Je suis un cavalier cosaque et vous êtes ma compagne d’armes.
Enfants du froid, fils et fille des terres slaves, nés et élevés dans les immenses prairies gelées que l’on appelle la toundra.
Nous nous préparons pour une course folle à travers les étendues enneigées. C’est un jeu de guerriers.
Viril, didactique, rude et barbare.
Nous sommes en selle, vêtus de bottes et de fourrures. Du haut de ma monture mon attention se dirige vers l’horizon que recouvre la froide écume. Loup affamé, aigle assoiffé d’azur, je suis un souffle féroce.
Ce pays est de glace, mon âme est de feu.
Vous me frôlez, assise sur votre cheval avec mâle assurance, témérité, arrogance, l’oeil farouche, la dextre maintenant avec fermeté la bride, quelques boucles de votre chevelure flottant dans l’éther...
Une odeur musquée se dégage de nos vêtements. Les bucéphales pleins de fièvre et de sang sont deux flèches vivantes sur le point de se détendre.
Fatal, le coup d’éperon les jettera bientôt dans la brume sans fin.
Je flatte le flanc de mon étalon. Il se cabre. Ses muscles tressaillent, une onde brûlante fait battre mes tempes. La tension est au paroxysme, trotteurs et humains sont fébriles.
Face à nous, l’immensité.
Glacée, vaste, ensoleillée, flamboyante.
La bise caresse âprement nos fronts. Et joue avec vos mèches... Et quand se resserrent vos lèvres sous la morsure du gel, un air sauvage fait briller vos prunelles. Bêtes et hommes sont prêts pour l’épreuve.
Votre regard hautain croise une dernière fois mon profil martial. Et dans un ultime défi, le toise avec dureté.
Mon talon frappe les côtes de l'ongulé, vous m'imitez et nous dévalons la plaine dans une clameur de rires rauques !
Les chevaux s’emballent, le bruit étouffé de leurs foulées dans la neige se mêle avec harmonie à leur souffle bref et sonore. La cadence de ce mutuel galop s’accorde parfaitement au rythme de nos coeurs. Nous ne faisons plus qu’un avec nos coursiers, enchaînés à leur pas fougueux.
Nous filons côte à côte dans ce décor nivéen à une allure magistrale, arc-boutés sur l’échine des quadrupèdes qui fendent l’air avec fureur. Indociles, excités, admirables.
Le vent bourdonne à mes oreilles et à travers la poussière de givre tourbillonnant autour de nous je distingue les traits de votre physionomie, tendus sous l’euphorie.
Votre mine intrépide, vos cheveux fous, votre poing agrippé à la crinière onduleuse du destrier, les rênes trop longues qui tournoient dans le vide et viennent s’enrouler autour de l’autre main comme des bracelets de cuir éphémères, l’écume de l’animal qui s’abat en pluie contre votre face et fait plisser vos paupières, les cristaux argentés qui blanchissent vos cils, le tout baigné dans le bruit sourd de la cavalcade, tout cela donne à ce tableau fugace et fulgurant une grâce suprême, une expression de noblesse profonde, un sentiment de grandeur ineffable. Vertigineux.
Dans l’ivresse de l'élan, dans cette étourdissante chevauchée, tout devient féerique : l’instant se fige, se transformant en une sorte de songe.
Et nous chevauchons dans un espace d’éternité, dans un paysage onirique aux dimensions cosmiques.
Radieux, votre visage se tourne vers moi, transfiguré. Votre pur-sang devient Pégase, je sens ses ailes blanches qui frôlent mes doigts... Mon équidé a des bras d'oiseau également. Je ne sens plus le sol sous ses sabots.
Je lève les yeux vers le ciel et vois les myriades de flocons, pareils à des étincelles, qui forment à présent la Voie Lactée : nous sommes en route pour l’infini.
Nous étions cosaques, nous sommes devenus des petits dieux, emportés sur le dos de nos guides.
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1 commentaire:
J'aime beaucoup cet état d'esprit.
C'est un peu comme P. Longworth. Cela fait rever.
Merci
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