En sortant de ma demeure à l'aube je repérai des traces de pas autour de
mon potager. On avait nuitamment pénétré chez moi ! Quelqu'un était venu tourner
autour de mes sillons, piétinant impunément la terre meuble juste à côté. Mais
sans rien détériorer ni voler cependant. Les empreintes étaient bien marquées...
Une personne menue, un enfant peut-être, à en juger par la taille du pied venu
se poser ici.
Qui donc avait osé s'aventurer si hardiment dans les profondeurs de ce
monde sylvestre où je suis secrètement réfugié ? Qui avait réussi à découvrir
mon trou d'ermite, si loin des éblouissements de la modernité ?
C'est là que je remarquai un objet intrigant sur le sol. Une attache à
cheveux... Ce que l'on appelle communément un "chouchou". J'examinai de plus
près ma trouvaille. Je distinguai quelques longs crins blonds restés accrochés à
la pièce de tissu. En outre un parfum prestigieux se dégageait du textile. De
toute évidence l'indésirable intrus se révélait être une jeune femme...
désirable !
Une parisienne, pourquoi pas ?
Ainsi donc une créature de la ville osa cette même nuit, et avec quel
toupet, visiter mes patates et carottes ! Mais dans quel but ?
Je n'aurais pas l'audace d'imaginer qu'un ours aussi lourdement botté que
moi puisse d'une manière ou d'une autre jouir d'une renommée dépassant les
bornes de la forêt, au point d'attirer les biches pomponnées et autres
mondaines lustrées de la capitale ! S'il est vrai qu'au cours de ma retraite
dans ces bois de rares individus ont pu, fort inopinément, croiser mon chemin
sous les ramures, pour autant nul ne connaît véritablement l'existence de mon
gîte ici, à part quelques rats et deux ou trois corbeaux.
Alors, de quoi s'agissait-il ?
Avait-je eu affaire à une espèce d'idéaliste de la verdure partie en
vadrouille hors de ses limites culturelles ? En somme, à la simple promenade
nocturne d'une banale écervelée ayant abouti par hasard dans mon jardin ? Ou
pour le dire autrement, à une poulette délurée échappée de la cité ? Difficile à
croire... Je ne conçois guère une telle escapade bucolique en solitaire de la
part d'une boulevardière en mal de sensations champêtres...
Décidément, la raison de cette mystérieuse intrusion me titillait... Que
cela fût le résultat du passage d'un vagabond ivre ou d'un braconnier égaré ne
m'aurait pas posé de problème. Mais une poupée de la belle société... Quel drôle
de fantôme !
Jamais je n'obtins de réponse à mes interrogations. Cette irruption parmi
mes légumes restera pour moi un mystère total. Finalement je jetai le
serre-chignon dans le feu de ma cheminée et le regardai se consumer jusqu'au
bout.
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