Madame,
Si j'ai l'âme en joie, je n'ai point le cœur à rire pour autant.
La situation est bien trop grave. Votre compagnon revient donc demain de l'hôpital ? Soit. Vous feindrez l'honnêteté, la loyauté et la fidélité en sa présence. Mais dès qu'il aura le dos tourné, vous vous ferez un devoir de rendre gloire au souvenir de ma tête. Vous servirez avec zèle votre nouveau maître. Vous le louerez, le chanterez, l'adorerez tout en conservant des dehors sages, vertueux, honorables. Vous ferez cela pour moi Madame. Quant à vos chers petits, mettez-les en pension, placez-les chez une méchante vieille, envoyez-les dans une école militaire ou que sais-je encore ? Mais chassez-les de notre vie car je n'aime pas les enfants.
Par ailleurs sachez donc que j'ai une si haute estime de ma digne personne que je ne saurais souffrir une quelconque descendance, une espèce de prolongement de mon sang hors de moi-même. J'ai l'impérieux souci de l'unicité. Pour ma splendeur je veux demeurer Raphaël Zacharie de IZARRA et garder pour moi seul mes traits de caractère. Je n'ai nul besoin de me contempler à travers mes oeuvres pouponnières, un simple miroir renvoyant ma propre image me suffit. Je ne suis pas un vil reproducteur. Ma mission sur cette Terre est tout autre. Je suis là pour alléger les femmes. Et non pour les engrosser comme un goujat. Je ne serai point ce malotru qui ensemencera votre matrice.
J'accepterai seulement de me frayer un passage entre vos flancs, mais sans les jamais féconder. Voilà pourquoi je n'aime pas les chiards. Ils personnifient la conséquence la plus prosaïque de l'ivresse sensuelle. Ce sont des tue-l'amour par excellence. Les mioches sont les projections ratées des meilleures intentions du mâle, les effets secondaires et regrettables de ses plus purs élans, le résultat indésirable des virils hommages !
Les morveux sont des espèces de créatures monstrueuses dédiées aux natures médiocres, je veux parler de ces mauvais amants qui ne savent point aimer sans laisser derrière eux des larves vagissantes, des témoignages gluants et fripés de leurs ébats.
Je sais que vous me comprendrez, que vous serez d'accord avec moi chère amie. Et j'espère que vous arriverez bientôt à m'imiter dans cette démarche essentiellement esthétisante. Au nom de l'Art, du Beau, de la Poésie, au nom de moi enfin, renoncez à vos maternelles passions. Vous gagnerez en liberté, frivolité, estime. Les muses vous seront reconnaissantes d'un choix qui ne peut être que souverainement brillant. En retour, elles vous accorderont, j'en suis sûr, richesses matérielles, succès extraconjugaux et honneurs temporels.
Faites le choix de la charnelle licence, des plaisirs de la table, de l'or, et reniez religion, devoirs moraux et sociaux, contraintes en tous genres, disciplines austères, horaires de travail. Vivez dans l'insouciance, l'artifice et la légèreté. Laissez-vous aller à vos plus faciles penchants. Bref, choisissez de vivre dans la corruption la plus totale. Voilà la véritable sagesse en ce monde. Nous ne nous apparentons pas aux anges, aussi vivons comme des hommes que nous sommes.
Quant à votre compagnon, ne vous embarrassez pas de vains scrupules : il est souffreteux, incapable d'ouvrir les yeux sur la réalité de notre commerce, et je suis sûr qu'il vous fait aveuglément confiance... A la moindre occasion vous n'aurez qu'à profiter de sa faiblesse.
Vous n'aurez qu'à lui fausser compagnie durant ses crises de fièvre pour venir me rejoindre. Vous le laisserez délirer seul, et à votre retour vous lui ferez croire que vous aurez passé tout ce temps à son chevet. Il mettra sur le compte de son délire cette absence que vous aurez soin de nier farouchement, pour plus de vraisemblance. Mettons donc à profit cet heureux concours de circonstances ! A n'en point douter le Ciel nous vient en aide. Votre compagnon que la maladie aliène deviendra la risée de notre hyménée.
Ha ! Combien le sucre des sentiments est délicieux lorsque le sort verse dessus un peu de sel !
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