Mademoiselle,
Cette missive vous étonnera. Elle vous choquera peut-être, vous irritera possiblement, vous ôtera sans doute le sommeil. Ce que je souhaite surtout, c'est qu'elle vous fasse pleurer. Soit à cause de son inutile cruauté, soit pour la joie qu'elle saura inspirer à votre âme délaissée. Ce qui revient au même, le prix de vos sanglots n'étant pas différent pour la flèche de l'aveugle Cupidon ou pour l'éprouvette du distingué, calculateur, aimable corrupteur que je suis. Que votre chagrin soit amer ou bien doux, aucune importance, pourvu que l'Amour en soit la cause.
La façon d'extraire vos larmes futures importe peu. Le résultat seul compte, non les moyens déployés pour les obtenir. Finalement cette lettre vous agréera : étant laide vous ne devez pas avoir l'habitude de recevoir de la prose aussi enflammée.
Votre disgrâce est loin de me déplaire. Sincère soupirant, je n'hésite pas pour vous mieux séduire à faire fi des moindres lâchetés, hypocrisies, vilenies et mensonges si coutumiers aux vils et ordinaires séducteurs. Je ne suis certes point de cette espèce commune. Ma quête est plus digne : je flatte votre imperfection non dans le but d'entretenir ma mâle vigueur (ce qui serait un simple, banal, peu glorieux exercice amoureux de routine), mais dans le but de gagner votre coeur, votre hymen, votre main, envisagés comme de véritables trophées.
J'ai la prétention de faire de ces conquêtes si peu enviées une espèce d'exploit dont je me glorifierai. L'infortune des femmes en ce monde étant une chose fort peu cotée chez les dandys, pour ma gloire, et accessoirement pour la vôtre, je brûle d'être un don Juan maudit.
Je cherche à briller parmi les astres citadins grâce à la terne étoile que vous êtes. Soyez ma curiosité mondaine, mon nouvel objet de snobisme, mon sujet de scandale, mon triomphe de salon, mon faire-valoir paradoxal : soyez à moi. Je ne vous trouve vraiment pas belle. Mes mots ne sont nullement mensongers puisque adorable vous ne l'êtes assurément, irrémédiablement pas.
Je ne vous admire certes pas pour votre éclat, celui-ci vous faisant définitivement défaut. Je vous apprécie bien plutôt pour votre misère, qui elle est réelle, authentique, évidente.
Presque insolente.
Cette permanente verrue est votre durable parure, votre fard naturel, votre habit de sortie, votre indélébile grimage qui vous interdit tout espoir d'être désirée. Voilà précisément un motif de vous chérir. Je veux être votre étrange accident, la bizarrerie qui fera mentir le sort, l'anomalie terrestre qui rendra perplexe le Ciel. En pur esthète, je rêve de vous contempler dans votre pure laideur.
Soupirez maintenant, de peine ou de délice, mais de grâce versez vos pleurs en mon nom puisque vous vous savez enfin aimée. Non pour votre beauté absente, mais pour votre flétrissure omniprésente.
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