Elle était jolie, la petite Albertine avec ses boucles d'or et ses risettes à faire fondre le Diable. Certes l'enfant portait un fardeau immonde sur le dos, mais cela ôtait-il quelque chose au charme de ce visage fait pour réjouir les êtres ? Angelot tordu, poupée courbée, Albertine était en effet ce qu'on appelle une petite bossue. Mais qui remarquait encore son infirmité dans son entourage ?
On ne voyait que les traits rayonnants chez Albertine. La bosse passait au second plan.
Albertine passa une enfance heureuse dans la maison de campagne familiale entre ses proches et ses petites camarades, à l'écart du monde. Jusqu'au jour où, adolescente, les premières flammes amoureuses s'allumèrent sur ses joues florissantes. L'objet de ses primes émois se nommait Joseph, un citadin aux allures de dandy rencontré lors d'une fête locale.
Si les autres étaient éblouis par le sourire de la blonde, Joseph lui était assombri par sa difformité. Il se moquait d'ailleurs odieusement de sa disgrâce, lui reprochant de ne pas faire honneur à un amant de son rang :
- Vous brûlez pour moi petite chétive, affreuse chèvre, méchante sorcière, mais avez-vous au moins songé combien votre attention pouvait m'être inconfortable ? Petite égoïste ! N'avez-vous donc vécu que dans les illusions avec votre ignoble échine ? Croyez-vous que je vais parader sans dommage en compagnie d'un cygne qui a un cou de canard ? Vous m'adorez certes, mais n'avez-vous pas un instant pensé que votre amour pouvait me causer honte et dépit en public ? Non seulement la nature a contrefait votre image, mais en plus vous manquez de générosité ! Non contente de naître monstrueuse, vous trouvez bon d'être imbue de votre misérable personne ! Vous croyez-vous si aimable que ça avec vos cheveux fins et votre minois tendre ? Nul n'ose jamais vous parler de votre excroissance... Permettez que j'inaugure le sujet : un furoncle apparaît entre vos épaules Albertine, une purulence dure comme une pierre. Qui vous rend laide. Et je ne saurais acquiescer à cet hyménée contre nature que vous me proposez. Vous auriez dû avoir la décence de vous embraser pour un tordu de votre espèce plutôt que d'éprouver des feux déplacés pour un galant que vous ne méritez point ! Votre coeur est déformé lui aussi, il me semble, pour oser battre de la sorte ! Ha ! Vous m'estimez tant que ça ? Chérissez-moi donc de loin, voulez-vous ? J'aurai au moins quelque condescendance à votre endroit de vous voir ainsi prendre soin de ma réputation, à défaut de répondre à votre fièvre démente. Vous portez une boursouflure par derrière qui m'est fort désagréable Albertine, une singerie aussi horrible que la face d'un gnome, vous le savez. Mais ignoreriez-vous que c'est la grimace de dedans, celle qui bat dans votre poitrine, qui me répugne le plus ?
L'aristocrate faisait souffrir la pauvre handicapée qui, malgré ces vexations incessantes, ne pouvait éteindre ce brasier en elle. C'est de ce beau et cruel sybarite qu'elle était éprise, et elle entendait bien plonger dans les profondeurs de ce ciel, qu'il fût lumineux ou ténébreux. Elle ne pouvait vivre sans lui. Son tempérament intègre était ainsi fait qu'il était désormais impossible qu'elle ne l'aimât plus. Aussi le mondain ne se privait-il pas de jouer avec sa proie aux frisettes d'ange. Deux années durant la guindée tarentule tordit les ailes de la libellule entre ses pattes gantées.
Finalement Joseph abandonna du jour au lendemain la petite Polichinelle pour une châtelaine verticale d'une beauté sans égale. Sans jamais avoir accordé la moindre tendresse à Albertine, mortifiée. Incapable de renier sa passion, toute sa vie l'éconduite continua à rêver de Joseph, de loin.
De loin, et de toute son âme cabossée.
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