Très tôt naquit ma vocation donjuanesque : dès l'âge puéril je ne songeais qu'à plaire aux jeunes servantes qui se succédaient au château familial. J'usais des intrigues les plus candides pour gagner leur coeur et faire triompher ma cause. Par des séductions certes un peu perfides dans le fond, mais dans la forme charmantes, adorables aux yeux des adultes, j'étais parvenu à me constituer quelque informel harem de paysannes et de lessiveuses. Ces rustiques furent mes premières courtisanes. Elles m'entouraient si bien, me prodiguaient tant de chaleureuses attentions qu'il me fallut peu de temps pour entrer dans le secret de leur gynécée, ayant droit de cité jusque dans leur impénétrable alcôve, allant et venant le plus simplement du monde entre corsages et jupons, l'innocence de mon âge jouant naturellement en ma faveur.
C'est par elles que j'appris à fourbir mes premières armes de séducteur. Les grandes personnes ne décèlent nullement ces flammes chez ceux qu’elles traitent avec tant de puérilités. Ce qui représentait déjà pour moi une véritable initiation à un art majeur dont je découvrais de jour en jour les règles vitales, apparaissait du haut de leur brèves vues comme de simples enfantillages, d'anodines espiègleries, d'inoffensives bagatelles nés de l'âme honnête de l'enfant que j'étais. Ainsi me jugeaient mes précepteurs : j'étais un angelet. Peut-être juste un peu plus dissipé, un peu plus imaginatif que la moyenne, mais certainement pas déjà un fervent disciple de Casanova.
Cette destinée singulière s'affirma avec une virile certitude lorsque j'entrai chez les Jésuites, à l'âge pubère. Là, on m'enseigna fort doctement et magistralement, avec ce qu'il faut d'autorité, les préceptes salutaires de la tempérance, du célibat, de la sobriété en tout. J'en sortis quelques années plus tard parfaitement impie, libertin et persifleur, déjà fort instruit des pratiques luxurieuses et de la science amoureuse, les deux étant indissociables chez moi.
Soyons justes : chez ces religieux l'enseignement amoureux, pour n'être pas officiellement de rigueur n'en est pas moins inscrit au programme, officieusement. Du moins en ce qui concerne l'élite des «débauchés» de mon espèce. Audacieux et toujours insatiable de savoir, j'allais nocturnement prendre des cours particuliers auprès d'une préceptrice, ma foi assez compréhensive, qui officiait ordinairement en tant qu'aide cuisinière au sein de la sévère institution. Je prenais sur moi l'inévitable surmenage que me causaient ces heures supplémentaires d'instruction pratiques, lesquelles entraînaient quelques désagréments que je me faisais fort de dissimuler à mes éducateurs, de crainte de ne point faire honneur à leurs cours comme ils l'auraient souhaité et de les blesser dans leur orgueil. Aussi, au prix d'un nécessaire effort qui est devenu par la suite un jeu, une sorte d'amusant défi, j'affichais en tout temps une mine studieuse qui les flattait incontestablement.
Ainsi je plus à mes maîtres.
C'est à cette occasion que j'appris une loi essentielle en ce qui concerne les affaires et les hommes de ce siècle dont j'étais issu : en tout les apparences prévalent sur les valeurs et mérites authentiques. Je sais pour l'avoir vécu, expérimenté, vérifié, qu'on n'estimera jamais assez les natures de bonne volonté et de bonne composition qui n'ont de cesse d'afficher en toute circonstance une humeur égale. Faire bonne figure à tout prix, voilà un des grands principes fondateurs chez les huppés de ma race, un des secrets de la réussite chez les adeptes de l'honnêteté, de la religion et des traditions. L'aspect extérieur est une qualité précieuse chez les gens de belle société. J'ai su tirer le meilleur profit de cette vérité.
Certes, l'apprentissage nocturne de cette science mystérieuse qu'est l'amour charnel me coûtait quelque peine. Les bâillements intempestifs que je devais réprimer en toutes heures attestaient cette peine, mais cela ajoutait, pensais-je, à mon mérite. Ma soif d'apprendre n'en était pas amoindrie pour autant. En effet, en dépit de ces menues contrariétés, j'étais, il faut l'avouer, très assidu aux enseignements prodigués par ma maîtresse ès cuisines. Au terme de leçons laborieuses, appliquées, je décrochai mon diplôme d'hédoniste, au moins à titre officieux.
Ainsi dûment récompensé de mes efforts, j'eus l'occasion et l'insigne privilège de déployer mon savoir au sein même de cette digne institution qui m'avait si bien formé. En effet, au jour solennel de la remise des prix je jetai mon dévolu sur la génitrice d'un de mes camarades, authentique bourgeoise (entretenue par un frileux époux aussi jaloux que cupide) à la beauté évanescente, véritable créature mondaine vouée aux plaisirs sacrilèges de la chair, et catin notoire. C'était en tout cas le bruit qui courait dans le cercle très étroit des esthètes corrupteurs dont je n'allais pas tarder à faire partie. Une telle renommée ne pouvait échapper au blasphémateur averti que j'étais en train de devenir. A voir de plus près le phénomène, je compris des choses fondamentales quant aux vrais dessous et faux dehors des hôtes de salons...
La proie avait ces attraits subtils chers aux artistes. Je fus subjugué. En outre, la réputation scandaleuse de cette rentière de haute classe lui conférait une seconde splendeur. Effet galvanisant pour un "respectable" godelureau de ma condition ! Ce fut pour moi la perspective d'une sorte de baptême du feu. Je ne tardai pas à me mettre en meilleurs termes avec l'épouse indigne (mais excellente mère au demeurant), mettant à l'oeuvre mes naturels penchants de profanateurs, argumentant avec autant d'audace que d'adresse. La dévoyée ne se fit pas insensible à mes avances.
Après quelques délicates et habiles manoeuvres pour me retrouver seul en cette estimable compagnie, je pus bientôt lui rendre un tendre hommage dans le bureau déserté du prêtre, tandis que dehors sous le soleil de juin tous, élèves, parents et chastes missionnaires s'adonnaient à de civiles mondanités. Ma formation aux moeurs hautaines fut sulfureuse.
S'excusant avec une grâce exquise pour cette absence inopinée auprès du supérieur qui causait à présent avec son conjoint, l'infidèle, très enjouée, se joignit à la conversation à propos de la vertu grandissante des femmes de rang : le mari ne manqua pas de s'en féliciter avec l'abbé. La libertine acquiesça avec gravité.
VOIR LA VIDEO :
http://www.dailymotion.com/video/x21stnm_memoires-d-un-libertin-raphael-zacharie-de-izarra_webcam
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