Une pucelle perverse tentait vainement de séduire un bossu vertueux. Elle le harcelait de ses charmes, elle qui était jeune et belle. Lui se complaisait dans le jeûne, l'abstinence, la prière. Non content d'avoir une bosse sur le dos, le vieil homme contrefait grimaçait comme un singe du matin au soir. Il avait les yeux globuleux à souhait, la voix rocailleuse et les doigts osseux. Et pour couronner le tout, il chiquait comme un hérétique. Inutile de préciser que sa chique le faisait baver comme un boeuf. Une sorte de liquide jaunâtre et épicé suintait de ses lèvres pour se répandre et s'incruster le long de sa chemise crasseuse. La chique était d'ailleurs sa seule faiblesse. En dehors de ça, c'était un vrai moine.
Un jour la belle, lasse de se voir si longtemps tenue en échec par le vieil ascète entreprit de déployer les grands moyens. Elle vint frapper à la porte du bossu en tenue légère. D'habitude elle lui faisait des propositions indécentes en chapeau de paille ou en crinoline. Là, elle n'était vêtue que de voiles transparentes et de dentelles cousues d'or fin. Autant dire qu'elle ne dissimulait rien de ses appas. Mais le vieux, au lieu de sa chair femelle ne voyait que la richesse de ses atours. La pucelle portait la toilette d'une fille de la ville, et c'est cela surtout qui éblouissait le bossu.
Dédaignant la cuisse et le tétin, il écarquillait les yeux devant l'étalage de ces apparats textiles. Il regardait les voiles de la pucelle comme un fripier jauge la qualité d'un tissu. Tant et si bien qu'il lui proposa de les lui acheter. Précisons pour comprendre la finesse de cette histoire que le bossu était un ancien tailleur, et que par conséquent il s'y connaissait en matière de broderie. Et aussi en affaires.
C'est ainsi que la pucelle sortit de chez le bossu toute nue, les mains pleines d'écus. La rumeur fit du bossu un Casanova et de la pucelle une voleuse.
En vérité le bossu vertueux avait tout simplement fait une bonne affaire en revendant à prix d'or les voiles et les dentelles au Diable (qui comme on le sait collectionne les souliers et les rubans des vierges débauchées), tandis que la pucelle perverse avait accepté de prendre froid contre une poignée de finances.
La réalité est aussi simple que cela.
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