Avec sa voix d'ange, il troublait les deux sexes. Créature énigmatique au charme androgyne, le castrat était entouré de prétendantes toutes plus ravissantes les unes que les autres. Une seule cependant avait retenu son attention, pour qui il éprouvait les mêmes feux. Amputé de sa partie profonde, il n'en aimait que plus passionnément cette femme : l'organe vital qu'il sentait battre dans sa poitrine était entier, lui. N'était-ce pas l'essentiel ?
Cette affection exempte de corruptions charnelles l'enivrait et le chagrinait tout à la fois. L'amante quant à elle était éprise de pudeur, de sommets, d'idéal, folle enfin de cet eunuque à la gorge d'oiseau qui incarnait ses plus chères aspirations amoureuses... Leur hyménée asexué était beau et tragique, pitoyable et sublime. Le sopraniste avait remplacé son mâle argument par un céleste substitut, consolateur et exquisément éthéréen. Son chant de flûte valait la plus flatteuse des vigueurs, au moins auprès de la gent raffinée.
Émotions supérieures, pureté du coeur, élévation de l'âme liaient les deux fiancés dans leur ascension sentimentale. Leur union chaste était une oeuvre d'art dédiée à la Musique, à la Beauté, à la Poésie. Envié, admiré, jalousé de tous, le couple passait des nuits exaltées et brillantes où l'Art présidait à leurs émois esthètes et vertueux.
L'amant au timbre séraphique souffrait toutefois de ne posséder que son attribut sonore pour toute séduction. Ornement suprême à la portée des initiées et des courtisanes parmi les plus estimables, lui conférant gloire et prestige certes, mais signature irréparable de sa masculine déchéance. Le sacrifice était magnifique... Et cruel. N'était-ce pas ce qui en faisait le prix ?
Hôte des princes, statue vivante affranchie des pesanteurs de ce monde, le demi-homme était traité comme un demi-dieu. Las ! Le baume de la renommée ne parvenait pas à l'apaiser.
Conscient de ses hauteurs comme de ses limites, l'émasculé aspirait à des ivresses qui eussent pu contenter les féminines ardeurs, des plus nobles aux plus triviales, des plus légères aux plus profondes. Il se languissait de ne pouvoir se ranger sous les lois naturelles de l'amour. Alors que tous louaient sa particularité vocale et que, porté par la grâce, il échappait au commun, sa condition quasi angélique lui était devenue odieuse. A l'abri des misères de la chair, il n'en était pas moins privé de ses éclats.
S'épanchant vers l'élue, celle-ci ne pouvait que recueillir ses larmes d'orphelin, émue par ce jeune chêne à qui l'on avait ôté la sève. Privé de sa virilité, l'éploré était bouleversant dans les bras de la belle : doucement, tout doucement avec son souffle d'enfant, il sanglotait, sanglotait dans le giron de l'aimée...
Et c'est là que, blessé, inconsolable et pathétique, le roseau faisait entendre sa prière la plus poignante.
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