Voici la réponse faite à mon avocat, lequel me demandait par courrier de lui renvoyer un document à remplir pour que je puisse bénéficier de l'aide juridictionnelle (il avait défendu ma cause dans une petite affaire administrative). Mais pour remplir ce papier, j'avais besoin d'un petit renseignement de sa part. J'ai donc passé un coup de fil à son cabinet. Je reçus un mauvais accueil au téléphone (une secrétaire de son cabinet m'avait répondu), alors que je souhaitais obtenir ce renseignement de la part de mon défenseur, en personne. Voici donc ce que j'ai répondu à mon cher sauveur :
Monsieur,
Vous voudrez bien attendre encore un peu ma réponse. Selon mon bon vouloir, ma fantaisie, mon humeur ou que sais-je encore ? Je daignerai, Monsieur, vous communiquer plus tard les renseignements que vous me demandez. Vous défendez ma cause certes, mais ne vous ai-je pas grassement rétribué pour la défendre, précisément ? Je me doute bien que mon litige est trop secondaire à vos yeux, trop insignifiant pour contenter votre orgueil personnel et professionnel.
Cependant il serait inconcevable que vous n'accordiez pas la plus haute attention à cette «peccadille» : sachez que mon point de vue vaut autant que le vôtre, sinon plus, pour la bonne raison que c'est exactement le mien et pour l'autre raison que Dieu l'a ainsi voulu. A moins que vous ne soyez un hérétique Monsieur, je vous invite à vous ranger dès maintenant à mes vues et à régler les mouvements de votre cœur imparfait sur ceux, austères mais souverains, de la divine autorité.
Nous ne sommes définitivement pas du même monde : vous êtes humble et je ne le suis pas tout à fait, vous faites le plaideur alors que j'aspire à devenir rentier, vous êtes rouge et vous voyez bien que je suis bleu, vous êtes sans cesse occupé tandis que je suis résolument oisif, vous êtes compassé, sévère, droit, solennel, et j'ai la chance d'être frivole. Enfin vous êtes vénal, égoïste, intéressé, et moi je suis bien intentionné. Bref, vous êtes dévoré par la mesquine ambition et je suis un être libre. Je condescends toutefois, Monsieur, à accorder quelque importance à votre cas.
J'ai téléphoné à votre cabinet aujourd'hui. On m'a fort mal reçu. Tout d'abord je n'ai pas eu l'heur de vous parler ainsi que je le souhaitais, comme si le fait de n'avoir pas eu à vous offrir une affaire digne de votre art oratoire valait que l'on me dédaigne à ce point. Une femme très peu aimable, c'est-à-dire peu soucieuse de ma personne, a daigné prendre l'appareil à votre place mais n'a pas su apporter pour autant une explication satisfaisante à la question que je voulais vous poser. J'en ai été réellement et durablement fâché, Monsieur.
Un cabinet d'avocats n'a-t-il point pour vocation d'être au service de sa clientèle ? Pourquoi donc jugeriez-vous indigne de me répondre personnellement, alors que je constitue la base même de votre "épicerie" ? Vous auriez dû me répondre Monsieur, plutôt que de laisser une de vos bonnes, de vos chambrières, de vos buandières le faire à votre place. Vous n'aviez pas le temps sans doute, vous aviez d'autres soucis en tête peut-être, d'autres tâches plus dignes d'intérêt en cours probablement...
Et pourquoi donc n'auriez-vous point eu ce temps, ce loisir, cette élémentaire courtoisie, cette priorité, cette expresse et professionnelle volonté de me servir, de m'écouter vous parler au téléphone, puisque j'ai bien eu l'extrême obligeance, moi, de vous écouter et de vous regarder en face lorsque vous me parliez dans votre cabinet ?
Vous avez des dettes envers votre clientèle, tout comme j'en ai envers celui qui a plaidé ma cause avec si peu d'éloquence. Je vous ai payé avec de l'argent chèrement gagné, en échange servez-moi dûment puisque c'est là tout votre métier, et l'exercer est même, paraît-il, un sort très enviable pour les gens de votre espèce.
Je suis las de vos bêtises. Par vos impairs vous ne contribuez pas à alléger ma peine, et encore moins mon dégoût pour cette engeance nantie, impie, mécréante, impénitente, et qui usurpe l'autorité divine, qu'est ce corps de magistrature d'inspiration républicaine. Le Président R. et tous ses complices n'ont pas mon estime et je le leur ferais volontiers savoir si la flamme ne me manquait pas autant. Je laisse toutefois cet imbécile courage aux fous, aux poètes, aux insanes, aux bohémiens, aux va-nu-pieds, à tous ces gens désargentés qui n'ont rien à perdre.
Pour l'heure, j'ai ma chère quiétude à reconquérir et j'espère bien que vous m'aiderez avec plus de dévouement dans cette quête. La prochaine fois que je vous appellerai, oubliez bien vite vos autres dossiers, vous feriez mieux. Consacrez-vous à tous ceux qui vous payent et vous font confiance. Ne me négligez pas pour la simple raison que je ne suis pas le seul ni le plus gros de vos poissons. Je participe aussi à l'entretien de vos filets.
Je sais que cela n'est pas spécialement dans mon intérêt, mais je vous communiquerai les informations souhaitées lorsque cela me chantera et surtout lorsque vous consentirez à prendre avec plus de considération les coups de fil que je vous destine personnellement.
Je ne veux plus avoir affaire à une domestique incompétente, pressée, rurale et impatiente lorsque je vous réclame au téléphone.
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