Madame le Maire,
Souvent la mélancolie, le poids des jours qui passent, insipides et indolents, ou le calme mortel des heures insanes me chassent hors des murs de ma confortable prison, et c'est d'un pas rageur que je foule le pavé oppressant de la ville.
Bravant la pluie, la neige ou le vent frais d'automne, j'arpente les chaussées en quête d'un hypothétique destin. Au détour de ces chemins improvisés, j'espère croiser un regard, une étoile ou même un chien, que je suivrais et qui m'emmènerait vers des terres promises, loin de cette commune, à l'opposé de ces journées sans éclat ni saveur. Mais je marche droit devant moi, et rien ne vient, rien ne surgit au coin du bitume, à part les voitures qui me frôlent, anonymes, ainsi que les pauvres vieilles plus mortes que je ne le suis, qui trépassent à petits pas le long des trottoirs.
Maudites soient ces interminables avenues trop ordinaires baptisées "Général de Gaulle" et "Général Leclerc" ! Toujours les mêmes, partout. Toutes ces agglomérations de banlieue se ressemblent avec leur atmosphère morose, morne, languissante... C'est un bien triste hommage que l'on rend aux têtes immortelles en les faisant se pencher sur cette grisaille citadine, exsangue, vide de joie, entre poussière et désolation.
Plongé dans ce monde au bord des larmes, dans ce quotidien de deuil, mon être à l'agonie se révolte, animé par une fureur libératrice : sa dernière étincelle. A force de désespoir il en appelle aux légèretés de la Poésie, à la brûlure romantique, à l'Amour, à tous ces feux souverains qui font tellement défaut à la localité où je demeure : Nogent-sur-Marne...
Dans ses muets sanglots il s'en remet, plus infortuné, affligé et misérable que vengeur, aux esthètes de la douleur, aux chantres de la détresse, aux poètes du chagrin, laissant à leur solennel ennui de Gaulle et Leclerc qui veillent sur les deux boulevard principaux. Mon coeur mis au sépulcre psalmodie alors les chants doux de la désespérance, pour ne point mourir tout à fait.
Et, m'éloignant de plus en plus de ces itinéraires exécrés, continuellement empruntés sous l'égale tristesse des après-midi qui se succèdent, je pars à la rencontre de ce pauvre Baudelaire, de ce grandiose Hugo, de cet élégiaque Chopin... Rue Victor Hugo. Rue Charles Baudelaire. Rue Frédéric Chopin... Ces rues-là sont tout aussi sinistres certes, mais Dieu ! qu'ils sont réconfortants ces bardes illustres auprès desquels vient s'épancher mon âme en ruine !
Sous ces éclairs croisés au gré de mes pas tourmentés, je hâte ma fuite vers l'improbable, ivre du désir d'infini, de fortune, de lauriers, assoiffé de lumière et d'aventures, indifférent aux fantômes emmitouflés qui passent à côté de moi. Rêveur insatiable, la fièvre au front, dans une belle et secrète folie je m'élance sous l'orage, dans l'azur glacé ou au milieu de la brume qui tombe, insensible à l'onde terrible du ciel. J'imagine alors qu'un cheval au sabot d'airain, tel Pégase prenant son essor, m'emporte dans une chevauchée fulgurante et que des ailes soudaines m'arrachent enfin de ce sol de misère. Je rêve, caracolant sur une telle monture, de rejoindre les nues tourmentées qui narguent les toits de cette fourmilière.
Je me vois côtoyer les nuages dans une onirique cavalcade et hurler à la Terre la pure allégresse émanant de ma poitrine gonflée de gloire. Je me vois partir en direction des astres, rejoindre un univers de légendes. Aux antipodes de Nogent-sur-Marne et de sa sombre vallée de béton.
Lorsque je dévale la longue artère, tout empli de ces pensées, le visage fouaillé par l'averse, le souffle écumant et les cheveux au vent, j'ai envie Madame le Maire, comme un fou, comme un enfant perdu, comme un errant en peine, de traverser la cité d'un trait pour aller vous porter ma flamme mourante, pour vous témoigner, plein d'amertume, les langueurs que communique en moi votre municipalité au quotidien si terne, aux airs si désolants qui à ce point m'accablent. Que ma plaie aujourd'hui aboutisse au seuil de votre ministère et qu'elle trouve un ultime, salutaire, charitable refuge dans votre compassion.
VOIR LA VIDEO :
https://rutube.ru/video/ea1381e20468b99d25fd46e0b11420d6/
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