Fanchon est un personnage imaginaire de mon cru. C'est une jeune fille (tantôt sophistiquée, tantôt fruste selon les aventures et les drames que je lui invente) qui sans cesse dans des situations délicates vis-à-vis de sa famille. Fille d'un couple de vieux paysans, elle vit dans la ferme de ses parents où tout est archaïque, décalé, périmé : objets, état d'esprit, idées. Dans l'épisode ci-dessous elle est enceinte et va vite apporter la nouvelle à ses parents. C'est cruel, effarant, saugrenu, caricatural jusqu'à l'ignoble. Cette "triste" situation est récurrente chez elle, mais à chaque fois je traite le sempiternel sujet dans une mise en scène différente. Voici donc une version "standard" de la situation. Ici la Fanchon est cultivée, lettrée, délicate, raffinée, alors que ses parents sont grossiers et vulgaires (ils le sont d'ailleurs toujours dans ces histoires).
- Père, Mère, voyez mes flancs sacrés, ils couvent le fruit inestimable d'un pur amour. Oui, mes chers parents, sachez donc aujourd'hui que votre fille bien-aimée prolonge la vie, de par la grâce d'un suprême et magnifique élan de tendresse échangé avec l'élégant Monsieur le Vicomte de la Marotière, fils du châtelain de la ville voisine, dont vous n'ignorez pas, j'en suis sûre, l'excellente renommée quant à la vigne...
(Le père)
- Ta gueule, pouffiasse de vache à merde ! Où que t'as été encore te rouler la matrice, hé vachatrique de mes deux !
- Père, je vous en prie, n'offensez point mes chastes oreilles avec vos propos abominables !
(La mère)
- Vi, vi, vi, sale putassière ! Tu nous dis de la fermer, pendant que t'as les viscères remplis d'grossesse, et pis qui c'est qui va torcher le sac-à-purin merdeux de ton calemiasse après, hein ?
- Mère, je n'entends rien à vos paroles éhontées. Changez votre langage, de grâce, chacun de vos mots m'est une insulte à titre personnel, et une offense pour toutes les accouchées du monde qui...
(La mère)
- Referme ton clapet, bourriquesse ! Y a le fils du riche emplumé qui vient t'engrossir la panse, et pis après tu viens nous baver sur les rouleaux que t'es dans la purée ! Putain ! T'avais qu'a pas t'enfiler le boudin du nobliau dans la fosse à bites ! Enflure de grognasse de pute à chiottes ! Tu m'entends, dis ?
- Mère, détrompez-vous. Je ne viens nullement me plaindre auprès de vous, ainsi que vous semblez me le reprocher avec cette verve impure qui vous est si coutumière... Au contraire, je suis venue louer le divin amour humain qui génère la vie et...
(La mère)
- Ta ta ta ta ! T'es en train de nous embrouiller, pétasse de pourriture d'enfant de truie ! Moué j'y voué la putaille qui ramène à la ferme ses entrailles remplies par un macaque pour qu'y s'fasse une place dans l'étab'à vache, ouais ! Pas vrai l'père ?
(Le père)
- Couillonnasse, bien sûr que j'y voué la mêm'chos' qu'toué, la mère ! Not'fille, c'est une grosse puttassière de première qui s'est fait bien bourrer le boyau à couilles pour qu'elle nous ponde dans quê'qu' mois un affreux bougnoule d'bicot d'brin d'mes deux qu'arrêtera pas d'bouffer, toujours à quémander toutes les nuits du lait, et pis pt'êt aussi d'la gnôle ! Hein, la Fanchon, t'avais l'intention de vider mon casse-gueule dans l'biberon de ton miochard ?
- Père, je n'ai que faire de vos infâmes liqueurs d'ivrogne ! Je ne demande rien de tout cela, vils géniteurs ! Je ne désire qu'un peu de reconnaissance pour l'amour qui se meut en mon sein, rien de plus.
(La mère)
- Pétasserie d'ânesse de trivache à la con ! J'va te clouer ton couvercle à jacasseries, et pis j'vas te foutre du fumier dans le fond d'ton cul, comme ça ta larve elle sortira au moins pas pour rien, pisque l'odeur d'la chierie lui donnera le goût de la terre et de la trime paysanne, et pis on pourra vite le mettre aux cultures, bon sang ! Aller, l'père, viens m'aider à flanquer la Fanchon dans la fumure, on va la farcir avec par tous les treux pour être bien sûr qu'après ça elle nous chiera un vrai péquenaud, et pas un fainéant d'nobliau qu'y pense qu'à sauter des sales fumelles en chaleur !
- Père, Mère, soyez dignes je vous en conjure, je...
CE QU'IL ADVINT DE LA PAUVRE FANCHON.
La fanchon elle a pas eu d'chance. Dix ans ont passé. A présent on peut la voir trimer comme une dingue aux champs, les pieds dans la fange, le front baissé jusque dans la poussière terrible des chemins tout autour de sa ferme natale, quelque part dans un coin reculé de la France.
Le petit Alphonse-Gaspard-Théodule (ce sont ses grands-parents qui l'ont ainsi nommé) quant à lui, c'est une loque, un être fruste, attardé mental, analphabète, plus bovin qu'humain.
Pitoyable depuis les cheveux jusqu'aux pieds, en passant par le fond des yeux. Le lisier, les grands-parents, l'éducation lamentable l'ont cassé, brisé à jamais, éteint tout à fait.
Pauvre Fanchon... Et dire qu'un jour de plus de liberté, et elle était à New York, dans un appartement sur la cinquième Avenue, avec un contrat de mannequinat international en poche et tous les grands couturiers du monde qui la suppliaient de travailler pour eux...
Maintenant c'est une loqueteuse qui se tue au labeur de quatre heures du matin en hiver jusqu'à la minuit, et de trois heures du matin en été jusque minuit passé, sans dimanche ni repos ni salaire ni même de nourriture correcte.
Elle se régale d'épluchure de patates et de pelures de fruits, agrémentées de quelques coups dans la figure de la part des deux rustres, juste pour pas qu'elle "traînasse" trop à ronger ses déchets, alors qu'il y a tant de promesses potagères à faire sortir de son trou à rat...
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