Elle se prénommait Mirabelle et n’avait
plus d’ailes.
Clouée dans un fauteuil roulant depuis
l’âge de dix-neuf ans, à quarante et un ans son unique ciel se
résumait à son écran d’ordinateur.
C’est là que je la rencontrai, dans
l’espace infini du NET, que l‘on prétend virtuel...
Elle cherchait l’immensité, je
rêvais d’océan. Le vent du hasard nous avait réunis.
Très vite je m’épris follement de
ce papillon privé d’azur, de cette ombre paralysée, de ce visage plein de brume.
Au fil de nos soirées, de clavier à
clavier, des mots interdits furent échangés et des flammes en sortirent.
Nos deux destins s’éclairaient. Nous
nous étions promis mille orages et autres tempêtes en voulant passer de la parole à l’acte, c’est à
dire du néant à la vie...
Cependant...
Une cause majeure me retenait. En
effet, la handicapée aux traits rebutants vivait déjà en couple. Je ne pouvais
décemment outrager cet hyménée consacré. Alors je
décidai, tout simplement, d'éteindre ce feu... Rompre l'indicible liaison.
L'aventure, sulfureuse, impie, éhontée, devenait dangereusement pure, vertueuse et sublime.
Je la quittai avant qu'il ne fût trop tard.
Mais aujourd'hui je pense toujours à sa face difforme. Et je lui adresse mes soupirs. Puisse-t-elle toutefois ne jamais recevoir ces flèches que je tire en l'air de peur de la déchirer...
Adieu Mirabelle, adieu ange laid, adieu
diablesse.
Adieu mon horizon intouchable.
Envole-toi très haut dans tes paysages
impalpables. Ferme les yeux et décolle de ta chaise roulante, mais
je t’en prie oublie-moi si cela t’est encore possible. Moi je ne
peux pas effacer ton profil tombal, je ne le peux plus : tu t’es posée sur moi
comme un oiseau sépulcral et j’ai perçu ta bouleversante disgrâce.
Et mon coeur s'est embrasé, faisant de ta détresse un centre d'intérêt morbide et ardent. Et
ma chair s'est enivrée de ta misère.
Mais surtout, j’ai ensuite senti
l'éclat de ton âme contre mon âme. Une blessure aussi douce qu'une caresse. Une brûlure en guise de vision céleste.
Le pire se produisit lorsque le rêve remplaça le désir !
L'amour idéal, en supplantant le profane appétit, forma pour nous le début de la vraie menace.
Va, pars loin de moi, de mes mots, de
mon image... Sillonne les clairs espaces à bord de ce delta-plane
qui, du fond de ta prison d’immobilité, te sert d’évasion. Là,
dans les hauteurs, ce sera plus facile pour toi de me perdre de
vue...
Ne te retourne plus sur mon nom, fais
comme si je n’avais jamais existé... Rejoins ta branche
initiale, ton conjoint t’y attend. Ne l’offense pas.
Tu n’aurais jamais dû t’échapper de ta cage pour venir jusqu’à
moi puisque notre fièvre est sacrilège.
Ne songe plus à moi, je suis
déjà reparti vers mon foyer légitime.
Je te destine un baiser de lumière, sombre Mirabelle.
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