Par un soir d’automne au ciel tourmenté, je voulus traverser seul une
forêt. Entrer dans cette nuit peuplée de troncs effrayants qui me scrutent et
de contours mouvants qui bruissent, comme je pénétrerais dans un monde de
spectres.
Bref, me confronter aux forces brutes de la saison, me perdre dans des
chemins bordés de rêves inquiétants, m’abreuver de ténèbres, m’enivrer de frayeurs primitives et laisser mon esprit vagabonder dans un champ de questions sans
issue...
Après quelques kilomètres de marche dans la plaine pour atteindre la sylve,
à minuit je me trouvai à l’orée de ce mystère végétal tant espéré et tant
redouté. Sans éclairage sur moi, j’étais encore plus désarmé, plus terrifié que
je ne l’aurais cru.
Face aux ombres immenses m’ouvrant leurs bras, j’eus une hésitation suivie
d’un tressaillement et faillis faire demi-tour.
Mais, tenaillé par la soif de l’ailleurs, attiré par l’invisible, je me
résolus à aller boire à cette source d’effroi. Goûter à l’eau sombre et
délectable de l’inconnu... Accomplir ce voyage incertain dans l’obscurité,
parcourir cette étendue boisée comme une incursion dans un univers
étrange.
Je m’avançai vers le gouffre.
Une fois sous les frondaisons, le vent s’atténua considérablement et je fus
aussitôt enveloppé d’une ouate de silence.
Sous ma semelle, de la mousse. Devant moi, de sourdes profondeurs. Et partout, ces arbres que je devinais dans le noir, telles des statues de bois géantes qui
m’escortaient... Avec le murmure éloigné d’Éole comme une musique se voulant
rassurante...
Mais en vérité, dans cette soudaine tranquillité, le vacarme sous mes pieds et au-dessus de ma tête, décuplé par la sonorité feutrée du tapis d’humus, n’en
paraissait que plus pétrifiant.
La moindre brindille brisée, la plus petite branche écrasée, le plus
discret déploiement d’ailes ou frémissement de ramure résonnaient comme un
tonnerre au coeur du vide.
Plus je progressais au sein de cette nature qui à vrai dire n’est pas faite
pour les hommes mais pour les bêtes, les fantômes et les cauchemars, plus je
regrettais mon audace. Non, le bipède n’est point à sa place parmi les morts et
je ne sais quels lutins maléfiques, dans ce labyrinthe de futaies, livré aux
regards des êtres occultes, des présences indéterminées, des passagers furtifs,
des hôtes dissimulés...
Bientôt je fus entouré de silhouettes, enlacé par des feuilles, assiégé par
des visages imaginaires, assailli par des pensées affolantes, happé par des
formes confuses, traqué par des choses ou entités que je ne voyais pas...
Je ne pus terminer cette aventure inoffensive qui devait tout banalement me
mener jusqu’à l’aube vers une sortie balisée, proche de la route, à deux pas de
la civilisation.
Je m’égarai dans ce lieu extraordinaire, enlisé dans mes peurs, perdu entre
songe et réalité, évidence et incertitude, ne sachant plus faire la différence
entre les vagues échos entendus et les mots soufflés à mon âme.
Au matin, nul ne me chercha.
Si bien que, des années après avoir vécu cette histoire à dormir
debout, je me demande aujourd’hui encore si je suis vraiment sorti de chez
moi ce jour-là.
Ou si, sous les bourrasques de cette soirée d’octobre, je suis
finalement resté dans mon lit.
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