Je veux être inhumé en grande pompe et en petits souliers.
Bien entouré, j'espère franchir la jolie porte du cimetière, entendre au-dessus de mon linceul les médisances chuchotées. Pour ce moment fort de ma mort, je veux des larmes. J'en veux des chaudes, des tièdes et des glacées. Des pleurs sincères et des sanglots hypocrites. J'attends pour ce rendez-vous crucial des mines affligées, des faces de rat et des amantes franchement éplorées.
J'aimerais qu'un public admirable et douteux à la fois, fait d'inconnus et de proches, d'adversaires et de bêtes, m'escorte jusqu'à la tombe. Je veux pour mon enterrement rien que du beau monde : des saints et des salopards. Une assemblée composée de compagnons fidèles et de Judas, de vierges timorées et de dévoyées, d'aristocrates hautains et de chiens galeux.
Et que chacun me rende hommage, m'ignore ou me maudisse à sa manière !
Il faut qu'au jour de mes funérailles ça sente la rose et la graille, l'encens et le mauvais cigare. Je veux une tragi-comédie, une fête ratée, une farce tournant court, du beau temps alterné avec de la pluie.
Comme dans la vraie vie.
Que l'on rie et que l'on se désole, que l'on boive à ma santé et que l'on vomisse tout sur mon tombeau ! Que l'on banquète comme des paillards après le spectacle et que l'on vienne me demander pardon sous les étoiles.
Vous viendrez cracher sur ma bière, vous mes ennemis. Vous serez les hôtes de choix, avec vous la cérémonie aura un noir éclat. Vous apporterez cet indispensable piment qui réchauffera un peu la viande froide. Quant à vous mes amis, vous serez là pour donner de la dignité aux réjouissances. Vous suivrez au premier rang le convoi funéraire en silence : rôles secondaires qui ont toujours été les vôtres. Vous serez présents pour donner une bonne figure à cette remarquable affaire. Et aussi pour abandonner quelques sous au curé.
Vous mes femmes, mes bien-aimées et mes mal-aimées, mes hochets de prestige, mes ardentes soumises, mes fades insoumises, mes fausses compagnies et mes chères fuyantes, je vous ferai un particulier honneur en cette heure ultime. Bien mis et roide comme un soldat de plomb, j'écouterai vos doléances sans mot dire, sans broncher et sans nulle amertume. Vous pourrez vider vos besaces : je serai parfaitement pacifié, loin des passions terrestres. Vos charmants discours ne me feront plus aucun effet. Je serai roide, vous dis-je. Raide comme un glaçon, dur comme un coeur de pierre, d'une inébranlable rectitude. Une correction parfaite, un maintien irréprochable. Mais définitivement inerte.
Curé, vous m'enterrerez pas sans une dernière faveur : à ceux qui seront réunis autour de ma dépouille vous lirez cette plaisante histoire que je viens de leur écrire.
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