Patatin, fermier de son état, aimait sa femme Adèle comme un gougnafier qu'il était, laquelle le lui rendait bien mal : elle, était une grande romantique, une belle âme, une parisienne élégante en quête de raffinements du coeur. Qu'était-elle venu patauger dans la fange quotidienne de ce rustaud ? Tous au village se l'étaient toujours demandé... Élevé chez les porcs, Patatin affectionnait leur compagnie, négligeant sans complexe celle de ses semblables. Les porteuses de dentelles n'étaient pour lui que des dépensières qu'il fallait corriger et, accessoirement, abreuver d'eau claire, nourrir d'avoine, atteler à la charrue.
Patatin ne frappait pas sa femme. Mais il ne l'habillait pas, ne la sortait pas, ni ne la cajolait. Il usait pour lui parler du même langage qu'envers son bétail. Il la hélait comme une vache laitière lorsqu'il était en rut, tapait du poing sur la table quand elle parlait poésie, la sifflait à l'heure de manger. En outre, le dimanche matin au lieu de lui apporter au lit des croissants chauds et du café autrichien, il lui faisait curer les étables, car le dimanche était jour de fumier.
L'affaire était sérieuse pour Patatin. Pour rien au monde il n'aurait manqué à ce rituel dominical : pendant que sa femme s'affairait à remplir des brouettées de fumier de six heures à midi, lui dégustait des pommes cuites arrosés de Calvados. Elle avait droit à une pause qu'il calculait à la seconde près, chronomètre en main, afin qu'entre deux étables elle pût satisfaire aux nécessités naturelles. Lui, pendant ce temps saupoudrait les pommes dorant au four de cannelle tropicale.
La corvée finie, exténuée, couverte de fumier, Adèle devait encore préparer le repas du midi pendant que Patatin allait inspecter les étables, racontant ses rêves de la nuit à ses vaches qui bousaient avec placidité.
Ainsi en allait-il de la vie de Patatin.
Mais, lassé des manières mondaines de sa femme, il finit par demander le divorce. Il obtint gain de cause et reçu de son ex-épouse une pension alimentaire qui lui permit d'aller jouer toutes les semaines au casino et de gagner une grosse somme qu'il utilisa pour s'agrandir. Il acheta des terres, construisit d'autres étables, grossit son cheptel. Il devint important dans la région. Riche, respecté de ses pairs, il épousa la fille de la châtelaine qu'il engrossa le jour-même des noces. Le fruit de la saillie fut laid et contrefait. Et fort sot. N'importe ! Il devait hériter de la ferme, des étables, du bétail, des terres, de toutes les terres acquises par le fermier...
Ce qui, définitivement, gonflait d'orgueil Patatin.
Le fils n'hérita point : il mourut à l'âge de douze ans, foudroyé par une leucémie aiguë qui laissa Patatin sans voix mais non sans ressources : il se consola en engrossant une nouvelle fois sa seconde femme. Mais celle-ci mourut avant même d'enfanter. D'une indigestion de cerises.
C'était en début juillet. Patatin dut finir seul la récolte des cerises à la hâte avant l'enterrement, ce qui l'irrita quelque peu, lui qui avait mis toute sa confiance dans sa femme. Pour finir, le jour des funérailles de son épouse, ayant failli se rompre les os en glissant sur la dalle humide du caveau, il se jura de ne plus jamais prendre femme.
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