L'abbé Borel, que des indélicats surnommaient l'abbé "Bordel", était une nature. La face rubiconde, la pogne puissante, le ventre ogresque, il avait aussi ses petites faiblesses. Il fourrait dru sa pipe, mangeait gras, cultivait haricots, patates, et même salades qu'il vantait tant à la messe. Mais surtout, il détestait les femmes.
Il ne souffrait pas le moindre décolleté, la plus petite partie de corps dénudé, la plus sobre courbe femelle. Son aversion pour la chair féminine lui fit une réputation de bougre qu'il n'était cependant point. Il était allergique aux charmes du beau sexe, voilà tout. Ce qui ne l'empêchait pas d'aller à la pêche le dimanche après la messe. Là, on le surprenait parfois à parler aux poissons, aux oiseaux, et même à sa canne à pêche.
L'abbé avait un grain, c'est évident.
Tous l'aimaient dans la paroisse, même les femmes. Certes, on faisait semblant de ne pas voir qu'il vidait une partie des quêtes dans ses larges poches. Mais on lui pardonnait ces peccadilles, tant on appréciait ses qualités particulières pour administrer la dernière onction aux plus récalcitrants des moribonds.
Il n'avait pas son pareil pour leur faire cracher des secrets jalousement scellés dans leur caboche rouillée. Il savait comme nul autre leur rendre la mémoire. Des trésors notariés remontaient à la surface, des héritiers réapparaissaient : les derniers instants du mourrant se passaient dans une relative joie familiale. Grâce à l'abbé les funérailles étaient souvent l'occasion de réjouissances dans cette contrée d'avares, de bigots, de superstitieux.
Aux enterrements de l'abbé Borel on parlait bas mais on avait les coeurs hauts. Les femmes quant à elles processionnaient vêtements hermétiquement clos pour mieux rendre hommage à l'abbé que chaque inhumation précédée d'onction fructueuse auréolait d'une gloire inextinguible.
2 commentaires:
Et beh...pas facile de trouver un confesseur !
Entre l'abbé Bourgeois, et l'abbé Grosfoutu...des abbés qu'on n'a pas du tout envie de rester enfermée avec eux dans un confessionnal sous peine de devoir passer sa vie à se confesser...
Bref, celui là, il aime pas les femmes apparemment.
Donc, rien à craindre.
Pas de danger. C'est mieux pour ne pas allonger ma liste.
Enfin, ma liste !
Elle est pas bien longue.
Pourtant, ce sont deux vrais péchés que j'ai là à avouer. Deux bien vrais.
Le premier, il date de quelques jours...j'ai menti cette semaine.
Dans un courrier.
Je ne m'étalerai pas sur la question. J'ai menti, un point c'est tout.
Peut importe le mensonge. Gros ou petit. C'est mentir et ce n'est pas beau.
Bon, le deuxième.
Voilà.
C'est assez grave.
C'est une chose, père Borel, que je n'avais jamais faite auparavant. Enfin...
La première fois depuis des décennies parce que ça m'est arrivé... avec une souris... il y a longtemps!
J'avais 7 ou 8 ans.
En chocolat qu'elle était la souris. Et avec du caramel dedans.
A la supérette du coin.
Je l'ai enfournée dans ma poche, vite fait bien fait.
Remarquez, j'ai mis bien longtemps à la digérer puisque je n'ai jamais recommencé.
Sauf...il y a quelques jours.
Pas avec une souris. Ni rien qui se mange d'ailleurs.
Mais quelque chose qui se dévore.
Si bon que je n'ai pas pu m'en empêcher.
Oh, déjà passé entre d'autres mains. Vieux même.
Et plutôt en mauvais état.
D'occasion.
Tout rouge qu'il est! Et drôle!
Je l'aime tant que je le prends dans mon lit. Et que je m'endors avec.
Il s'appelle...Alphonse.
Si, je vous jure !
Pardon mon père... c'est vrai, il ne faut pas jurer.
Mais non, ce n'est pas l' Alphonse d'Izarra...N'importe quoi! D'ailleurs mon père, comment connaissez vous l'Alphonse d'Izarra ?
Sans vouloir vous offenser, vous avez de drôles de lectures.
C'est pour vous tenir au courant de certaines pratiques ? Ah, d'accord!
Oui, je reviens à mon Alphonse.
J'avoue tout, allez! enfin, allez, non, Allais.
Alphonse Allais qu'il s'appelle.
Un vieux bouquin de lui que j'ai piqué, volé, dérobé. Et que je ne rendrai jamais. Il me fait mourir de plaisir...de rire !
Si, à l'étalage d'un chineur...
Je deviens complétement cinglée. Voleuse à mon âge !
Remarquez qu'il aurait peut être fini au pilon ou à la poubelle alors, je me dis que j'ai bien fait...mais, même s'il s'agit là d'un tout petit larcin sans conséquence, j'ai péché mon père...j'ai volé !
Ma fille,
Pour votre pénitence vous irez à la pêche à la ligne avec moi dimanche.
Je vous montrerai un gros poisson. Le poisson du dimanche.
Mais chut ! Ce sera notre secret à nous...
Père Borel
Enregistrer un commentaire