J'étais jeune à l'époque. Il frappa au heurtoir de ma demeure. Minuit venait de sonner. Il est entré avec son chapeau miteux, sa canne immémoriale, ses chaussures usées, sa mine affligée. Je lui désignai un tabouret dur. Il me restait un croûton de pain, du vin aigre, des pommes âcres. Il accepta tout sans se plaindre. Silencieux, il semblait interroger la chandelle d'un oeil scrutateur et pénétrant. D'où venait-il, qui était-il ? Un pauvre diable d'homme. Une bien mystérieuse compagnie...
Je le questionnai sur ce qui l'avait amené jusque sous mon toit perdu au milieu de la campagne, en cette heure si tardive. Dehors on entendait la tourmente, les cris de chouettes. La charpente du grenier grinçait sous la bourrasque. Il mangeait. Son bâton de marcheur portait la marque des ans. Des siècles eût-on dit... Je répétai ma question. Lui, continuait de se restaurer. Impassible. Le vent sous l'huis faisait danser la flamme devant mon hôte, et les ombres mouvantes projetées sur le mur me rappelaient quelque mage, prince ou messie.
Après avoir tenté par trois fois de connaître la raison de sa présence chez moi, je me tus, comprenant qu'il ne me répondrait pas. Je le laissai finir son repas de misère. Il but le reste de la médiocre vigne lentement, sans faire la grimace puis se leva, l'air plus triste encore. Avant de partir il m'adressa un regard profond et étrange qui me bouleversa.
La porte s'ouvrit sur les ténèbres. Il disparut dans l'obscurité. Cette nuit-là je suis resté longtemps à veiller, seul avec mes pensées, perplexe, troublé. Aujourd'hui, alors que je suis bien vieux, je me demande toujours qui était cet énigmatique visiteur nocturne qui a continué à hanter ma mémoire tout au long de ma vie et dont jamais, jamais je n'ai pu oublier le visage.
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