C'était un vieux garçon enterré vivant dans une petite ville végétative du fin fond de la Sarthe. Un authentique rescapé du monde moderne. Chez lui ça puait le chien, les placards pleins de poussière et d'habits définitivement démodés. Odeurs de vieillot et de renfermé. Une ambiance mortelle émanait de sa demeure.
Dans la salle de séjour, en réalité lieu de débarras éternellement sombre, encombré de boîtes en cartons, de reliques ineptes, de bibelots imbéciles, l'ennui régnait du matin au soir. Partout, des portraits jaunis du pape à tous les âges de son règne et diverses têtes d'autres pontifes antiques et oubliés... Quelques photos de la mère -sévère- (une dévote trépassée depuis plus de vingt ans), et surtout des calendriers religieux périmés dans le plus pur style sulpicien accumulés au fil des décennies. Et puis pour mieux alourdir la pièce, un papier peint à mourir.
Sur le téléviseur, dernier outrage au goût, témoignage de la crétinerie la plus crasse, vestige d'une existence entièrement vouée aux petitesses, une superbe vierge en plastique.
D'une blancheur morbide, barrée de bleu, délavée, couverte d'une fine couche noirâtre, elle trônait : toute l'âme de la maison s'incarnait là. Gâtée par le temps, pieusement immobile depuis trente ans, l'horreur bicolore avait étrenné plusieurs modèles de poste de télévision. Et lui de l'admirer benoîtement... Vieille cervelle apathique !
Je me retrouvais avec jubilation entre les murs mornes de ce demi taudis en compagnie de son hôte, aussi terne que sa bicoque. J'observais avec ravissement ce cas pathétique, ayant toujours raffolé "d'exotisme de proximité".
— Vous prendrez bien un petit café, hein ? Vous prendrez bien un petit café... Oui... Ha ben oui... C'est bon un café, surtout de ce temps là... Hein ? Ha ben oui alors...
(Puis, s'adressant au canidé : )
— Ben oui Sultan, je sais ben que tu veux un su-sucre... Ben oui Sultan ! Gentil hein... Il est-y pas beau mon chien-chien, hein ?
Il fallait le voir flatter son toutou comme un piteux sénile bavant d'admiration devant une ruine ! Et moi, mondain né loin de son univers étriqué, je le plaignais sans rien montrer, feignant l'attendrissement devant la complicité qui unissait le duo d'indéfectibles compagnons... Se rendait-il compte qu'il se donnait en spectacle, pitoyable avec ses minables joies du dimanche ? Le médor, un bâtard insignifiant et hargneux, me semblait aussi abruti que son maître. Deux créatures indigentes, la première à quatre pattes, la seconde à mobylette, lamentablement réunies pour un bonheur moisi.
Misère de la condition provinciale...
A chaque fois que je prenais congé de ce couple de débris ambulants -l'un puceau, l'autre puceux-, satisfait mais précautionneux, j'avais soin de me laver les mains, aussi dégoûté par le cabot que par le bigot.
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