Monsieur,
Sachons entendre avec intelligence, probité et sens de la mesure les belles idées qui nous ont été enseignées. Nous sommes de fine extraction vous et moi. Sachons nous représenter cependant l'infinie bassesse de ceux qui, pour leur malheur et pour notre bonheur, ne nous ressemblent pas. Je veux désigner bien entendu ces masses laborieuses issues de si peu de sang. Enfants du peuple et héritiers de rien, pour me résumer.
Que nous apprend l'éducation ? Elle nous dit, entre autres évangiles, qu'il est malséant pour un homme de goût soucieux de cultiver sa réputation, de préserver sa santé et de sauver son honneur d'user de la chair femelle à des fins malhonnêtes. Cela est une vérité universellement admise, il est vrai. Mais ce que ne précisent pas ces sages dogmes, c'est qu'il existe deux races de gibier sur Terre. Deux sortes d'animaux radicalement différents.
Les uns en semelles fines et jupons, les autres en guenilles et sabots.
En effet, dans cette société harmonieuse qui semble avoir été spécialement conçue pour nous les élus à dentelles, il y a à notre disposition les simples pucelles sans envergure, sans titre et sans fortune communément appelées servantes, domestique, ou lingères, bonniches, souillons, bonnes à tout faire ou encore filles de ferme, comme vous voudrez. La définition exacte importe peu ici.
Et puis pour notre admiration, notre chaste inspiration et l'exercice de nos jolies manières, il y a les autres : les Marquises, les Demoiselles de respectable famille, les vierges à particule, les Comtesses, etc. Ces femmes que j'appellerais commodément «l'espèce à peau laiteuse».
Sachez qu'il ne saurait y avoir vice pour des beaux esprits de notre rang à vouloir s'ébaudir avec la première catégorie de ces créatures. Engrosser par mégarde ces paysannes, ces pauvresses, ces âmes simples et sans religion, ces frustres sensibilités, ces couturières sans avenir, ces représentantes de la vile classe enfin (et d'ailleurs vouée aux oubliettes de l'Histoire), ne constitue pas en soi une faute. Sauf bien sûr si le châtelain met en danger sa santé, ce qui en revanche serait un grave et véritable péché car on ne doit pas mettre inconsidérément en péril son hygiène de chrétien sous prétexte de passager égarement.
Au passage je me permets une petite digression : on ne mettra jamais assez en garde les êtres des sommets que nous incarnons contre ces risques des abîmes, qui sont réels. Au cas où la servante présenterait une menace pour son employeur, soit par manque de propreté, soit par négligence des politesses à adopter face aux ardeurs de son seigneur (ce qui est fréquent chez ces rustiques), celle-ci sera jetée à la rue sur-le-champ, sans autre forme de procès. Et sans dédommagement cela va sans dire, car il serait inconcevable qu’une lingère réclamât à son maître !
Bref, sachez que la gent agreste a été mise sur Terre pour contenter les menues envies des princes que nous sommes. Quant aux porteuses de soie qui ont eu le bon goût d'hériter d'une particule, celles-là sont nées pour qu'on leur rende hommage de la façon la plus élégante, la plus délicate et la plus généreuse qui soit. Ce qui est dans l'ordre normal des choses, vous en conviendrez.
Donc on ne s'amusera point contre leur gré avec les Pompadour, les jouvencelles d'auguste naissance, les pensionnaires des couvents, les conjointes de bourgeois, etc. Le monde étant bien fait, rappelons-nous que pour ce genre de passe-temps sans conséquence mais, paraît-il, impérieux pour nous les gens du noble sexe, il y a à notre disposition un inépuisable réservoir à plaisirs. En effet, les donzelles de basse origine pullulent, abondent, et l'on ne parvient même pas à les dénombrer tant elles infectent le pays.
Pour nous les hôtes de châteaux, il n'y a point de mal à vouloir étudier l'anatomie des soubrettes. D'autant moins que ces dernières sont normalement à notre service, et qu'elles sont donc payées pour cela. L'argent donnant tous les droits à celui qui le possède, et les rustaudes n'ayant de par leur condition ni l'un ni l'autre (ni écu ni droit), il est naturel et légitime que l'heureux fortuné fasse pleinement usage de son personnel. C'est même fortement recommandé pour les pauvres époux souffrant de ces passions inavouables que ne sauraient chrétiennement satisfaire leurs honnêtes épouses...
Dès lors que le rentier rétribue les offices de sa larbine, il a le droit d'en disposer comme il l'entend.
Donc, vous pouvez profiter de votre ménagère tout votre saoul Monsieur, il ne saurait y avoir sacrilège (sauf si, je vous le rappelle, celle-ci vous corrompt avec une méchante maladie, en ce cas vous n'omettriez pas de la châtier sévèrement). Vous pourrez ensuite continuer d'aller à l'église le dimanche la tête haute, votre dame pendue à votre bras, avec la considération de l'évêque, qui lui aussi, de par son éminente fonction, dispose d'une chambrière.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire