Se faire inviter chez un pingre à l’occasion du réveillon du jour de l’an
est une aventure aussi insolite que contradictoire : l’avaricieux, par
nature, ne reçoit habituellement personne avec qui partager sa maigre
pitance.
Une fois n’étant pas coutume, cette année j’ai été exceptionnellement
l’hôte d’un champion de l’économie. Et pour une bonne raison d’ailleurs : ce
solitaire voulait s’acheter un ami à bon compte.
Je fus donc la cible de ses flèches calculées. Mais surtout,
scrupuleusement comptées...
La réception a été d’emblée très riche, nourrissante, copieuse, je dois le
reconnaître.
En paroles d’accueil, moultes courbettes et autres gesticulations destinées
à brasser du vent.
Ce dernier ne coûtant rien, c’est important de le rappeler.
Une table imposante avec nappe blanche et couverts rutilants
m’attendaient. Mon bienfaiteur avait dressé pour moi un authentique autel
dédié à la gastronomie.
Garni de promesses.
Evidemment non tenues... Toutefois les mets essentiels étaient inattendus.
Au menu : eau du ciel à satiété, ivresse de l’abstinence et air pur en
abondance.
Un repas sain en tout cas. Agrémenté d’un vin rare au prix imbattable
puisqu’il consistait, on l’aura compris, en plusieurs litres de récolte de
pluie... Qui a l’aubaine de s’abreuver de nuages, de nos jours ? J’ai eu ce
privilège.
Plus concrètement et accessoirement, en entrée j’ai pu savourer une soupe
aux arides légumes. Claire avec peu de saveurs certes, mais rendue
ample, épaisse et bourrative grâce à l’ajout judicieux de pains recyclés... Rien
de mieux que le bouillon fumeux pour ramollir les vieux croûtons !
Pour le plat de résistance j’ai eu droit à une patate.
Une seule. Néanmoins énorme. Sans rien avec. De quoi réduire
avantageusement l’appétit pour le reste des agapes. Pas d’excés, rien de
plus excellent pour la santé !
Justement la suite fut plus légère pour ma digestion : “salade de pissenlit
dans sa rosée”.
Une recette fort ingénieuse inventée par mon compagnon de
fête dont le principe est de réduire ladite recette au strict minimum.
Remplacer le mince filet d’huile ordinairement versé sur le
végétal (qu’on peut se procurer gratuitement et en grande quantité au bord des
chemins), qui précisément parce qu’il est ténu en deviendra parfaitement
superflu, par de la simple humidité. Au final, pour l’invité le résultat sera le
même : l’herbe aura un goût de verdure. Par conséquent, pourquoi gaspiller une
once de matière grasse que les papilles ne percevront de toute façon pas, quand
on peut mettre quelques gouttes de fraîcheur à la place ?
Au dessert mon estomac salubrement éprouvé n’en pouvait déjà
plus. Cependant j’ai quand même fait honneur aux pommes. Menues et fort aigres.
Servies avec une somptueuse et princière attitude de générosité, même si
l’attitude de générosité ne se mange pas. Fruits âpres il est vrai, mais
abondants, vraisemblablement issus de l’arbre rachitique aperçu en arrivant chez
mon noceur...
Bref, j’ai passé une belle soirée éclairée à la lueur naturelle, c’est à
dire par le reflet de la Lune, dans le louable souci du maître de la demeure
d’épargner la vie de sa chandelle.
Il n’a pas gagné mon coeur pour autant. Cela dit, j’ai apprécié son sens
aigu de la sobriété.
C’est pourquoi, à mon tour, je n’inviterai désormais que
des buveurs de mots et mangeurs de mou chez moi.
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1 commentaire:
J ai une insatiable soif de mots bien ecrits. Delicieux . Un vrai festin litteraire.
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