Chère passagère,
Je n’ai pas osé vous adresser la parole tout à l’heure dans le train, je le fais ici. Même si je sais que ces mots ne vous parviendront jamais. Le Ciel les recevra peut-être pour vous, emportés par le vent. Ou par le silence.
Je vous ai vu arriver avec vos trois ivrognes de compagnons, prenant place tous les quatre sur les seuls sièges encore libres, juste à côté de moi. Une femme, vieille bourgeoise effarouchée, a changé de banquette. Au début moi aussi je craignais un peu la proximité de cette troupe de va-nu-pieds que vous étiez. Vous fumiez ensemble dans ce compartiment non-fumeur, vos deux chiens galeux se cachaient sous les fauteuils mais surtout, surtout vos allures bohèmes m’effrayaient.
On n’entendait plus que ce quatuor de braillards dans le wagon. Ce dernier vous emmenait à Laval. Là-bas ou ailleurs... Quelle importance pour vous, me semblait-il ? Très vite je vous trouvais amusants, folkloriques en dépit de la peine que me faisaient deux d’entre vous, ravagés par l’alcool.
Je devinais qu’aucun de vous n’avait de billet. Tout le monde dans la voiture le devinait. Vous n’aviez pas des têtes à voyager avec des titres de transport. Vous étiez des espèces de SDF, un groupe de squatters d'humeur légère, de fous enfants de Bohème.
Bruyants et joyeux.
Cette bande pittoresque formant un orchestre de voix cacophoniques éveillait toutes les attentions. Les voyageurs assistaient au spectacle que donnait cette triade d'hommes éméchés que complétait la jeune fille. Et pour ma plus grande gêne, j’avais la jeune fille en face de moi.
Je n’ai pas osé vous adresser la parole tout à l’heure dans le train, je le fais ici. Même si je sais que ces mots ne vous parviendront jamais. Le Ciel les recevra peut-être pour vous, emportés par le vent. Ou par le silence.
Je vous ai vu arriver avec vos trois ivrognes de compagnons, prenant place tous les quatre sur les seuls sièges encore libres, juste à côté de moi. Une femme, vieille bourgeoise effarouchée, a changé de banquette. Au début moi aussi je craignais un peu la proximité de cette troupe de va-nu-pieds que vous étiez. Vous fumiez ensemble dans ce compartiment non-fumeur, vos deux chiens galeux se cachaient sous les fauteuils mais surtout, surtout vos allures bohèmes m’effrayaient.
On n’entendait plus que ce quatuor de braillards dans le wagon. Ce dernier vous emmenait à Laval. Là-bas ou ailleurs... Quelle importance pour vous, me semblait-il ? Très vite je vous trouvais amusants, folkloriques en dépit de la peine que me faisaient deux d’entre vous, ravagés par l’alcool.
Je devinais qu’aucun de vous n’avait de billet. Tout le monde dans la voiture le devinait. Vous n’aviez pas des têtes à voyager avec des titres de transport. Vous étiez des espèces de SDF, un groupe de squatters d'humeur légère, de fous enfants de Bohème.
Bruyants et joyeux.
Cette bande pittoresque formant un orchestre de voix cacophoniques éveillait toutes les attentions. Les voyageurs assistaient au spectacle que donnait cette triade d'hommes éméchés que complétait la jeune fille. Et pour ma plus grande gêne, j’avais la jeune fille en face de moi.
Cette passagère, c’était vous.
Nous avons croisé nos regards. Vous étiez émouvante avec vos aspérités de gaillarde. Vous aviez les traits durs, ambigus, le front à la fois rude et doux. J’aurais voulu engager la conversation avec vous, mais un reste de bienséance m’interdisait de discuter avec vous. C’est ridicule, mais j’ai de l’éducation.
Attentif aux propos de soûlards que vous échangiez avec votre trio de complices, je ne loupais rien de votre drôle d'éloquence tant votre langage était cru ! Quand vous parliez, je voyais une rose qui crachait du fumier. Un vrai charretier en robe blanche. Une canaille avec une figure d’ange. Mais quand vous n'ouvriez pas la bouche, l’enchantement m'envahissait. Avec vos yeux pleins de braise et de rocailles, votre dégaine d'épouvantail, vos rires d'apache, vos plumes d’oiseau sauvage, votre charme d’androgyne, je vous imaginais princesse au royaume des garçons manqués.
Quel contraste entre vos manières grossières, votre vocabulaire infâme, les pauvres bougres qui vous accompagnaient et la délicatesse de votre physionomie, l’angélisme de vos lignes, la lumière de votre face ! Vos ailes d'ivoire mêlées de vase avaient des grâces vénéneuses : la vaurienne assise devant moi enflammait mon âme.
Avez-vous lu ce trouble en moi ? Me perdre dans votre paysage constituait un étrange supplice, entre peur et ravissement. Ces braises permanentes dans vos prunelles devenaient mon plus cher enfer.
Le diable se montrait irrésistible.
Vous étiez pareille à la bourrasque, la brume et la pierre : la douceur de votre visage se mêlant à cet air si farouche soulignait votre âpre finesse. Et vous étiez belle comme la tempête, la grêle et les cailloux. Admirable, ainsi qu’une Vénus fine taillée dans un roc grossier.
Vous donniez du « monsieur » pour me demander si la fumée de votre cigarette ne me dérangeait pas. Sans surprise, je vous ai répondu que non. Alors que si... Et puis je vous ai souri, policé. L'omnibus s’est arrêté avant Laval, je suis descendu.
Je n’oublierai jamais ce cygne insolent rencontré en chemin de fer, escorté de ce tiercé perdant de lascars au vol ras. Adieu, volatiles de malheur.
Nous avons croisé nos regards. Vous étiez émouvante avec vos aspérités de gaillarde. Vous aviez les traits durs, ambigus, le front à la fois rude et doux. J’aurais voulu engager la conversation avec vous, mais un reste de bienséance m’interdisait de discuter avec vous. C’est ridicule, mais j’ai de l’éducation.
Attentif aux propos de soûlards que vous échangiez avec votre trio de complices, je ne loupais rien de votre drôle d'éloquence tant votre langage était cru ! Quand vous parliez, je voyais une rose qui crachait du fumier. Un vrai charretier en robe blanche. Une canaille avec une figure d’ange. Mais quand vous n'ouvriez pas la bouche, l’enchantement m'envahissait. Avec vos yeux pleins de braise et de rocailles, votre dégaine d'épouvantail, vos rires d'apache, vos plumes d’oiseau sauvage, votre charme d’androgyne, je vous imaginais princesse au royaume des garçons manqués.
Quel contraste entre vos manières grossières, votre vocabulaire infâme, les pauvres bougres qui vous accompagnaient et la délicatesse de votre physionomie, l’angélisme de vos lignes, la lumière de votre face ! Vos ailes d'ivoire mêlées de vase avaient des grâces vénéneuses : la vaurienne assise devant moi enflammait mon âme.
Avez-vous lu ce trouble en moi ? Me perdre dans votre paysage constituait un étrange supplice, entre peur et ravissement. Ces braises permanentes dans vos prunelles devenaient mon plus cher enfer.
Le diable se montrait irrésistible.
Vous étiez pareille à la bourrasque, la brume et la pierre : la douceur de votre visage se mêlant à cet air si farouche soulignait votre âpre finesse. Et vous étiez belle comme la tempête, la grêle et les cailloux. Admirable, ainsi qu’une Vénus fine taillée dans un roc grossier.
Vous donniez du « monsieur » pour me demander si la fumée de votre cigarette ne me dérangeait pas. Sans surprise, je vous ai répondu que non. Alors que si... Et puis je vous ai souri, policé. L'omnibus s’est arrêté avant Laval, je suis descendu.
Je n’oublierai jamais ce cygne insolent rencontré en chemin de fer, escorté de ce tiercé perdant de lascars au vol ras. Adieu, volatiles de malheur.
Adieu, la vagabonde.
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