Je me délectais en la voyant passer sous ma fenêtre : sa laideur était un vrai spectacle. J'avais sur cette guenuche le regard féroce et cynique du collectionneur blasé. La beauté ayant fini par me rendre indifférent, il me fallait un autre passe-temps pour satisfaire mes sens émoussés.
Je ne manquais aucune occasion de faire battre mon coeur carnassier sur le dos de cette vilaine bossue. Précisons que cette gueuse, non contente d'être incroyablement stupide, se montrait foncièrement méchante, ce qui me dédouanait complaisamment. La disgrâce s'affichait sur son front et le vice se lisait dans ses yeux. Les rires de loup que je lui destinais, moi seul pouvait les savourer. Oisif insolent et dandy rompu aux jeux mondains, j'avais besoin d'exotisme, de piment pour mon âme en quête de nouvelles ivresses.
Discrètement je l'observais aller et venir sous mes carreaux avec sa bosse entre les épaules. A travers les rideaux de soie qui me préservaient de la vulgarité du dehors, la sorcière paraissait comme un suaire : affreuse et morbide. Maquillée de manière outrageuse, une cigarette entre les lèvres, l'infâme bête semblait plus laide que jamais. Sa toilette crapuleuse trahissait des moeurs éhontées. Je l'entendais maudire les hommes, les femmes et les chiens errants.
La scélérate insultait, crachait, aboyait.
Entouré des lambris recherchés de ma demeure, la contemplation de son visage ingrat me comblait de satisfaction. Cette femelle déchue réunissait en elle toutes les infirmités humaines : c'était un chef-d'oeuvre de désolation, un troublant champ de bataille après le combat.
J'appréciais le charme ambigu de cette ruine.
La défaite, l'ombre et l'abîme peuvent être choses émouvantes, belles à mettre en scène sous forme de musique, de mots, d'images... L'évocation de la mort n'est-elle pas exquise lorsque le musicien en fait un requiem ? La misère n'inspire-t-elle point les artistes ? Le "Radeau de la Méduse" peint par Géricault finirait de convaincre mes détracteurs, si j'en avais encore. De même la tristesse élève l'archet du violoniste mieux que ne saurait le faire la plus sincère allégresse.
J'avais trouvé là la muse hideuse idéale, le sombre diamant permettant d'aviver ma flamme d'esthète. Et je chantais à n'en plus finir sa déchéance, sa sottise et ses corruptions…
Et mon chant de sybarite se transformait en un orage d'éclats esthétiques de toutes sortes.
Il prenait les aspects brillants de mes impitoyables sommets. Railleries tranchantes et quolibets de choix, sarcasmes subtils et flèches acérées jaillissaient follement de mon esprit flamboyant... Un mélange capiteux d'acidité et de poudre à canon.
La vue de cette horrible crapaude provoquait en moi un véritable feu d'artifice.
Tout cela était joyeux, cruel et délicieusement explosif...
Un divertissement de prince, en somme.
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