Je n’aime ni glorifier les guerres ni déifier ceux qui les font, qu’ils soient vainqueurs ou perdants, coupables ou victimes, méprisables ou héroïques.
Je ne voue aucun culte martial et suis plus prompt à dénoncer les méfaits guerriers qu'à célébrer leurs ignobles artifices.
Je trouve tristes et lamentables les monuments aux morts.
Cependant, voyez-vous, je prends le temps d’aller y lire les noms des soldats de la “14” sur les places de nos villages. Et je m’attarde plus volontiers sur les listes des morts gravées sur les plaques commémoratives se ternissant dans le calme des églises et l’indifférence des réalités modernes.
Car même si je méprise les conflits et leurs complices humbles ou puissants qui de gré ou de force y participent, il y a des choses que je respecte et devant lesquelles je préfère me recueillir en laissant de côté mes combats intérieurs : des souffrances oubliées, dans des batailles gagnées ou déshonorées peu importe, événements essentiels qui je crois méritent des prières au lieu d’outrages, que ce soit ici chez nous en France ou là-bas chez ceux qui furent nos ennemis, sur Terre où brille le soleil comme partout ailleurs s’il le fallait.
Je lis consciencieusement chaque prénom. Emile... Auguste... Octave... Firmin... Des enfants d'un passé désuet, d’un siècle révolu, d’un autre âge que le nôtre mais de la même humanité pourtant. Des hommes qui grandirent en pleine lumière, à vingt ans s’enflammèrent pour une première conquête amoureuse, pour certains pleurèrent de l’avoir bientôt perdue, puis les hostilités venant, tremblèrent sous la mitraille, espérèrent sous les étoiles, enfin tombèrent.
Avec pour pensée ultime le visage de l’aimée. Alors le mot final de ces pauvres combattants n’était qu’un cri d’amour. Parfois des jurons signaient leur dernier souffle, à l’image de ces affrontements sanguinaires : baroques, absurdes, exaltants, hideux. Beaucoup appelaient leur mère parce qu'ils étaient encore jeunes ces Eugène, ces Emile, ces Octave...
Ou bien s’éteignirent sans bruit avec d’autres secrets dans le coeur, nul ne saura lesquels.
Et moi en me figurant tout cela face à ces marbres du souvenir gisant dans la pénombre des chapelles dont j’égrène les patronymes, je songe à ces destins emportés par les feux de Mars, dévorés par l'Histoire... Devant ces sacrifiés de la Grande Guerre, au pied de ces Octave, de ces Emile, de ces Eugène tués il y a certes cent années mais pourtant si proches dans nos mémoires, je m'agenouille.
Et je pleure. Et je prononce à voix basse les lettres sacrées, sculptées pour l'éternité : Auguste, Octave, Louis, Firmin, Ernest, tous ces appelés perforés par le fer des obus, ensevelis dans les tranchées, ces baptisés évoquant une époque démodée qui trônent dans la poussière de nos sanctuaires, à l'ombre de nos clochers, dans les salles de nos mairies, ces identités immortalisées dans la pierre qui résonnent comme autant de clameurs dans le silence et qui ne sont que des plaies dans ce monde que nous voulions de paix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire