Ca y est, aujourd'hui tu es mort Raphaël. Bel et bien trépassé, et plutôt deux fois qu'une. Regarde-toi une dernière fois, ou plutôt regarde ta carcasse pour la première fois. Elle est là, sous toi. Tu as vu, c'est la tienne. C'est ton enveloppe. Et elle est déjà glacée. Tu es éteint Raphaël.
Regarde, tes yeux sont clos pour l'éternité. Ton visage impassible, bientôt voué à la poussière, porte le masque d'un défunt. Sur tes lèvres muettes on dirait un sourire. Mais non, c'est le rictus d'un décédé. L'empreinte de la Faucheuse. Tu n'es plus, ta dépouille est étendue. Tu es devenu un gisant. Et comme tous les immobiles, la terre sera ton dernier lit. Tu es pareil aux rois de France. Comme eux tu gis, pauvre mortel que tu es... C'est vrai que tous les inanimés sont égaux. Es-tu heureux ? Regarde ta bien aimée qui se penche sur ta face sans souffle, elle fixe tes paupières pétrifiées. Elle s'imagine peut-être que tu vas les ouvrir juste pour elle... Mais non, tu ne bouges pas, tu n'es plus qu'une statue.
Tu es devenu un grand silencieux maintenant, tu es content ? Tu vas être célèbre un jour durant. Ce sera ton heure de gloire en somme. Ils seront tous là pour toi. Tes amantes te pleureront. Elles regarderont ce macchabée qui porte le nom de Raphaël, et elle le chériront mieux que ton corps de vivant. Tu seras touché une dernière fois par des mains de femmes. Témoins de tes amours révolues ou en cours, ces maîtresses d'une nuit ou d'une vie te rendront hommage. Évidemment ta compagne officielle sera aux premières loges. Question de décence. Elle sera l'invitée d'honneur en quelque sorte.
Mais pour l'instant tu es dans la chambre froide. On va préparer ton cadavre pour les noces : tu viens de te marier avec la Camarde. Pas très jolie ni toute jeune ta dernière courtisane, il faut le reconnaître. Elle ne sera pas ta plus glorieuse conquête, c'est vrai. Mais tu n'as pas le choix Raphaël. Il faudra désormais partager ta couche avec cette éternelle ricaneuse, piètre épouse pour les plaisirs mais infiniment fidèle envers ses élus : elle n'abandonne jamais ceux qu'elle emporte. Au moins tu ne pourras pas te plaindre qu'elle te quitte. Avec elle c'est pour toujours.
Sens-tu l'étreinte de ta chère éplorée sur ta forme inerte ? Non bien sûr, mais tu la vois d'ici. Elle devait t'aimer beaucoup pour enlacer ainsi ta chair vidée de chaleur. Les lieux sont plutôt sinistres pour ce genre d'épanchement... En retour tu lui témoignes d'ailleurs toute ta froideur. C'est dire la mesure de ton flegme. Jusqu'au bout, tu auras été un imperturbable amant. Aristocrate, hautain, plein de morgue. Mais attachant.
Ton parcours terrestre est enfin terminé Raphaël. Ta vieille coque est bien rangée dans le tiroir blanc de la morgue, droite comme un soldat. Tu as presque fière allure dans ton irréprochable rigidité. D'ailleurs ton costume te va à ravir : il n'y a pas un pli. Pour une fois tu es élégant : tu te tiens bien.
Ta nouvelle fiancée aux orbites ténébreuses et à la denture éclatante te regarde dans la fraîcheur de ton linceul. Tu as encore bonne mine. Mais elle te reverra aux funérailles. Espérons que tu feras aussi bonne figure.
Une main vient de pousser le tiroir frigorifique.
On ferme !
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