Ma nièce,
J'ai reçu avec tiédeur vos marques de respect familial à mon égard. Désormais, j'entends que vous manifestiez plus d'austérité, de rigueur, voire une froideur de bon aloi lorsque vous serez en représentation à mes côtés. Je ne saurais accepter plus longuement ces espèces de familiarités dont vous semblez avoir recours pour me saluer, et par là même me mal rendre hommage.
Ca n'est pas là une façon estimable de saluer un oncle qui vient vous rendre visite, impertinente que vous êtes ! Lors de notre prochaine entrevue vous vous empresserez de courber le front : vous vous contiendrez avec dignité. Vous me ferez une cérémonieuse salutation, les yeux baissés vers mes pieds. En toutes circonstances vous manifesterez un absolu respect à l'endroit de ma personne. Vous serez recueillie, discrète, docile et pudique en ma présence. J'exigerai de vous un parfait silence, une fois achevées les politesses d'usage.
Vous vous effacerez avec humilité lorsque je m'entretiendrai avec vos géniteurs sur le sort prochain que nous avons choisi pour vous. Vous vaquerez à de saines et chastes occupations telles que la prière, l'aumône, l'étude ou bien la pénitence, ou que sais-je encore ? Bref, vous vous ferez oublier le temps que l'on statue sur votre destinée.
A ce titre je me dois de vous mettre déjà dans la confidence, mademoiselle. Nous avons pour vous trouvé un bon parti. Un vieux soupirant de bonne famille. Il vous faudra vous occuper de sa santé chancelante. C'est, en effet, un vieillard impotent.
Certes il n'offre pas l'apparence de la beauté et de la jeunesse, mais si la verdeur l'a quitté depuis bien des lustres, il n'en a pas moins gagné en expérience et sagesse. Il vous apprendra la vie mieux qu' un godelureau sans cervelle.
Il porte avec noblesse, et non sans une certaine élégance, une jolie difformité sur le dos. Ha quel charisme il a, ce majestueux bossu ! Remerciez donc le Ciel mademoiselle car vous avez de la chance. Beaucoup de chance. Cet auguste galant tousse un peu, et il tousse gras. C'est normal vu son grand âge, et vous le lui pardonnerez de bon cœur. Il a possiblement aussi quelques petits vices, dit-on. Ho ! Rien de bien criminel : il a un faible pour le tabac (il prise fort), le manger (la bouillie et les caramels mous sont ses mets favoris) et la compagnie des enfants de votre espèce. Douces et innocentes passions du gérontisme, à la vérité !
Quelques mauvaises langues prétendent que ce quasi centenaire est contrefait, boiteux, syphilitique, vérolé et que sa bosse a poussé sur le fumier de ses péchés.
Il boîte, je vous l'accorde volontiers. Il est laid ? Peut-être bien... Et encore, ceci n'est pas même certain : tout dépend de quel oeil on voudra voir la chose..
Mais pour le reste... Mensonges de jeunes vierges jalouses ne n'avoir point été épousées par ce charmant Monsieur ! Une précision encore, la plus importante de toutes : ce bel homme est riche.
Très riche.
Comme vous serez heureuse sous son autorité matrimoniale ! Remerciez vos parents et moi-même de vous avoir trouvé une si flatteuse alliance.
Les noces auront lieu dès que vous serez réglée.
P.S.
Oubliez donc dès aujourd'hui votre ami Pierre, celui pour qui bien sottement vous brûlez en secret mais qui est dépourvu de fortune.
Oubliez donc dès aujourd'hui votre ami Pierre, celui pour qui bien sottement vous brûlez en secret mais qui est dépourvu de fortune.
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