Conlie, anodine bourgade du fin fond pays sarthois, est heureuse d'accueillir la douzième édition du tour du canton à vélo. Le magasin Super U, sponsor officiel de cette très attendue épreuve sportive, s'est paré pour l'occasion d'atours chatoyants. Les caissières arborent fièrement les couleurs de leur entreprise soutenant l'événement. Le directeur du supermarché a engagé les meilleurs animateurs du département. Le commerce restera exceptionnellement ouvert toute la journée. Réductions folles sur toute la gamme des produits de sport en rayon !
La fête promet de faire grand bruit dans cette ambiance résolument "kermesse" qui plaît tant à toute la famille...
L'effervescence est à son comble.
C'est le départ ! Les participants accrochés à leur guidon s'élancent, filent aussi vite que le vent, s'envolent presque... Ces fidèles habitués de la moyenne surface, tous inoffensifs adeptes d'apéros devant d'intelligentes émissions de jeux télévisés, sous le regard de leurs épouses ressemblent subitement à des guerriers partant à la conquête d'une cause céleste.
L'enjeu est de taille : il y a de rutilants porte-clés en forme de U à gagner, l'emblème le plus convoité des pousseurs de caddies.
La fierté locale. Le Graal du coin. Le rêve des ménagères qui ont de l'estime pour leur mari.
Le trophée envié que l'on suspendra ostensiblement au rétroviseur intérieur de la Twingo.
Bref, la récompense ultime des vaillants combattants ramenée à leur conjointe... Mais qu'il faudra d'abord acquérir au prix de dignes efforts !
Particulièrement attachés aux promotions sur les yaourts, aux remises en caisse sur les lots de chips et aux divers avantages de ce genre, ces gens aux hautes aspirations alimentaires se sentent choyés par le service marketing de leur SUPER U... Ces bénéficiaires de nombreuses offres commerciales et multiples rabais se savent privilégiés. Et, plongés dans leur bonheur domestique sans nuage, ils prennent tout à coeur dans ce contexte festif, flattés d'être aussi bien traîtés par le personnel de la chaîne à la fameuse lettre U.
Mais revenons à nos soldats du bitume qui suent sur leur mécanique, pédalent et soufflent tels de preux paladins. Chevaucheurs de dominicales tondeuses à gazon, courageux officiers de barbecue et, accessoirement, éminents mangeurs de merguez-frites de pères en fils, les coureurs avec un immense U bleu inscrit dans leur dos foncent vers leur implacable destin d'employés des usines de rillettes de la région.
Avec leurs aspirations tranquilles et bovines de clients de l'enseigne Super U, ils ont l'air d'une file d'andouilles juchées sur de mythiques machines à monter les côtes.
Passons sur les épopées, imprévus, joies, larmes, souffrances, espoirs et tragédies minuscules de ces heures mémorables qu'ont illuminés vingt feux de grills sur lesquels ruissellent des brochettes...
Nos héros de sous-préfecture n'ont pas démérité.
L'animation a été un succès. Ni les saucisses ni les airs d'accordéons n'ont manqué sous les fanions, n'est-ce pas l'essentiel ?
Gagnants et perdants se souviendront avec un mélange de fièvre et d'attendrissement de leurs exploits... Il faut dire que leur flamme provinciale a été sollicitée en ce jour pas comme les autres !
Souhaitons plein de samedis aussi glorieux à ces passionnés de courses cyclistes !
A présent, vous qui me reprochez de railler si férocement ces êtres simples et primaires, dites-moi au nom de quoi devrais-je les épargner depuis les hauteurs de ma tour d'ivoire, eux qui se trouvent si coupablement bas dans leur quotidien, si grossier, si pitoyables dans leur condition de veaux volontaires ?
Je ne leur ferai point de cadeau. Au contraire mon avis lucide à leur endroit les frappera comme la foudre pour les mieux réveiller !
Conlinois étriqués, bande d'adipeux endimanchés, esprits épais aux moustaches drues, rieurs gras à la réflexion sommaire, hommes aux moeurs plébéiennes, aux goûts douteux, aux femmes empâtées, aux rejetons corpulents, je vous aime de la même manière que j'aime les clowns de cirque minables et pathétiques.
Avec une profonde, hautaine, authentique et salutaire pitié d'esthète.
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