeux valent une fortune en termes d'instants précieux, font partie des trésors de mon royaume.
 
Mon silence devant l'âtre n'est qu'une flamme de joie sereine. Je n'entends plus que le crépitement du feu et le cri de la chouette au loin.
 
Une fois mon bol terminé, je referme l'huis sur ma solitude. Repus de ce festin maraîcher, je rêve et médite en accrochant mon regard sur les pommes de pin exposées un peu partout dans mon antre, ravivant de temps à autre la braise jusqu'à ce que le sommeil me pousse vers mes draps.

Je nourris pragmatiquement mon corps des fruits de la glèbe, et en m'émerveillant de ces cultures, me dote indubitablement d'ailes.

Demain et les autres jours je reproduirai cette routine, après avoir ramassé du bois et travaillé au potager, humblement, humainement, sans éclat particulier mais sans inutile misère pour autant. Avec toute la vérité de mes mains conçues pour plonger dans l'ombre de la terre et de mon âme faite pour voler dans la lumière.

vendredi 27 juin 2025

2354 - Les fées n'existent pas !

Je fus réveillé vers les trois heures du matin par un rêve étrange : des êtres ressemblant à de pâles lueurs me tiraient de mon lit en me demandant d'aller les rejoindre dehors. Certes ce n'était là rien qu'une chimère issue de mon sommeil, cependant je constatai l'évidence : je me tenais debout au seuil de ma porte, bel et bien éveillé. Je n'avais plus qu'à la pousser pour me retrouver sous les étoiles. Ce que je fis.
 
Je me dirigeai machinalement vers les profondeurs de la forêt. Sans raison objective. Il n'y avait nulle autre chose à voir que des arbres plongés dans les ténèbres. Avec, au-dessus de ma tête, quelques constellations à travers les feuillages.
 
Mais très vite, de vagues formes lumineuses apparurent autour de moi, pareilles à de longues robes blanches voguant dans les airs et rasant les herbes. Comme des nébulosités glissant mollement au-dessus du sol. Une nappe de brume faiblement éclairée par le ciel étoilé ? Peu probable... Des reflets d'aurore sur les ramures ? Non, le lever du Soleil était encore loin... De silencieux d'éclairs rejetés par des restes d'orage ? Impossible, la nue paraissait si claire et si calme...
 
Ma pure imagination alors ? L'expérience semblait palpable, je ne délirais pas ! Je percevais ces fées avec toute la lucidité de mon esprit de lourdaud des bois chaussé de gros sabots ! Quoi ? Qu'ai-je dit ?
 
Ces "fées" ?
 
Qui a parlé de "fées" ? Pourquoi donc ai-je choisi ce mot ? Ce terme vient de sortir spontanément de ma pensée. N'ai-je pas pourtant les pieds sur terre ? Je sais bien que ces entités fabuleuses n'existent pas... Non, je fais erreur, je ne dois pas me trouver dans mon état normal en vous racontant cela... Il ne s'agissait pas de ces figures irréelles échappées d'un livre de contes pour enfants. Je crois plutôt avoir eu affaire à des papillons nocturnes, à des feuilles dans le vent, au vol des chouettes ou à de la condensation d'humidité sous les frondaisons...
 
Même si je sais au fond de moi que ces explications rationnelles ne tiennent pas la route, je continue de refuser à admettre la réalité de ce que j'ai vu de mes yeux dans le secret de la sylve. Je ne puis me résoudre à concevoir l'inimaginable. Ma solitude d'ermite à la peau dure comme l'écorce me jouerait-elle des tours à ce point tordus ?
 
Qu'avais-je réellement rencontré sous le firmament ? Quelle force onirique inconnue m'avait extirpé de mes draps pour me conduire à l'extérieur de ma demeure ? Et dans quel but ? Pour me prouver quoi ? Que ces femmes aux apparences de fumées ne sont pas des rêveries ? Je ne m'attardai pas dans l'obscurité parmi les troncs qui m'encerclaient et m'en retournai bientôt sous mes couvertures, plein d'incertitude.
 
Mais je ne parvins plus à dormir, jusqu'à ce que l'aube arrive. Si les fées ne sont pas des faits, alors comment cela se fait-il que des flammes s'allument toutes seules en pleine nuit et que des ondes dansent à mes côtés ?