En passant le portail rouillé du vieux cimetière, la petite troupe des endeuillés prit des allures charmantes et pittoresques. Le cheval trottinait dans l'allée étroite, ouvrant la marche à l'humble convoi mortuaire. Derrière lui, le corbillard bringuebalait mollement dans des grincements de bois sec. Il n'y avait que des vieilles croix rouillées couvertes de mousse dans ce petit cimetière de province. Des antiques tombes patinées par les lunes, les vents, les siècles. Certaines, très érodées, étaient devenues anonymes.
Le cortège funèbre était chamarré, hétéroclite, baroque. Il y avait une petite vieille, vive, avec des rides comme des sillons dans la terre, portant avec grande dignité une coiffe traditionnelle. A ses côtés, un homme corpulent arborant de superbes moustaches en virgules, tenant dans ses mains épaisses un petit chapeau anguleux avec des motifs écossais... Une mise d'une autre époque. Il y avait surtout des vieilles gens endimanchés : les bruits de cannes, les murmures grasseyants, les chants psalmodiés s'ajoutaient au joyeux concert de l'attelage.
On allait inhumer un pauvre diable.
La procession avait quelque chose de suranné, d'irréel, de fantasque. En fait ces funérailles étaient éminemment poétiques. Il y avait de la grâce dans cette escorte claudicante, une fraîcheur inattendue dans ce corbillard qui cahotait entre les tombes, de la beauté dans ces anciennes croix en fer forgé, vétustes, décrépites, mais toujours dressées.
A un moment donné de la cérémonie, au signe du prêtre l'assemblée fit le silence devant la sépulture. Il se passa alors une chose mystérieuse : on eût dit qu'à cet instant même, dans ce silence humble et solennel, l'Univers entier s'était ramassé. En ce lieu insignifiant il semblait que le Ciel était venu s'agenouiller, conviant tous ses anges pour accueillir le défunt. Ce fut juste une impression, fugace mais partagée.
L'assistance se dispersa sans mot dire. La vieille à la coiffe désuète s'en fut d'un pas alerte, la mine gaillarde. Le gros homme avec son air bon enfant lissa ses moustaches, remit son petit chapeau sur la tête. Les petits vieux firent cliqueter leur canne. Certains tirèrent sur leur pipe.
Ce fut un bel enterrement.
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